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Le prix de la peur

Deux adolescents inscrits à la Polyvalente Hyacinthe-Delorme «prévoyaient tuer trois camarades de classe». Cette nouvelle m'interpelle, car j'ai enseigné dans cette école pendant 25 ans.
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Dans les médias, nous apprenons que deux adolescents, âgés de 14 et 16 ans, inscrits à la Polyvalente Hyacinthe-Delorme (PHD), «prévoyaient tuer trois camarades de classe en plus d'en droguer et violer une autre». Cette nouvelle m'interpelle, car j'ai enseigné dans cette école pendant vingt cinq ans. Aujourd'hui, je sympathise avec mes anciens collègues qui doivent rassurer leurs élèves tout en faisant face à leurs propres incertitudes. Malgré tout, grâce au courage et à la surveillance d'une mère, et de l'action rapide des autorités, nous avons évité de justesse un drame similaire à celui de Trois-Rivières où deux autres ados avaient assassiné trois camarades.

Un tel événement remet en question toutes nos certitudes, et notre façon d'agir en société. L'instinct de vie et l'instinct de mort se côtoient dans l'âme de chaque être humain ; c'est la théologie du péché originel. Il y a de nombreux cas de tueries en milieu scolaire. Au Québec, on peut penser à Polytechnique, Concordia ou au collège Dawson. Aux États Unis, une courte liste de toutes les tueries perpétrées dans des institutions scolaires doit inclure Columbine, Virginia Tech, et Newtown au Connecticut. C'est même arrivé dans la ville d'Ottawa! En octobre 1975, pendant que mon fils voyait le jour dans la salle d'accouchement de l'hôpital Montfort, un étudiant de l'école secondaire Saint-Pius X violait une jeune fille, puis se rendait dans son école avec un fusil, tuant un camarade de classe et en blessant 5 autres avant de retourner l'arme contre lui-même. Une nouvelle vie apparaît alors que la mort, enfant de la folie, fauche celle d'étudiants!

Doit-on instaurer des mesures de sécurité tellement imperméables que toute vie normale serait étouffée?

Aux États Unis, la National Rifle Association (NRA) suggère que la réponse à ce genre de menace est d'avoir des gardes armés pour arrêter le «bad guy» (mauvais garnement)! Il n'est pas sûr que la prolifération des armes assurerait la sécurité ; toutes proportions gardées, les Américains ont beaucoup plus de ces incidents tragiques que nous.

Beaucoup d'étudiants sont fascinés par des jeux vidéo ; mais la très vaste majorité d'entre eux savent faire la différence entre la réalité et la fiction, que ce soit un jeu, ou un film ou un roman. Dans Rape of a Normal Mind, les journalistes qui ont étudié le cas Poulin dans la tuerie d'Ottawa ont découvert que cet élève solitaire était un adepte des jeux de guerre et que sa planification détaillée de l'événement dans son journal intime incluait la phrase «qu'il ne voulait pas mourir avant d'avoir f... une fille».

Malgré notre vigilance, cette petite minorité d'élèves, fascinés par la mort et qui sont incapables de faire la différence entre la fiction et la réalité, peuvent possiblement passer à l'acte. Certains le font via le suicide, certains rêvent de tuer tout sur leur passage, tandis que d'autres se radicalisent et veulent se joindre à l'armée de «l'État islamique». Dans tous les cas, c'est la catastrophe pour l'entourage.

Parce qu'on vient d'être secoué par la menace, doit-on céder à la panique? Doit-on instaurer des mesures de sécurité tellement imperméables que toute vie normale serait étouffée? Pour faire caricatural, dois-je avoir un pistolet dans une main et une craie à tableau dans l'autre? Devant la possible attaque par des terroristes de l'organisation État islamique, nous faisons face à la même tentation «de la sécurité à tout prix», comme avec la loi C-51 de M. Harper. Là aussi, ma réponse est «NON»!

Pendant un quart de siècle, j'ai oeuvré à la PHD dans un atelier scolaire ; j'ai enseigné à des jeunes de secondaire III comment se servir d'outils comme une scie à ruban ou une perceuse à colonne. Oui, un accident était constamment une possibilité ; à deux ou trois reprises, cela «a passé proche»! Mais j'ai enseigné - et surtout exigé - une attitude sécuritaire de mes élèves. Dieu merci, je n'ai jamais été témoin d'un accident dans ma classe. De même, si on veut éliminer toute possibilité d'accident en éducation physique, il faudrait enlever ce cours du curriculum, et ainsi renoncer à tous les bienfaits de l'activité physique!

Sécurité versus possibilité d'une catastrophe: c'est le dilemme de toute institution scolaire ; c'est aussi le dilemme de notre société face à la menace terroriste depuis la chute des tours du World Trade Center. Comment Charlie Hebdo doit-il réagir face au terrorisme: se cacher dans un bunker ou proclamer fièrement ses valeurs?

Voilà plusieurs années, avec mes collègues enseignants de PHD, nous avons collectivement décidé que notre projet éducatif serait «Ouverture sur le monde». Et ce projet éducatif sera axé sur l'ouverture à l'autre, et non sur la peur. Est-ce qu'une nouvelle menace comme celle de la semaine dernière peut arriver de nouveau? Est-ce qu'il est possible qu'il y ait des victimes comme cela est arrivé à Columbine, à Polytechnique ou à Ottawa? Est-ce qu'on peut être attaqué par un tireur fou alors qu'on se balade dans un centre d'achats? Est-ce que je peux être tué par un «fou de Dieu» prêt à se faire exploser? À toutes ces questions, la réponse est «oui»!

Je ne me cacherai pas. Demain, je vais conduire ma voiture pour aller chanter dans une chorale d'enseignants à la retraite. Certes, je ferai de la conduite défensive. Mais est-ce que je devrais m'empêcher de pratiquer cette activité ludique de peur de me faire frapper, en route, par un chauffard, multirécidiviste de l'alcool au volant? Ce prix de la peur est trop élevé!

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