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Detekt: un nouveau logiciel dans le jeu du chat et de la souris contre Big Brother

Quelqu'un regarde par-dessus votre épaule, enregistre toute activité sur votre ordinateur, lit et écoute vos conversations privées sur Skype, allume le microphone et la caméra de votre téléphone cellulaire pour vous surveiller, vous et vos collègues, sans même que vous vous en rendiez compte.
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Imaginez que vous n'êtes jamais seul.

Quelqu'un regarde par-dessus votre épaule, enregistre toute activité sur votre ordinateur, lit et écoute vos conversations privées sur Skype, allume le microphone et la caméra de votre téléphone portable pour vous surveiller, vous et vos collègues, sans même que vous vous en rendiez compte.

Pour des milliers de défenseurs des droits humains et de journalistes qui, aux quatre coins de la planète, s'efforcent de dévoiler des atteintes aux droits humains et des injustices choquantes, nul besoin de l'imaginer.

Ils sont victimes d'une nouvelle forme sophistiquée de surveillance illégale. Certains gouvernements utilisent déjà des technologies de pointe pour installer des espions virtuels dans leurs bureaux et leurs salons.

La plupart des personnes ciblées ne savent même pas qu'elles sont espionnées, jusqu'à ce qu'on leur montre des copies de courriels et de vidéos où elles apparaissent, avec leurs collègues. Ces documents ont été extraits subrepticement de leurs propres ordinateurs portables. Ces «preuves» refont souvent surface lorsque les militants sont passés à tabac dans des cellules sordides, sanctionnés pour leur travail légitime ou contraints d'"avouer" des crimes qu'ils n'ont pas commis.

Le militant des droits humains et blogueur Ahmed Mansoor est l'un d'entre eux.

Ressortissant des Émirats arabes unis, il a été relâché en 2011. Il avait été incarcéré parce qu'il avait signé une pétition en faveur de la démocratie et animait un forum de discussion en ligne, que le gouvernement avait bloqué un an auparavant sous prétexte qu'il hébergeait des commentaires critiques envers les autorités. Après sa libération, Ahmed Mansoor a découvert que ses déplacements étaient parfois surveillés et a été agressé physiquement à deux reprises. Il s'est plus tard rendu compte que son ordinateur avait été infecté par des logiciels espions qui permettaient aux autorités de surveiller chacun de ses mouvements. Sa messagerie et son compte Twitter étaient également piratés.

Ce type de logiciels espions sophistiqués est l'arme idéale contre les défenseurs des droits humains. Ils sont de plus en plus utilisés dans le monde, même dans des États qui proclament défendre les libertés fondamentales.

Ces logiciels sont développés et produits dans des pays comme le Royaume-Uni, l'Allemagne et l'Italie, pour être ensuite vendus à des gouvernements du monde entier, sans qu'aucune réglementation ne garantisse qu'ils ne serviront pas à faciliter des atteintes aux droits humains.

«Cette nouvelle forme de surveillance semble tout droit sortie de 1984 de George Orwell, et elle rencontre un vif succès. Auparavant, les gouvernements interceptaient des communications ; aujourd'hui, ils peuvent entrer dans les systèmes et tout surveiller comme s'ils se trouvaient dans la pièce», a déclaré Marek Marczynski, responsable à Amnesty International du programme sur les transferts d'équipements ou de compétences dans les domaines militaire, de sécurité ou de police.

Et même si l'Union européenne s'est récemment engagée à adopter des réglementations sur le commerce des équipements de surveillance, cette technologie dangereuse se développe à un rythme effréné.

Detekt

En réaction au nombre croissant de militants arrêtés arbitrairement et interrogés avec violence sur la base d'informations soutirées illégalement, des experts en technologie se sont mis à jouer "au chat et à la souris" pour combattre la surveillance ciblant des personnes qui exercent leur droit à la liberté d'expression et d'association. Certains de ces experts se sont associés avec Amnesty International, Digitale Gesellschaft, l'Electronic Frontier Foundation et Privacy International, afin de lancer un nouvel outil.

Detekt est un logiciel simple qui permet d'effectuer une analyse sur un ordinateur fonctionnant avec le système d'exploitation Microsoft Windows pour y trouver la trace de logiciels espions et alerter ses utilisateurs afin qu'ils puissent agir.

Selon Claudio Guarnieri, l'un des cerveaux qui a développé cet outil, Detekt répond à une demande d'aide croissante de la part des militants depuis 2012.

«Nous avons commencé à faire des recherches sur les pays qui commercialisent des équipements de surveillance et avons découvert qu'une société allemande en vendait aux autorités de Bahreïn, qui les avaient utilisés contre les manifestants durant le soulèvement [depuis février 2011]. Tout est parti de là, et cela nous a emmenés vers des pays comme le Maroc, la Tunisie, l'Éthiopie et quelques autres, qui s'en sont eux aussi servis», a déclaré Claudio Guarnieri.

«Tant de pays utilisent désormais ces technologies, qu'il serait plus simple de se pencher sur les autres. Si vous prenez une carte et placez un point rouge sur chaque pays concerné, cela fait froid dans le dos: Bahreïn, le Maroc, les Émirats arabes unis, Oman, l'Éthiopie, le Soudan, l'Ouzbékistan, le Kazakhstan, l'Azerbaïdjan, l'Indonésie, la Malaisie, l'Australie, l'Inde, le Mexique, Panama, le Royaume-Uni et l'Allemagne, entre autres.»

La Coalition contre l'exportation illégale de technologies de surveillance, dont Amnesty International est membre, estime que le commerce mondial des technologies de surveillance représente 4 milliards d'euros par an, et qu'il est en expansion.

FinFisher compte parmi les entreprises qui développent ce type de logiciels espions. Cette société allemande qui a appartenu à l'entreprise britannique Gamma International a conçu le logiciel espion FinSpy, grâce auquel il est possible d'effectuer un suivi des conversations sur Skype, d'extraire des fichiers de disques durs, d'enregistrer toute utilisation du microphone ainsi que les courriels, et même de prendre des captures d'écran et des photos en utilisant la caméra de l'appareil.

Selon des recherches menées par Citizen Lab et des informations rendues publiques par Wikileaks, FinSpy a permis d'espionner des militants et des avocats défenseurs des droits humains à Bahreïn - dont certains vivaient au Royaume-Uni.

C'est le cas de Saeed Al Shehabi, militant politique bahreïnie actuellement installé au Royaume-Uni. En juillet 2014, Privacy International a publié des informations indiquant que Gamma International avait vendu des services de logiciels aux autorités bahreïnies.

«Nous savions que les autorités surveillaient les militants à Bahreïn, mais nous ne pensions pas qu'il leur était possible de le faire ici, au Royaume-Uni. J'ai peur, parce qu'on ne sait jamais quelles informations ils ont recueillies, ni comment ils vont les déformer et s'en servir. Je ne me sens pas du tout en sécurité. Detekt me semble un outil très utile, et inestimable pour des militants comme moi», a déclaré Saeed.

Sécurité et droits humains

Les organisations qui dénoncent la surveillance ciblée illégale sont fréquemment accusées de développer des outils susceptibles d'entraver l'action légitime du gouvernement contre le crime organisé.

Toutefois, les experts comme Claudio Guarnieri s'accordent à dire que le problème est l'absence quasi totale de contrôle, de cadres juridiques et de lignes directrices quant à l'utilisation de ces technologies intrusives.

«La transparence n'est pas de mise pour savoir qui s'en sert et dans quelles circonstances. La seule chose que nous savons, c'est que ces technologies servent souvent à entraver le travail des militants et des journalistes. Nous souhaitons lancer un débat pour tenter de comprendre comment cela fonctionne, car tout se déroule dans le plus grand secret. Il faut plus de transparence sur les implications légales, morales et politiques de l'emploi de ces technologies», a déclaré Claudio Guarnieri.

Nous espérons que Detekt apportera un sentiment de sécurité aux défenseurs des droits humains, aux journalistes, aux avocats et aux militants, et qu'il permettra d'ouvrir le débat sur la nécessité de réglementer le développement, la vente et l'utilisation des technologies de surveillance.

«Ce marché échappe à tout contrôle. Il faut des réglementations légales solides pour qu'il soit en phase avec les normes relatives aux droits humains. Les conséquences négatives et les dangers du recours non réglementé à ces technologies puissantes sont énormes et celles-ci doivent être contrôlées», a déclaré Marek Marczynski.

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