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Une traversée de Tchernobyl

Aujourd'hui, la ville de Pripiat qui se trouve à deux kilomètres seulement du sarcophage est une ville fantôme. Arrosée par le plutonium au moment de l'explosion, elle ne sera habitable que... dans 240 000 ans.
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En mars 2016, les éditions Premier Parallèle ont publié un nouveau livre de Galia Ackerman, Traverser Tchernobyl, où elle raconte, sous forme d'un récit au ton très personnel, ses dix-huit ans de voyages et de rencontres dans la zone interdite autour de la centrale sinistrée et dans des zones lourdement contaminées de l'Ukraine et de la Biélorussie. Nous lui avons proposé de commenter pour nous quelques-unes de ses photos qui accompagnent son récit dans l'édition numérique du livre et sur le site de Premier Parallèle.

1. Le guide Sacha Sirota

Dans la zone interdite qui s'étend sur 2600 km², il est interdit de circuler sans un guide officiel. Sacha Sirota est probablement le plus célèbre de ces guides. Né à Pripiat, une ville nouvelle bâtie dans les années 1970 pour loger le personnel de la centrale alors en construction, il a été évacué, comme tous les habitants, le lendemain après l'accident, à l'âge de dix ans. Mais le souvenir de cette enfance détruite continue de le hanter. Il a créé le site Pripyat.com où il collecte, depuis des années, des souvenirs, des photos, des vidéos, des documents relatifs à sa ville natale et à la catastrophe. Et pour financer son site, il conduit des tours dans la zone, à Pripiat en particulier.

Je me suis jointe à l'un de ses tours, pour voir cette ville fantôme avec les yeux de quelqu'un qui y avait habité. À la différence de certains autres guides moins scrupuleux, Sacha explique bien les dangers qui guettent les visiteurs de la zone. Sur la photo, il est en train de scruter un beau champignon avant de nous montrer à quel point celui-là est radioactif.

2. Une école de Pripiat

Aujourd'hui, la ville de Pripiat qui se trouve à deux kilomètres seulement du sarcophage est une ville fantôme. Arrosée par le plutonium au moment de l'explosion, elle ne sera habitable que... dans 240 000 ans. Lors d'une visite de cette ville, il est strictement interdit de boire ou de fumer, et il ne faut toucher strictement à rien. Car les radionucléides du plutonium agglutinés à la poussière peuvent pénétrer dans vos poumons, s'y loger et vous irradier de l'intérieur. Mais la curiosité de voir une ville communiste modèle figée en un Pompéi soviétique en emporte sur des craintes. Me voici dans le bâtiment d'une école, avec ses slogans typiques: «Une bonne qualité de connaissances aujourd'hui, c'est une haute efficacité de travail demain!» ou encore: «Les citoyens soviétiques ont droit à l'éducation!». La ruine et la rouille, comme un symbole de ce qui reste d'une utopie communiste.

3. Les noix de Tchernobyl

Si Pripiat est déserte, la très ancienne ville de Tchernobyl, à dix-sept kilomètres de la centrale, grouille de gens. C'est le centre administratif de la zone interdite. Près de dix mille personnes travaillent toujours dans cette zone et près de la moitié parmi eux habitent par intermittence à Tchernobyl, relativement peu contaminée. Ces gens sont logés dans des immeubles restés vides après l'évacuation de la population, entassés par quatre ou par six dans des appartements devenus communautaires, comme à l'époque soviétique. Normalement, ils n'invitent pas des visiteurs chez eux: c'est crasseux et miteux, juste un lieu où dormir. Mais l'un de mes guides, un quinqua nommé Vladimir, m'a proposé quand même de monter chez lui. Il voulait m'offrir un cadeau, m'a-t-il dit. Ce cadeau, c'était un sac de noix de Tchernobyl, une ville au microclimat exceptionnel où des vignes et des noix poussent, comme nulle part ailleurs aux environs de Kiev. Comment refuser le cadeau de cet homme aux yeux bleus d'enfant? Je l'ai pris, mais j'ai laissé les noix chez des amis à Kiev, je l'avoue.

4. Une paysanne de la zone interdite

Quelques centaines de vieux paysans, surtout des femmes, habitent toujours dans la zone interdite. Ils y sont revenus après l'évacuation car ils sont viscéralement attachés à leur terre et à leurs maisons. Pendant des années, ils ont été replongés dans le Moyen-Age, sans électricité ni aucune autre commodité moderne. Aujourd'hui, cela va mieux. Au moins, l'électricité a été rétablie, et le soir, ils peuvent regarder la télé qui recouvre les hurlements de loups. Vivant presque en autarcie, ces vieux et vieilles gardent leur habitat dans une propreté impeccable. Voici l'une de ces braves femmes, Maria, à l'intérieur de sa maison colorée et joyeuse. Broderies partout, coussins amidonnés, photos de famille encadrées ensemble et entourées d'un rouchnyk, tissu brodé utilisé également pour entourer des icônes. Car la mémoire de la famille est sacrée. Elle n'a qu'une voisine à proximité, un chat et un chien, quelques poules. Mais l'habitude ancestrale d'occuper sa journée par le travail la maintient en vie, malgré le grand âge. Elle entretient un potager, cuisine, fait des conserves de légumes, nettoie, lave, repasse. Elle est fière d'être restée chez elle et affirme que ses anciens voisins évacués sont tous morts d'angoisse. Pour les personnes âgées, l'arrachement à leur mode de vie traditionnel peut être plus fatal encore que la radiation.

5. Les bons robots

Que va-t-il se passer une fois que le nouveau sarcophage en construction recouvrira l'ancien, fissuré? Tout le monde ne le sait pas, mais la nouvelle structure est destinée à durer cent ans seulement. Pendant ce laps de temps, il faudra trouver une solution pour extraire des entrailles du réacteur détruit tout ce qui n'a pas été rejeté dans l'atmosphère. À savoir des dizaines de tonnes du combustible nucléaire, plus les débris hautement radioactifs qui ont été collectés aux abords du réacteur et rejetés dans la fournaise. Mais comment s'approcher du chaudron diabolique? Ce sont des robots nouvelle génération qui se chargeront de cette opération délicate. Un laboratoire scientifique à Tchernobyl s'occupe de leur création et de leur mise en œuvre. La tâche n'est pas simple. Il faut créer des engins appropriés pour chaque type d'opération qui soient capables de résister aux radiations à des doses extrêmes perturbant le fonctionnement des équipements électroniques. C'est ce que m'explique l'ingénieur en chef de ce laboratoire, à l'arrière-plan. Mais il y a un hic. Il ne suffit pas d'extraire le combustible radioactif: il faut l'enfouir à la profondeur de près d'un kilomètre dans les entrailles de la Terre. La technologie existe, mais elle est fort coûteuse, et pour l'instant, on ne sait pas trop qui payera la facture. Il est sûrement plus facile d'entrer dans l'ère nucléaire que d'en sortir!

«Traverser Tchernobyl» de Galia Ackerman, 236 pages. Publié le 17 mars 2016 aux éditions Premier Parallèle.

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