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Les patriotes de 1837: la République des Deux-Montagnes

Les patriotes défricheurs de Deux-Montagnes sont farouchement indépendants et fiers de leur région. Ce sont aussi les plus radicaux: nulle part ailleurs on ira aussi loin dans la mise sur pied d'un véritable gouvernement révolutionnaire.
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La Journée nationale des patriotes a lieu cette année le 19 mai autour du thème « À la grandeur du Québec ». Loin de s'être limité aux Deux-Montagnes, le mouvement patriote avait de profondes racines dans pratiquement toutes les régions du Québec. 17 articles, sur autant de régions, retraceront d'ici la mi-mai l'histoire des patriotes de 1837.

Très marqués par une mentalité de « Frontière », les patriotes défricheurs de Deux-Montagnes sont farouchement indépendants et fiers de leur région. Il faut dire que peu d'endroits peuvent compter sur des leaders locaux de la trempe des W. H. Scott, J.-J Girouard, H. Masson, E. Feré, J.-B. Dumouchel ou J.-O. Chénier. Ce sont aussi les plus radicaux : nulle part ailleurs on n'ira aussi loin dans la mise sur pied d'un véritable gouvernement révolutionnaire. Pour le journal Le Canadien, Deux-Montagnes « s'est toujours montré à l'avant- poste dans la défense de nos droits. Nous voudrions qu'il en ait de semblables dans tous les comtés ». Finalement, l'ampleur du sacrifice consenti durant les journées tragiques de décembre 1837 témoigne du profond dévouement des gens de Deux-Montagnes à la cause patriotique.

L'essentiel des appuis patriotes vient des villages francophones le long de la rivière du Chêne : St-Hermas, Ste-Scolastique et Saint-Benoît (Mirabel). Leurs adversaires se trouvent parmi les colons britanniques installés à l'ouest, autour de Saint-André et Lachute, et au sein de l'élite seigneuriale de Saint-Eustache.

Une assemblée d'appui aux 92 Résolutions se tient à Saint-Benoît le 20 mars 1834, où on crée un premier comité de comté de 80 membres. La relative indépendance des leaders de Deux-Montagnes s'exprime alors. Tout en ne doutant pas de la pertinence des 92 Résolutions, le député Girouard critique ouvertement leur obscurité, leur longueur démesurée et la piètre qualité de leur rédaction. Dans l'immédiat, l'assemblée patriote déclenche deux rassemblements organisés par les loyaux de Saint-André le 12 avril, et à Saint-Eustache le 14 avril. Chaque fois les patriotes perturbent les travaux au point d'en prendre le contrôle. L'assemblée de Saint-Eustache reprend alors, mais pour voter les mêmes résolutions qu'à Saint-Benoît, tandis que les loyaux trouvent refuge à quelques pas de là, chez Maximilien Globensky, pour voter exactement le contraire. C'est dans ce contexte que se déroule l'élection tant contestée de novembre 1834 alors que la violence atteint un niveau à nulle part égal au Bas-Canada. Les deux candidats patriotes sont tout de même élus au terme d'un scrutin houleux.

Le 18 juin 1835, on crée à Saint-Benoît une union patriotique « vouée à la défense des intérêts canadiens face aux agressions militaires, judiciaires et administratives du gouvernement » et où on retrouve tous les leaders de la région. Le 11 avril suivant, toujours à Saint-Benoît, on adopte 12 résolutions appelant à un gouvernement responsable, au boycott des produits britanniques et à la création de manufactures nationales.

Le 1er juin 1837, la grande assemblée anticoercitive de Sainte-Scholastique réunit une foule estimée à 2000 pour notamment écouter le discours de Louis-Joseph Papineau. L'assemblée adopte neuf motions dénonçant principalement les résolutions Russell. C'est aussi à cette assemblée qu'est créé le Comité permanent du comté des Deux-Montagnes (CPCDM) où siègent 42 représentants de huit localités « [...] afin de communiquer au nom du comté avec tout autre comité dans la province ou colonies voisines, les mesures adoptées pour protéger les intérêts canadiens ».

Rendu au 13 août, à la cinquième séance du CPCDM à Saint-Benoît, Ignace Raizenne fait part du désir des femmes du comté de former l'Association des dames patriotiques du comté des Deux-Montagnes, afin « d'agir dans la sphère qu'il est permis à leur sexe de parcourir, pour la protection et la défense des droits et des libertés canadiennes ». Parmi les femmes les plus engagées, Marie-Louise Félix, liée aux clans Dumouchel et Masson de Saint-Benoît, Émélie Berthelot, épouse de Jean-Joseph Girouard et Marie-Louise-Zéphirine Labrie, épouse de Jean-Olivier Chénier. Elles sont notamment les instigatrices du fameux drapeau dit de Saint-Eustache illustrant un poisson, une branche d'érable, une couronne de cônes et marqué des initiales C = JB.

Graduellement, le comité permanent se substitue aux autres formes de pouvoir local, notamment lors des septième et huitième séances à Saint-Benoît quand Girouard, Dumouchel et Jacob Barcelo remettent leur commission et annoncent que la prochaine rencontre sera consacrée à réélire les magistrats « destitués de leurs charges pour leur conduite patriotique ». On annonce aussi la création d'une milice populaire placée sous le commandement d'officiers élus par leurs miliciens afin de les « exercer au maniement des armes et à l'évolution et aux mouvements de troupes légères ».

L'assemblée du 15 octobre, tenue dans le rang Saint-Joachim de Sainte-Scholastique, n'a guère d'équivalent ailleurs dans le Bas-Canada tant on s'y compromet à fonder des institutions révolutionnaires. On élit notamment les « magistrats et amiables compositeurs », dotés pour un an des pleins pouvoirs dans leur paroisse respective sous la supervision du Comité permanent.

Quant aux neuvième et dixième séances du CPCDM, à Saint-Benoît les 22 octobre et 5 novembre, elles portent carrément sur l'organisation militaire.

Violence et répression

Entre temps, une série de charivaris visent à intimider les familles loyales et, éventuellement, piller des magasins afin d'approvisionner le camp de Saint-Eustache. Ils visent notamment la sœur du seigneur local, Hortense Globensky, l'habitant de Sainte-Scholastique, Robert Hall et Eustache Cheval dit Saint-Jacques, de Saint-Eustache. Dans sa déposition, Hall déclarera que « la porte de sa maison a été enfoncée et que l'une de ses fenêtres a été fracassée en miettes avec des pierres », que ses clôtures ont été saccagées, son champ laissé ouvert aux bêtes et que ses chevaux ont eu la crinière et la queue rasées. Eustache Cheval subira non pas un, mais deux charivaris, menés par une soixantaine d'hommes armés. Cheval accusera plus tard un certain Basile Farmer « de l'avoir menacé de l'éventrer et de le manger ! ».

À la fin novembre, les patriotes fondent sur Saint-Eustache et s'emparent des principaux édifices, forçant leurs adversaires à prendre la fuite. Le village prend alors des allures militaires sous le commandement d'Amury Girod et de Jean-Olivier Chénier. Dans les jours qui précédent la bataille, les effectifs patriotes varient constamment, selon les témoignages de 300 à 600 hommes, dont environ 200 munis de fusils. Ils viennent surtout de Sainte-Scolastique et de Sainte-Thérèse.

C'est justement pour quérir des armes que Girod et Chénier et une centaine d'hommes mènent le 30 novembre une expédition contre le comptoir de la Compagnie de la Baie d'Hudson à Oka, mais où ils ne trouvent que quelques fusils. Ils se dirigent ensuite au presbytère de la mission d'Oka d'où ils ressortent avec un petit canon. Girod rencontre ensuite les chefs iroquois de la mission de Kanesatake qui lui déclarent souhaiter rester neutres et refuser donc de céder leurs armes aux patriotes.

Saint-Eustache est finalement pris d'assaut le 14 décembre par 1280 soldats réguliers et 220 volontaires de Saint-Eustache, dirigés par le général John Colborne. À la vue de l'ennemi sur l'autre rive, Chénier va à la rencontre du corps de Globensky, mais retraite aussitôt au village où sont demeurés 250 résistants. Vers midi, le village entier est encerclé par l'armée britannique. Les poches de résistance tombent une à une. Une centaine de résistants trouvent alors refuge dans l'église où l'armée met bientôt le feu. Les occupants sont soit brulés vifs, soit abattus en tentant de fuir par les fenêtres. Le combat prend fin vers 16 h 30 avec la mort du commandant Jean-Olivier Chénier. Au moins 115 hommes sont morts. La fureur militaire s'abat ensuite sur le village où 65 bâtiments sont pillés puis incendiés avant la fin de la journée.

Le lendemain, l'armée se dirige vers Saint-Benoît, réputé être un bastion patriote. Malgré la reddition complète des habitants, le général Colborne ordonne d'incendier la demeure des chefs patriotes Girouard, Dumouchel et Masson. C'est finalement le village entier qui est réduit en cendres. Colborne charge ensuite le 32e régiment du colonel John Maitland et un détachement du Queen's Light Dragoons de pacifier les villages dissidents des environs. Après Saint-Eustache et Saint-Benoît, c'est le tour de Sainte-Scholastique, Saint-Hermas, Saint-Joachim et Sainte-Thérèse d'être tour à tour visités. À Saint-Hermas, un nombre considérable d'animaux et de biens sont volés et la ferme du capitaine Laurent Aubry est détruite. À Saint-Joachim, on brûle les maisons de Jacob Barsalou et de Joseph Beautron dit Major. Les hommes de Maitland arrivent à Sainte-Scholastique vers 13 heures « sans avoir rencontré la moindre résistance ». La côte Saint-Louis y est néanmoins « grandement dévastée ». Le lendemain, à Sainte-Thérèse, on incendie les demeures de Neil Scott, du docteur Lachaîne et de quelques autres. L'armée demeure au nord de Montréal jusqu'au 19 décembre, puis ramène à Montréal un important butin et plus de deux cent deux prisonniers.

Des patriotes de 1837

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