Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Gaz de schiste: un mirage pour les agriculteurs

Les gazières proposent-elles aux propriétaires terriens des ententes avantageuses, ou un appât économique désastreux pour les «poissons» qui mordent à l'hameçon?
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

Dans une note économique intitulée Les oubliés des gaz de schiste, M. Youri Chassin, économiste et directeur de la recherche à l'Institut économique de Montréal (IÉDM) affirme que «le moratoire présentement en vigueur bloque les activités dans le secteur des gaz de schiste au Québec et empêche de nombreux propriétaires terriens et de municipalités de signer des ententes avantageuses».

Ententes avantageuses ou appât économique désastreux pour les «poissons» qui mordent à l'hameçon?

Tout d'abord, de quel «moratoire» M. Chassin parle-t-il? Certes, depuis 2010, il y a eu un arrêt tacite des activités des gazières au Québec à cause de la levée de boucliers des citoyens indignés durant les deux rapports (#273 et # 307) du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) et les évaluations environnementales stratégiques (ÉES); mais se pourrait-il que la chute du prix du gaz naturel au niveau de l'Amérique du Nord soit la raison de ce ralentissement?

Le seul moratoire interdisant l'exploration des gaz de schiste au Québec est la loi 18 du gouvernement Charest en date du 18 juin 2011; cette loi est valable dans le lit du fleuve à l'ouest d'Anticosti. M. Chassin croit-il que des «propriétaires terriens» feraient des affaires d'or en labourant le lit du fleuve??? Dans la vallée du Saint-Laurent, le très imparfait projet de moratoire (projet de loi #37) du gouvernement Marois est mort au feuilleton à cause des élections d'avril 2014. On peut accepter qu'un lecteur de journal peu lettré et pas très attentif aux détails d'un dossier complexe n'ait pas compris qu'il n'y a jamais eu de moratoire légal sanctionné par l'Assemblée nationale qui se soit appliqué aux basses-terres du Saint-Laurent, mais qu'un économiste et directeur de recherche à un institut économique l'ignore dépasse l'entendement... Cela augure mal pour les autres conclusions de cette note économique!

À lire cette note, on croirait que la fracturation hydraulique (seule technique capable d'extraire le gaz des schistes) est presque sans risque. Pour éviter à Monsieur le directeur de la recherche de faire une autre bourde comme celle au sujet du pseudo-moratoire, je l'invite à faire une lecture exhaustive de toute la littérature scientifique à ce sujet.

Je l'invite aussi à lire les témoignages de personnes qui éprouvent des problèmes sérieux, mais qui ne peuvent pas prouver «hors de tout doute» légal le lien de cause à effet entre leurs problèmes et ce qui se passe dans les schistes fracturés situés à des kilomètres sous terre. Et, dans un souci d'objectivité, je l'invite à se pencher particulièrement sur des recherches qui ne sont pas commandité par l'industrie gazière! D'ailleurs mes collègues du Regroupement Vigilance Hydrocarbures Québec (RVHQ) se feraient un plaisir de l'aider à parfaire ses techniques de recherche!

Dans son texte, M Chassin cite le cas d'un agriculteur de la région de Bécancour qui a loué sa ferme pour une période de 39 ans. Cela se compare assez bien à une photocopie d'un contrat de location qui nous est parvenu, et ce, malgré le mur du silence qui entoure habituellement cette industrie. Ce bail avec une gazière date déjà de quelques années. Évidemment, il peut y avoir de légères variations d'un contrat à l'autre, dépendant de la négociation entre l'équipe d'avocats chevronnés d'une grosse multinationale et un simple agriculteur.

Or, 39 ans, c'est la longueur d'une carrière; cela implique nécessairement «la relève agricole» (souvent les enfants de l'agriculteur) ou un acheteur éventuel. Est-ce que le futur propriétaire sera enchanté de cette servitude? S'il considère ce bail avec une gazière comme un effet négatif, il risque de vous offrir un prix inférieur pour votre propriété. Est-ce que les «sommes importantes» dont parle M Chassin couvriront au moins le prix de vente réduit?

Rien n'est moins sûr! Durant le BAPE #273, il a souvent été question d'un prix de location de 1,00 $ le mètre carré. Comme l'emplacement d'un site de forage requiert environ un hectare (parfois un peu plus), le loyer de l'emplacement sur cette ferme est de 12 000 $ par an. Est-ce une somme assez importante pour «réinvestir dans la ferme, notamment dans la modernisation de leur équipement»? Somme dérisoire si on la compare, par exemple, à une nouvelle moissonneuse-batteuse qui coûte au moins 300 000 $. Et, avec la loi des mines du Québec, pas question de redevances pour les ressources du sous-sol comme c'est le cas dans certains États des États-Unis.

Et puis, il y a la clause 1,1 de ce bail; c'est un petit bijou juridique qui donne à la gazière le gros bout du bâton. Entre autres, elle peut «forer et produire des puits d'eau, éliminer l'eau salée, injecter des substances dans le cadre de procédures ... afin de d'installer, de construire, d'entretenir, d'exploiter, d'inspecter, d'enlever, de remplacer, de reconstruire, et de réparer des réservoirs de stockage, des conduites, des pipelines, des unités de traitements, de compression et de transformation, des immeubles, des usines ... et poser les autres gestes que le locataire peut juger nécessaire».

Ce court extrait de cette clause est la base légale d'une aberration que j'ai vu durant mon voyage en Pennsylvanie en octobre 2011. Sur la ferme des Vargson, la gazière avait son emplacement derrière la grange; pour y accéder, les camions devaient passer entre ce bâtiment et la maison. La compagnie a utilisé ses prérogatives pour y installer une station de compression et un entrepôt de matériel pour les autres forages de la région. Le gros moteur du compresseur qui gronde et les camions qui passent près de la maison jour et nuit, ça vous plaît? Il faudrait au moins négocier des bouchons pour les oreilles!

Faute d'espace, je ne peux épiloguer sur les autres pièges de cette entente. Mais avant de tout prendre ce que M. Chassin dit pour du cash, parlez-en avec votre comptable, votre fiscaliste, votre agronome et surtout, ne signez rien sans le faire lire par votre avocat.

Il vous faudra toutes ces expertises pour démêler le vrai du faux. Dans une entreprise agricole moderne, 12 000 dollars, ce n'est pas le Pérou!

Alors, est-ce que M. Chassin vous propose une affaire en or ou un mirage? Après tout, ce «directeur de la recherche» d'un institut économique ignore qu'il n'y a jamais eu de moratoire légale dans les basses-terres du Saint-Laurent!

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.