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Une façon de privatiser: tarifer les services publics

Il est probablement utopique, et donc incohérent, de recommander de recourir à une tarification valable dans les services publics.
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Dès les premiers moments d'un cours d'introduction à l'économique, le professeur s'évertue à montrer aux étudiants le rôle d'informateur et de coordonnateur des décisions individuelles que possède le système de prix. Au lieu d'être soumis à une autorité qui lui dicte ce qu'il peut faire, chaque agent possède la liberté de choix, tout en étant soumis à une contrainte budgétaire et au système de prix. En présence de droits de propriété bien définis et de forces concurrentielles suffisamment fortes, ce système indique la rareté relative de chaque produit et rend le décideur responsable de ses choix tout en privilégiant l'innovation ou l'expérimentation.

Malgré les avantages de la tarification, le secteur public y a peu recours. Les comptes de taxes de tous les niveaux de gouvernement sont agrégés, sans commune mesure avec le détail des factures du magasin d'alimentation. Les exceptions se retrouvent au niveau municipal mais la tarification y est communément sans relation avec les coûts de fourniture du service. Leur faible présence est aussi remise en question : la tarification domestique de l'eau dans l'ancienne municipalité de Sainte-Foy fut abolie lors de la fusion avec Québec.

Le cas des compteurs d'eau résidentiels au Québec

Les compteurs d'eau résidentiels sont relativement peu utilisés au Québec; selon l'Enquête de 2009 sur l'eau potable et les eaux usées des municipalités, 13,8% de la population de la résidence unifamiliale desservie avait au Québec un compteur contre 72,1% pour l'ensemble du Canada (p.5), se traduisant en un estimé d'environ 85% dans un Canada moins le Québec. Dans les municipalités avec des compteurs, la consommation moyenne résidentielle était de 238 litres par habitant par jour alors qu'elle était de 361 litres par habitant par jour, soit 52% plus élevée, dans les municipalités sans compteur (p. 18).

La situation d'exception du Québec sur la tarification domestique de l'eau suit la recommandation du Rapport de la Commission de la gestion de l'eau au Québec publiée en 2000: «La Commission n'est pas favorable à une tarification au compteur dans le secteur domestique.» (Tome 2, p. 271) Elle justifiait sa recommandation en ces termes:

Même si des courants de pensée sont largement favorables à la tarification au compteur, la Commission ne pense pas qu'il soit prudent de recommander d'obliger les villes à mettre en place une telle mesure. Les coûts d'investissement et de gestion de même que les coûts sociaux d'une telle mesure (incapacité de payer de certains, difficulté pour les locataires de récupérer leur part, risque d'une baisse de l'hygiène) permettent de douter de sa rentabilité globale. Dans l'argument de l'équité (chacun paie uniquement pour sa propre consommation), la Commission estime qu'il y a confusion entre équité et égalité. La Commission estime ici que l'équité doit pencher dans le sens de la solidarité. (Tome 2, p. 106-107)

Les commissaires ont oublié de mentionner qu'une absence de tarification se traduit par un impôt foncier plus élevé dont les locataires doivent aussi supporter le fardeau et qui n'implique aucune incitation à économiser l'eau. Un point digne d'intérêt: deux des trois commissaires avaient une formation en théologie et la troisième était une journaliste de métier et aussi «comédienne professionnelle».

Le gouvernement intervient aussi dans l'économie par la règlementation. Encore ici, son intervention ne favorise guère le rôle des prix comme indicateurs des raretés relatives, par exemple en appuyant l'interfinancement dans les services d'un secteur ou en région.

Pourquoi le message de l'efficacité ne passe pas?

On ne peut pas appliquer les règles du jeu de bridge quand on joue une partie de poker. Cet enseignement m'a été crûment rappelé par un étudiant il y a plus d'une vingtaine d'années. Je proposais d'appliquer au secteur public les règles d'efficacité développées par les économistes, tout probablement en me référant à la publication de l'O.C.D.E., Gérer avec les mécanismes de type marché. Cet étudiant m'interrompit pour signaler mon incohérence: je proposais de recourir à une tarification des services publics alors que les citoyens désirent mettre ces services dans le secteur public précisément pour éviter une telle tarification.

L'étudiant reprenait implicitement l'idée exprimée par l'économiste Karl Brunner qui affirmait avec raison que «l'essence de la politique est la redistribution et que les conflits politiques sont centrés sur des questions de distribution». (p. 662) Il s'agit, par différents moyens, d'enlever à certains pour donner à d'autres. La tarification des services publics devient ainsi contre-indiquée puisqu'elle s'oppose à cette raison d'être de l'intervention étatique. Elle en sape les fondements.

Conclusion

Il est probablement utopique, et donc incohérent, de recommander de recourir à une tarification valable dans les services publics. Cette dernière apparaît comme une forme de privatisation en donnant du pouvoir aux consommateurs qui deviennent responsables de leurs choix.

Dans une institution centralisée comme l'administration gouvernementale, les consommateurs sont soumis à la tutelle des offreurs de services puisqu'ils ne sont pas financièrement responsables. Des réformes vers une tarification valable ne peuvent pas venir de l'administration mais de l'extérieur; elles seraient provoquées par des changements dans l'environnement, comme une mauvaise situation financière ou une plus grande ouverture de l'économie.

Alors, les gouvernements pourront suivre la recommandation de la morale économique de l'efficacité, non par volonté politique mais par nécessité ou obligation.

Ce billet a aussi été publié sur Libres Échanges, le blogue des économistes québécois.

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Mai 2017

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