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Tout comme le roi des hypocrites, nos gouvernements se préparent-ils à autoriser le dispersant Corexit pour dire: «Cachez cette nappe de pétrole que je ne saurais voir?»
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Je viens tout juste d'apprendre que le gouvernement fédéral et son homologue québécois se préparent à légaliser certains dispersants chimiques comme le Corexit [1]. Tous les critiques sont unanimes pour dire que, sur le terrain, les autorités sont incapables de faire face à une possible marée noire dans le Saint-Laurent. Même des fuites mineures de pétrole léger comme celle des Îles de la Madeleine en septembre 2014 ou la fuite de mazout à Sept-Îles un an plus tôt ont constitué un casse-tête presque insoluble pour les autorités. Alors, imaginez un déversement majeur! Ce qui est inévitable! On peut déjà anticiper les images d'oiseaux englués de pétrole qui sont en train d'expirer sur les galets souillés... Quelque chose qui ressemble précisément à ce qui se passe sur une plage de Californie durant cet été de 2015, suite à la rupture d'un oléoduc de Plains All American Pipeline.

Des dispersants comme le Corexit sont parfois utilisés lors d'une marée noire. La théorie veut que ce genre de produit chimique «disperse» l'épaisse nappe de pétrole en une multitude de fines gouttelettes. Ces gouttelettes sont en suspension dans l'eau, se baladent comme un vaste panache au gré des courants sous-marins et se déposent souvent sur les fonds marins.

En théorie, cela devrait permettre aux bactéries de «digérer» le pétrole plus rapidement. Le Corexit a été utilisé en grande quantité à la suite de l'explosion de Deepwater Horizon en 2010 dans le golfe du Mexique [2]. En 2012, une étude a révélé que le Corexit augmente la toxicité du pétrole de 52 fois [3]. Comme les bactéries ont été très peu aptes à digérer les millions de barils de pétrole dans les eaux chaudes du golfe du Mexique, que feraient-elles dans les eaux froides et glacées du Saint-Laurent?

Il est inacceptable que le gouvernement fédéral canadien puisse simplement envisager de légaliser l'utilisation du Corexit, avec toute la littérature scientifique qui démontre sa haute toxicité et son inefficacité pour faire face à une marée noire [4]. Et cela, dans un contexte où les gouvernements se préparent à endosser la construction de pipelines [5] qui auraient pour effet de doubler, sinon tripler, la production des sables bitumineux albertains et la production massive de gaz à effet de serre (GES) qui se rattache à cette activité.

Pourtant, encore ici, le gouvernement Couillard joue le double-jeu en disant vouloir réduire la production de carbone si dommageable pour le climat, tout en favorisant les énergies fossiles. En légalisant le Corexit, est-ce que l'objectif est de minimiser l'importance de la nappe de pétrole très visible de la surface pour la cacher dans la colonne d'eau et les fonds marins ? En d'autres mots, est-ce que «la justification écologique» pour utiliser un dispersant comme Corexit serait avant tout une question d'image et de relations publiques

Dans une scène célèbre de Molière [6], Tartuffe, le faux vertueux, dit: «Cachez ce sein que je ne saurais voir».

Tout comme le roi des hypocrites, nos gouvernements d'Ottawa et de Québec se préparent-ils à autoriser le dispersant Corexit pour dire, en réalité: «Cachez cette nappe de pétrole que je ne saurais voir?»

Certes, avec le Corexit, on ne verra presque pas le pétrole à la surface du fleuve en cas de déversement; il sera bientôt dans la colonne d'eau et sur les fonds marins... en train de contaminer toute la chaîne alimentaire. Par conséquent, la dispersion de la marée noire par le Corexit réduira grandement la quantité de photos accablantes si dommageables pour «l'image» de l'industrie pétrolière! En autres mots, la vertu des «meilleures pratiques en environnement» sera préservée !

[1] « Règlement établissant une liste des agents de traitement (Loi sur les opérations pétrolières au Canada) », La Gazette du Canada, 4 juillet 2015.

[2] Gaelin Rosenwaks, « Oil spill's environmental costs », Toronto Sun, 23 juillet 2015.

[3] David Biello, « Is Using Dispersants on the BP Gulf Oil Spill Fighting Pollution with Pollution? », Scientific American, 18 juin 2010.

[5] Alexandre Shields et Marco Bélair-Cirino, « Les premiers ministres veulent accélérer la construction des pipelines », Le Devoir, 14 juillet 2015.

[6] Molière, Tartuffe.

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Fuite de pétrole en Californie (mai 2015)

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