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L'homogénéité et le moralisme des milieux intellectuels

Les différents témoignages ont voulu montrer que l'hypothèse d'une certaine homogénéité des milieux intellectuels et de leur moralisme n'est pas farfelue.
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Lors d'une visite à Québec le mois dernier, le premier ministre du Canada a fait la déclaration suivante qui a suscité plusieurs réactions négatives dans les médias :

«Je comprends très bien qu'il y a beaucoup (de gens) à Radio-Canada qui détestent ces valeurs [que portent les conservateurs], mais je pense que ces valeurs sont les vraies valeurs d'un grand pourcentage de Québécois.»

Il ne s'agit pas ici de commenter le propos du premier ministre mais plutôt de se questionner sur deux points, la présence d'une certaine homogénéité des milieux intellectuels et aussi leur moralisme. Pour ce faire, nous juxtaposerons différents témoignages de personnalités qui ne peuvent pas être considérées comme des idéologues.

Une espèce en voie de disparition ?

La question du manque de diversité du corps professoral a été soulevée par l'ancien maire de New York, Mike Bloomberg, dans un discours lors de la collation des grades à Harvard en mai dernier. En voici un passage :

«Aujourd'hui, sur de nombreux campus universitaires, ce sont des libéraux qui tentent de réprimer les idées conservatrices, au moment même où les membres conservateurs du corps professoral sont à risque de devenir une espèce en voie de disparition. Et peut-être ce n'est nulle part plus vrai qu'ici, dans l'Ivy League.

Dans la course présidentielle de 2012, selon les données de la Commission électorale fédérale, 96 pour cent de toutes les contributions de campagne de professeurs et employés de l'Ivy League sont allés à Barack Obama. Quatre-vingt-seize pour cent...

Cette statistique devrait nous donner à réfléchir - et je le dis comme quelqu'un qui a approuvé le président Obama pour sa réélection - car je vous le dis, aucun parti n'a le monopole de la vérité ou de Dieu à ses côtés. Lorsque 96 pour cent des donateurs de l'Ivy League préfèrent un candidat à l'autre, vous devez vous demander si les élèves sont exposés à la diversité des points de vue qu'une grande université doit offrir.»

La situation dans les médias québécois

Quelle est la situation au Québec ? En mai 2009, l'ombudsman de l'époque à Radio-Canada, Julie Miville-Dechêne publiait un texte sur la diversité ou plutôt sur son manque dans les grands médias québécois. En voici un extrait :

«Il n'y a pas assez de diversité d'opinions et de diversité culturelle dans les grands médias québécois... Parlons d'abord des journalistes. Les plus influents appartiennent souvent à la génération des baby-boomers. Et la grande majorité d'entre eux - jeunes ou vieux - partagent la même idéologie. Ces Québécois «de souche» ont surtout étudié les sciences humaines et ont été contestataires dans la mouvance nationaliste et/ou de gauche. Souvent, leur façon de voir le monde comporte, par exemple, les éléments suivants : préjugés favorables envers les syndicats, antiaméricanisme, anticléricalisme, etc.

Remarquez que ce phénomène du «trop petit nombre» ne touche pas la classe journalistique plus que les autres. La preuve nous en est donnée chaque jour par les médias lorsque nous écoutons les experts sollicités pour nous éclairer. Les mêmes têtes reviennent. Un exemple : à lui seul, Steven Guilbeault, ex-directeur de Greenpeace au Québec, a été entendu 120 fois à la radio et à la télévision de Radio-Canada en 2007 !

Autre réalité : les commentateurs qui filtrent les nouvelles politiques et les interprètent pour notre bénéfice, sauf exception, baignent tous dans le même bouillon...»

Qu'en est-il des diplômés universitaires ?

Daniel Patrick Moynihan fut élu sénateur démocrate pour l'État de New York à quatre reprises; ce qui est plus important pour nous, c'est sa qualité de bon social scientist. Dans cet extrait d'un texte publié en 1979, il a cherché à expliquer le biais réformateur des personnes attirées par les sciences sociales :

«... la science sociale est rarement impartiale et les chercheurs en sciences sociales sont souvent pris dans la politique que leur travail implique nécessairement. Les sciences sociales sont, et ont toujours été, très impliquées dans la résolution de problèmes et, alors qu'il y a beaucoup d'efforts pour dissimuler cela, l'affirmation selon laquelle il existe un «problème» est habituellement une déclaration politique qui implique une proposition quant à savoir qui devrait faire quoi pour (ou vers) qui ....En outre, il existe un biais social et politique distinct parmi les chercheurs en sciences sociales ... Il a tout à voir, on s'en doute, avec l'orientation de la discipline vers l'avenir: elle attire des personnes dont les intérêts sont à façonner l'avenir plutôt que de préserver le passé. En tout état de cause, l'orientation «libérale» prononcée de la sociologie, la psychologie, les sciences politiques, et des domaines similaires est bien établie . (Moynihan 1979 : 19-20

Le domaine des communications mérite surement d'être ajouté à cette liste. De plus, l'État est un grand employeur de ces disciplines, directement ou indirectement.

Le moralisme des milieux intellectuels

Le sujet de ce texte a fait l'objet d'un livre en 2004 de la part du sociologue Raymond Boudon, Pourquoi les intellectuels n'aiment pas le libéralisme. Ce sociologue s'approchait considérablement des économistes en recourant à l'individualisme méthodologique, tout phénomène social trouvant son explication comme l'effet provenant d'actions individuelles. Voici comment Boudon explique le moralisme des milieux intellectuels :

«On peut avancer que ces différents facteurs - baisse en moyenne des exigences scolaires et universitaires, installation d'une épistémologie disqualifiant la notion d'un savoir objectif - ont produit un autre effet d'importance cruciale : ils ont contribué à provoquer un épanouissement du moralisme dans le milieu enseignant et, au-delà, dans les milieux intellectuels. Car il est plus facile de porter un jugement moral sur tel épisode historique ou sur tel phénomène social que de les comprendre. Comprendre suppose à la fois information et compétence analytique. Porter un jugement moral ne suppose en revanche aucune compétence particulière. La reconnaissance de la capacité de comprendre suppose une conception objectiviste de la connaissance. Pas celle de la capacité de sentir. De plus, si tel jugement moral rencontre la sensibilité d'un certain public ou s'il est conforme aux dogmes qui cimentent tel réseau d'influence, il peut être socialement rentable.» (p. 147)

Le moralisme identifié par Boudon se retrouve dans le domaine de l'économie et même chez des économistes qui font peu de cas de la distinction fondamentale entre l'économique positive, qui ressort de la science avec l'objectif de comprendre les phénomènes, et la « morale économique » reposant comme toute morale sur des jugements de valeur nécessaires pour prescrire.

Conclusion

Les différents témoignages ont voulu montrer que l'hypothèse d'une certaine homogénéité des milieux intellectuels et de leur moralisme n'est pas farfelue. Mais comment cela se traduit-il dans la réalité ? Peut-on y appliquer l'approche traditionnelle de l'offre et de la demande ? Au cours de la dernière décennie, plusieurs économistes se sont intéressés à des sujets connexes comme la conduite et les effets politiques des médias.

Ce billet a aussi été publié sur Libres Échanges, le blogue des économistes québécois.

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