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Dollard des Ormeaux, Papineau et Pauline Marois

On a les héros qu'on mérite et les Québécois, qui ont une piètre estime d'eux-mêmes, éprouvent sans doute du mal à accorder de la grandeur et de la vertu à de leurs semblables. Le cas est particulièrement évident avec nos hommes et nos femmes politiques qui se sont portés à la défense de nos droits à travers l'histoire. Alors que la France célèbre Clémenceau et de Gaulle, et les États-Unis, Washington et Roosevelt, le Québec a plutôt pour héros des bagarreurs pugnaces, de Louis Cyr à Maurice Richard, des hommes « de peu de mots ».
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Les Québécois ont bien du mal à admettre l'héroïsme, surtout quand il se retrouve autour d'eux ou dans leur propre histoire. Faisons immédiatement le test avec Adam Dollard des Ormeaux, qui meurt en 1660 avec 16 compagnons face à une armée iroquoise. D'après vous, Dollard des Ormeaux est-il ce héros mort afin de sauver la Nouvelle-France ou un vil contrebandier de fourrures bêtement malchanceux? Sans doute votre cœur apprécie le héros, mais votre raison penche vers le bandit, une explication tout compte fait plus vraisemblable.

Or si je vous disais que l'une ou l'autre thèse ne peut être prouvée hors de tout doute et que celle de l'héroïsme demeure tout à fait plausible? Dollard et ses compagnons ont bel et bien été mandatés par Maisonneuve pour secourir la colonie; tous ont signé leur testament avant de partir et, comme l'attestent les documents, ont prêté serment de servir la France jusqu'à la mort si nécessaire. Tous les spécialistes conviennent en fait que le procès mené à Dollard et à ses compagnons ne repose sur aucune preuve directe. Le public n'a cependant pas mené un examen plus attentif. Après avoir été vénérée durant des décennies, la mémoire des martyrs du Long-Sault fut promptement évacuée au point de voir carrément disparaître la fête de Dollard à l'orée du présent siècle.

On a les héros qu'on mérite et les Québécois, qui ont une piètre estime d'eux-mêmes, éprouvent sans doute du mal à accorder de la grandeur et de la vertu à de leurs semblables. Le cas est particulièrement évident avec nos hommes et nos femmes politiques qui se sont portés à la défense de nos droits à travers l'histoire. Alors que la France célèbre Clémenceau et de Gaulle, et les États-Unis, Washington et Roosevelt, le Québec a plutôt pour héros des bagarreurs pugnaces, de Louis Cyr à Maurice Richard, des hommes « de peu de mots ». Ceux qui maitrisent la parole ne trouvent aucune grâce à nos yeux, généralement relégués au rang de beaux parleurs.

Ce constat afflige aussi l'équivalent chez nous de Brel ou de Bob Dylan: Gilles Vigneault. La semaine dernière, quand le gouvernement du Québec a annoncé un octroi de 750 000 $ afin de restaurer sa maison natale de Natashquan, les médias sociaux se sont déchainés pour dénoncer ce « gaspillage d'argent ». Gaspillage d'argent? Pour rendre un hommage à une légende vivante? À lui seul, Vigneault a inspiré à son peuple plus de fierté et d'amour de la vie que des milliards dépensés en antidépresseurs!

Papineau

Le cas de Louis-Joseph Papineau est mieux documenté que celui de Dollard, mais est tout autant malmené dans la mémoire. Au-delà de « ça ne prend pas la tête à Papineau » (qui signifie d'abord qu'elle est superflue), la mémoire collective est en fait sans pitié pour le chef patriote. Combien de Québécois savent qu'on doit à Papineau des mesures fondamentales de notre droit, comme l'inéligibilité des juges (1811), l'éligibilité des sénateurs (1848-1867), le droit des élus à voter le budget (1828) et même le droit des juifs à siéger dans un parlement anglais (1832)?

Rien n'y fait. Dans la mémoire collective, décidément réfractaire à l'idée de prêter de la grandeur aux politiciens, Papineau reste un personnage controversé à qui on préfère chercher des puces. Le sens critique est particulièrement aiguisé chez ceux qui se targuent de connaître l'histoire, mais qui n'ont jamais lu une traitre ligne du grand tribun ni exposé leurs préjugés à l'épreuve des faits. À propos de Papineau, on perpétue ainsi l'image 1) d'un révolutionnaire irresponsable qui a conduit son peuple à une rébellion sans issue; 2) qui a pris la fuite au moment des combats et 3) qui s'est ensuite refermé sur lui-même, incapable de comprendre l'évolution politique et l'opportunité qu'offrait le gouvernement responsable. Impossible bien sûr ici de réfuter une à une chacune de ces idées reçues.

Depuis 20 ans que je creuse le personnage, je ne vois pourtant à travers sa vie que constance, rigueur et modération. La rébellion, il ne l'a jamais provoquée, coincé qu'il était entre ses radicaux et le gouvernement anglais qui faisait tout pour harceler les patriotes. La fuite, il ne l'a jamais pris. Il cherche simplement à éviter l'arrestation en novembre 1837 pour mieux tenter de rallier les États-Unis et la France à notre cause. Le vieillard grincheux, il n'a jamais existé. Jusqu'à sa mort en 1871, Papineau est demeuré à l'avant-scène des combats de son temps, notamment au sein du parti des Rouges, nationalistes, anticléricaux et républicains. Demandez aux véritables historiens spécialistes de Papineau: Georges Aubin, François Labonté ou Yvan Lamonde, ils ne vous diront pas autre chose. Malgré cela, on continue à perpétuer la thèse d'un Papineau: « un être divisé » au nom d'un relativisme doctrinaire. Entre la thèse du grand homme et celle de l'opportuniste torturé, on privilégie spontanément la seconde.

Pauline Marois

À bien des égards, la première ministre du Québec est déjà affligée du même péché originel que Dollard des Ormeaux et Louis-Joseph Papineau: celui d'être habitée par un idéal et de chercher à bousculer notre condition. Bien sûr il n'est pas question de comparer son œuvre à celle de ses illustres prédécesseurs - Madame Marois n'a pas (encore) changé le destin du Québec - mais elle en partage déjà le destin. Ironiquement la mémoire est beaucoup plus clémente envers des nains de notre histoire, Lomer Gouin, Robert Bourassa ou Jean Chrétien, tout simplement parce qu'ils ne nous demandaient absolument rien, nous conviant au contraire à la complaisance et au contentement de soi. En revanche, ceux qui nous invitent à vaincre nos peurs et à avancer sont généralement accueillis comme de faux prophètes et de « beaux parleurs ». Car tout compte fait, que reproche-t-on à madame Marois? Ses airs hautains? Ses valses-hésitations des premiers mois? Ses compromis sur la question nationale? Soyons sérieux, rien ici qui justifie l'acharnement proprement viscéral répandu dans le discours public.

Mme Marois se retrouve exactement comme Dollard et Papineau, ostracisée par les porteurs d'intérêts idéologiques qui relaient ensuite leur haine pour la multitude. Le plus triste demeure que le public semble toujours prêt à colporter n'importe quel préjugé pourvu qu'il contribue à nourrir son cynisme envers ses gouvernants. Or l'histoire m'a appris a d'abord s'appuyer sur les faits, et les faits ne sont pas si accablants envers les six premiers mois du gouvernement Marois: sortie du Québec du nucléaire, moratoire sur les gaz de schiste, liquidation de la crise étudiante, lois sur le financement des partis et sur la probité. Rien n'y fait pourtant, au point ou même la clientèle nationaliste tombe allégrement dans le piège du dénigrement. Qui plus est, les médias sont tout à coup grands ouverts aux souverainistes si, bien sûr, c'est pour se joindre au bal des récriminations contre le gouvernement du Parti québécois.

Je sais déjà qu'on accusera cet article d'être biaisé. Ceux qui souhaitent réhabiliter nos chefs politiques ont toujours spontanément tort chez nous. À l'occasion de la Journée nationale des patriotes, justement consacrée à célébrer nos héros nous ayant permis de nous épanouir malgré notre statut colonial, je vous convierais tout de même à l'exercice suivant: et si après tout Madame Marois était en train de devenir une grande première ministre? Et si, à l'aune de l'histoire, on devait finalement la reconnaître comme la « raccommodeuse» qui aura sorti le Québec de sa pire crise sociale depuis quarante ans et restauré la confiance envers l'État du Québec? Si donc, exposé à l'épreuve des faits et à l'aune de l'histoire, il s'avérait plus tard que le gouvernement actuel s'était montré excellent pour le Québec? En ce cas, ne nous trouverions-nous pas tout à coup ridicules de s'acharner sur la première première ministre du Québec à coup d'arguments futiles et de quolibets stupides?

Invitation en somme à prendre du recul à propos du travail difficile que doit présentement mener la première dame du Québec. Invitation à exposer son œuvre à l'épreuve des faits et à la durée plutôt que de simplement relayer les préjugés réducteurs et à la limite misogynes. Invitation en somme à se dire que la grandeur est possible autour de nous et que, à l'instar de Dollard et des patriotes, nous pouvons admettre que le dévouement et l'abnégation peuvent aussi habiter nos chefs d'État et qu'en somme le pire n'est pas toujours certain.

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