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Une austérité provoquée de l'extérieur

Si la présence des périodes d'austérité budgétaire ne s'explique pas par les forces internes de la société, il faut se tourner vers les contraintes provenant de l'extérieur.
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Un récent blogue sur le peu d'impact des nombreux rapports des différents groupes de travail sur la révision des programmes gouvernementaux donnait la conclusion suivante :

« Comme l'affirmait Thomas Sargent dans une brève synthèse sur l'enseignement de la science économique :

« En économie comme dans un jeu, les gens sont, en équilibre, satisfaits de leurs choix. C'est pourquoi il est difficile pour les autres personnes bien intentionnées de changer les choses pour le meilleur et pour le pire. »

La situation est semblable dans le domaine politique. La structure des programmes reflète les forces ou les intérêts en présence. Cette structure n'est pas immuable, mais toute modification présuppose un important changement de ces forces dans la société. C'est un enseignement qu'oublient les différents groupes de travail sur la révision des programmes. »

Les périodes d'austérité relative dans le secteur public ne contredisent-elles pas cette conclusion ? Ces périodes existent malgré les biais favorables des électeurs pour les interventions publiques et leur recherche de subventions. Les partis politiques y répondent et n'ont pas intérêt à annoncer l'austérité en période électorale.

Une étude du Centre d'analyse des politiques publiques de l'Université Laval le confirme :

« Pour les élections de 2012-2014, les différences de positionnement répondent aux attentes. QS (-46) est plus à gauche que le PQ (-26), lui-même plus à gauche que le PLQ (-22) et la CAQ (-21). Toutefois, le point le plus remarquable est que tous les partis ont des positionnements négatifs, à gauche de l'axe, laissant ainsi un large espace vide au centre droit. »

Les contraintes extérieures

Si la présence des périodes d'austérité budgétaire ne s'explique pas par les forces internes de la société, il faut se tourner vers les contraintes provenant de l'extérieur. Ce sont principalement celles des marchés financiers avec le rôle visible et de premier plan des agences de notation financière, qui ont comme fonction d'estimer les risques des dettes.

Ce n'est pas notre propos d'évaluer les évaluateurs que sont les agences de notation. Elles influencent, mais elles sont aussi influencées par les marchés financiers. Ce sont des organisations très humaines sur lesquelles il faut éviter d'avoir une conception romantique.

Un long extrait d'une conférence prononcée en octobre 2006 par un ancien premier ministre, Lucien Bouchard, montre très bien l'importance des agences de notation dans l'implantation de l'austérité budgétaire au Québec :

« Je souhaite en particulier à nos futurs premiers ministres de ne pas avoir à vivre l'expérience qui a été mienne en mai 1996.

Permettez-moi de l'évoquer devant vous. Mon gouvernement venait de déposer son premier budget qui annonçait des coupures sans précédent dans les dépenses publiques. Notre évaluation de crédit se situait déjà à un niveau critique. Une dévaluation de plus nous stigmatiserait comme emprunteur à risque, à un cheveu de l'ostracisme des prêteurs institutionnels. C'est justement pour éviter ce scénario catastrophe que les participants au Sommet économique de Québec s'étaient entendus pour livrer une lutte farouche aux déficits. Nous avions dressé le budget dans cette foulée, pensant que sa rigueur rassurerait les agences de notation.

Vous pouvez vous imaginer le choc que je reçus par cette belle matinée de mai 1996, quand mon directeur de cabinet et le sous-ministre des Finances firent irruption dans mon bureau pour me remettre, la mine sombre, le projet de communiqués qu'ils venaient de recevoir et qu'allait publier le lendemain l'une des deux plus importantes agences de notation de New York : on nous infligeait une autre décote, celle-là même que nous avions mis tant d'acharnement à éviter.

Bien entendu, je ne pouvais me résigner à un tel désaveu de la démarche de rigueur que nous venions de lancer. J'obtins qu'on suspende la publication du communiqué, le temps d'aller rencontrer les analystes de l'agence. Je m'envolai tôt le lendemain, pour New York, en compagnie du sous-ministre en titre et du sous-ministre adjoint du ministère des Finances. Pour plus de discrétion, nous affrétâmes un avion privé, au lieu d'utiliser un avion gouvernemental.

Je n'oublierai pas de sitôt les deux ou trois heures que, face à un quatuor de dirigeants de l'agence, nous avons passées dans ce bureau d'un gratte-ciel de Wall Street, expliquant, justifiant, plaidant, discutant, répondant à des questions comme la suivante: comment croire qu'après une quarantaine d'années consécutives de budgets déficitaires, le gouvernement du Québec réussira, en trois ans, à atteindre le déficit zéro?

Pendant ce temps, me revinrent à l'esprit les discussions qui entouraient les négociations des secteurs public et parapublic dans les années 70. Les porte-paroles gouvernementaux devaient se débattre comme des diables dans l'eau bénite pour réfuter la thèse de la capacité illimitée de payer de l'État. Je me disais aussi qu'il était gênant pour le premier ministre d'un gouvernement responsable de devoir ainsi passer sous les fourches caudines d'analystes de Wall Street. Je songeai à mon père qui n'a jamais rien acheté, y compris un camion ou une maison, sans les payer comptant. Je ne pouvais faire autrement que de conclure : voilà ce qui arrive quand on dépense et emprunte au-delà de nos moyens. Et de me dire aussi que le contrôle et l'intégrité de ses finances publiques sont le commencement, voire la condition, de la souveraineté.

Je reviens à New York. Après avoir épuisé tous les arguments et réitéré la détermination du gouvernement, nous nous arrêtâmes, un peu à bout de souffle. Nos interlocuteurs, après nous avoir regardés un moment en silence, d'un air dubitatif, nous indiquèrent qu'ils nous contacteraient incessamment. MM. Alain Rhéaume, Gilles Godbout et moi rentrâmes à Québec en nous croisant les doigts. Le lendemain, un coup de fil nous informait, à notre immense soulagement, qu'il n'y aurait pas de décote et qu'on se contenterait de nous mettre sous observation. Le communiqué émis le même jour devait le confirmer. » (revue Options politiques, novembre 2006, p. 18-19)

Un prochain blogue traitera de la façon dont l'austérité s'incarne généralement dans l'affectation des crédits budgétaires.

Ce billet a aussi été publié sur Libres Échanges, le blogue des économistes québécois.

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