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Pourquoi la Russie s'acharne-t-elle contre Greenpeace?

Le 18 septembre, des activistes de Greenpeace, à bord d'un brise-glace, Arctic Sunrise, battant pavillon néerlandais, ont fait une action de protestation contre le forage du pétrole dans l'Arctique, potentiellement pernicieux pour l'environnement. Depuis, ils sont incarcérés arbitrairement.
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Le 18 septembre, des activistes de Greenpeace, à bord d'un brise-glace, Arctic Sunrise, battant le pavillon néerlandais, ont fait une action de protestation contre le forage du pétrole dans l'Arctique, potentiellement pernicieux pour l'environnement.

Deux activistes, un homme et une femme, ont tenté d'escalader la plate-forme pétrolière de Gazprom située dans les eaux internationales, mais dans la zone d'intérêts exclusifs économiques russes. Leur objectif était de déployer un calicot et de se faire filmer et photographier, pour la diffusion dans les médias. Ces personnes ont été appréhendées par des membres de l'équipage de la plate-forme, soi-disant pour leur porter secours, et le lendemain, transportées vers leur bateau.

Au moment où les deux activistes sont remontés à bord d'Arctic Sunrise, un commando de forces spéciales appartenant au FSB, est descendu d'un hélicoptère et a pris le contrôle du bateau de Greenpeace, comme au cinéma. 30 personnes, y compris les activistes, l'équipage du navire (dont le coq et le médecin) et les journalistes (un photographe et un vidéaste), ont été menottées par des hommes armés de fusils-mitrailleurs, et leur bateau, arraisonné jusqu'à Mourmansk.

Pendant un mois et demi, ces trente personnes, dont plusieurs femmes, ont été incarcérées dans une prison de Mourmansk, en détention provisoire. Elles ont d'abord été accusées de "piraterie" (la seule accusation ayant permis l'abordage et le remorquage du bateau de Greenpeace), puis leur action fut requalifiée en "hooliganisme".

En clair, les personnes arrêtées risquent désormais non pas quinze ans de réclusion, mais "seulement" jusqu'à sept ans de prison. D'ailleurs, l'instruction continue toujours, et les juges sont en train de vérifier s'il n'est pas possible d'inculper certains détenus d'espionnage, de terrorisme ou encore d'activité scientifique illégale. Or, avec de tels chefs d'accusation, on peut écoper de peines bien plus lourdes encore que pour le "hooliganisme".

Pourquoi un tel acharnement? Il y a un an, Greenpeace a organisé une autre action de protestation, contre la même plate-forme du Gazprom, sans conséquence aucune. Qu'est-ce qui a fait basculer, cette fois, la direction russe dans la répression, à quatre mois des JO de Sotchi, lorsque la Russie devrait logiquement essayer de présenter au monde un visage avenant et humain?

Pour comprendre cette situation absurde, il faut faire un détour par le passé récent. Entre décembre 2011 et mai 2012, les grandes villes russes, et Moscou en particulier, ont connu un mouvement de protestation spectaculaire. Des centaines de milliers de gens ont manifesté contre la fraude électorale massive aux élections parlementaires de 2011 et contre le retour de Vladimir Poutine aux commandes du pays.

Pour étouffer ce mouvement, plusieurs lois répressives ont été adoptées dont celle qui concerne les ONG. En vertu de cette loi, un nombre important d'ONG russes spécialisées en défense des droits de l'homme et des libertés civiques ont été proclamées "agents étrangers" parce qu'elles avaient reçu des financements venant de l'étranger, comme par exemple des contributions de l'UE, de l'OSCE ou de la National Endowment for Democracy (USA). Parallèlement, plusieurs ONG étrangères fonctionnant en Russie furent obligées de plier bagages.

Selon le discours officiel abondamment relié par les médias à la solde du pouvoir, et en particulier par les grandes chaînes de télévision, les ONG "droits-l'hommistes" représentent une nouvelle arme de l'Occident visant à déstabiliser le régime russe et à déclencher une révolution, comme la révolution Orange en Ukraine qui a mené au pouvoir, début 2005, des réformateurs pro-occidentaux.

Le scénario d'un "printemps arabe" est une hantise permanente du régime russe et de Vladimir Poutine personnellement qui craint le sort d'un Saddam Hussein ou d'un Mouammar Kadhafi. Bien entendu, les ONG ne servent que de boucs émissaires: en réalité, elles n'ont pratiquement rien à voir avec la montée de la contestation populaire qui touche surtout la "classe créative", à savoir des jeunes gens cultivés qui ont les mêmes valeurs et aspirations que les jeunes de nos pays.

Plus généralement, la propagande anti-occidentale, et anti-américaine en particulier, prend des proportions qui dépassent même l'atmosphère étouffante de la guerre froide. La problématique des droits humains y est présentée comme un rideau de fumée destiné à couvrir des visées impérialistes de l'Occident qui cherche à limiter l'influence russe sur la scène internationale et à empêcher la Russie de participer à l'exploitation des richesses naturelles dans les pays en voie de développement.

C'est dans cette logique qu'il faut inscrire l'arrestation des activistes de Greenpeace. Alors que les officiels clament que c'est la justice russe (notoirement "indépendante"!) qui tranchera, le sondage réalisé par le plus grand institut de sondage officiel, le VTsIOM, montre à quel point l'opinion publique russe est influencée par la propagande. Seuls 20% de répondants croient que l'action de Greenpeace avait pour objectif d'essayer de sauver l'Arctique.

Par contre, 42% sont persuadés qu'il s'agit d'un complot de services secrets et de gouvernements étrangers visant à priver la Russie de réserves naturelles précieuses et de ses territoires. Enfin, plus d'un répondant sur quatre considère que cette action de Greenpeace est purement publicitaire, ce qui montre également le cynisme prévalant dans la société fraîchement convertie au capitalisme sauvage, qui refuse de croire en des motivations altruistes.

Le régime russe qui utilise de plus en plus la rhétorique populiste de bas étage est donc en phase avec sa société, ce qui lui laisse la liberté d'agir à sa guise en dépit des protestations dans le monde entier, y compris la lettre de 11 lauréats du prix Nobel de la Paix. Ajoutons à cela que Gazprom (qui appartient à plus qu'à la moitié à l'Etat russe) est une vache sacrée. Ce géant international produit à lui seul plus de 8% du PIB russe et paie dans le budget près de 500 milliards d'euros d'impôts. S'attaquer à Gazprom, c'est comme s'attaquer à l'Etat russe.

Faut-il en conclure que les trente activistes, journalistes et membres de l'équipage d'Arctic Sunrise passeront des années derrière les barreaux? Les espoirs de la "classe créative" russe et des gens de bonne volonté partout dans le monde sont liés à l'amnistie présidentielle prévue en décembre 2013.

On espère qu'à la même occasion seront libérés Mikhaïl Khodorkovski et Platon Lebedev, anciens patrons de la société pétrolière Ioukos, qui ont passé dix ans en prison; les deux Pussy Riots qui restent en réclusion depuis bientôt deux ans; plusieurs dizaines de jeunes manifestants anti-Poutine arrêtés en mai-juin 2012 et qui, pour la plupart, attendent leur procès pour "troubles à l'ordre public". Voici encore un test pour le régime russe en pleine dérive autoritaire.

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