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L'accessoire domine-t-il le principal?

«L'opinion est de plus en plus répandue que les dirigeants des entreprises et les chefs syndicaux aient une «responsabilité sociale» qui va au-delà du souci de servir les intérêts de leurs actionnaires.»
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L'avancement en âge favorise un travail d'introspection, comme se questionner si, en maintes occasions, des objectifs accessoires ou marginaux auraient dominé le principal ou l'essentiel. Si cette question est pertinente pour un individu, ne s'applique-t-elle pas aux différentes institutions ?

L'anecdote suivante, venant d'un professionnel de Statistique Canada, illustre bien l'à-propos d'une telle interrogation. Dans le cadre de son travail, il demandait à un vice-président et économiste en chef d'une grande banque canadienne si Statistique Canada devrait entreprendre des prévisions de court terme. Ce dernier, regardant le sol de la fenêtre de son bureau du haut d'un gratte-ciel, lui donna la réponse négative suivante : « Autour d'ici, il y a des dizaines de bureaux qui font des prévisions économiques, mais il y a une seule institution dont le rôle est la production de «hard data» (données fiables). C'est Statistique Canada ». À cause de l'importance du sujet de la précision des données, qui intéresse d'ailleurs peu les économistes, Statistique Canada ne devrait-elle pas y donner plus de priorité ?

L'objectif des entreprises à but lucratif

Une opinion répandue veut que les institutions à but lucratif poursuivent de multiples objectifs sous la doctrine de la «responsabilité sociétale» du monde des affaires. Pour Milton Friedman, c'est une «doctrine fondamentalement subversive» (p. 133). En septembre 1970, il publia un texte dans le New York Times Magazine cité près de neuf mille fois et intitulé The Social Responsibility of Business is to Increase its Profits.

Friedman reprenait des idées de son livre de 1962, Capitalism and Freedom :

« L'opinion est de plus en plus répandue que les dirigeants des entreprises et les chefs syndicaux aient une «responsabilité sociale» qui va au-delà du souci de servir les intérêts de leurs actionnaires ou de leurs adhérents. Cette idée recèle un malentendu fondamental quant au caractère et à la nature d'une économie libre. Dans une telle économie, le monde des affaires n'a qu'une responsabilité sociale et une seule : d'utiliser les ressources et de s'engager dans des activités conçues pour augmenter ses profits, tant qu'elle respecte les règles du jeu, c'est-à-dire, qu'elle s'engage dans une concurrence ouverte et libre, sans duperie ou fraude. De même, «la responsabilité sociale» des dirigeants syndicaux est de défendre les intérêts des membres de leurs organisations. C'est la responsabilité du reste d'entre nous que de créer un cadre juridique tel qu'un individu, en recherchant son propre intérêt, soit, pour citer de nouveau Adam Smith, «conduit par une main invisible à parvenir à un but qui ne faisait pas partie de son intention » ». (p. 133)

Friedman fait la distinction entre ce qui relève des entreprises de ce qui dépend du collectif ou du politique, la détermination des règles du jeu ou du cadre légal. Le respect des règles du jeu est d'ailleurs un exercice fort compliqué dans notre monde surréglementé. Un problème majeur demeure la présence d'un capitalisme de copinage ou de connivence avec l'administration publique au lieu d'un capitalisme concurrentiel.

Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas

Si l'objectif de l'entreprise à but lucratif est de maximiser les profits, qu'en est-il de l'entreprise publique qui est majoritairement financée ou contrôlée par le gouvernement ? C'est le cas des institutions des réseaux d'éducation et de santé et services sociaux en plus des entreprises publiques qui vendent leurs produits comme la SAQ et l'Hydro-Québec. L'entreprise publique pose des problèmes d'agence entre le principal, le gouvernement, et l'agent, l'entreprise contrôlée, en provoquant des problèmes d'asymétrie d'information.

Cotton Lindsay a étudié le système hospitalier américain du département fédéral des Anciens combattants et il développa le modèle suivant pour l'entreprise publique :

« Les gestionnaires organisent la production de façon à maximiser la valeur perçue de la production, mais c'est le Congrès qui détermine cette valeur... Le Congrès ne peut établir cette valeur que par la détermination des niveaux de chacun des différents attributs associés à ce produit. Il y a certains attributs que le Congrès peut surveiller facilement et d'autres qu'il ne peut pas. Les gestionnaires du Bureau sont donc incités à détourner des ressources de la production des attributs qui ne seront pas suivis vers ceux qui le seront. Ce faisant, ils vont augmenter la valeur perçue de la production du bureau. Comme la production d'attributs non prévus d'être observés par le Congrès n'augmentera la productivité perçue d'un gestionnaire, il ne sera pas rentable pour les agences de consacrer des ressources à leur production. » (p. 1065)

Ce ne sont plus les profits qui servent d'aiguillon, mais plutôt, en utilisant un essai de Frédéric Bastiat en 1850, «ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas ». La détérioration relative des études de premier cycle dans les universités nord-américaines est dans la catégorie du peu visible. La dimension du nombre d'étudiants se mesure beaucoup plus facilement que la qualité de la formation.

L'épidémie du C. difficile et la santé publique

Il y a eu au Québec un évènement avec un impact mortel excessivement important, mais qui fut toutefois vite oublié. Les hôpitaux québécois affrontèrent durant les années 2000 l'épidémie de C. difficile. Pour les années 2003 et 2004, «pour l'ensemble du Québec, entre 1000 et 3000 patients auraient pu mourir ». (p. 5) Un texte académique conclut sur la cause de cette épidémie :

« Le manque d'investissement dans l'infrastructure de nos hôpitaux depuis plusieurs décennies, avec des salles de bains communes étant la règle plutôt que l'exception, peut avoir facilité la transmission de cet agent pathogène qui forme des spores qui peuvent survivre sur des surfaces environnementales pendant des mois. Fournir des soins médicaux modernes dans les hôpitaux construits il y a un siècle n'est plus acceptable. » (p. 5).

L'Institut national de la santé publique du Québec, qui a une importante division sur l'Analyse et l'évaluation des systèmes de soins et de services, n'a pas jugé utile de s'intéresser aux conditions d'hygiène des établissements, la source de l'épidémie.

N'est-ce pas là un exemple où des préoccupations de moindre importance ou accessoires d'une institution dominent une question primordiale ?

Ce billet a aussi été publié sur Libres Échanges, le blogue des économistes québécois.

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