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Moins de religion a bien meilleur goût

J'ai cru un temps que la religion disparaîtrait de l'espace public. Je le crois encore plus ou moins sans chercher à précipiter sa chute qui me semble inévitable. La spiritualité devrait, à mon avis, la remplacer.
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"La religion m'a fait trop de bien pour que j'en dise du mal et trop de mal pour que j'en dise du bien." C'est ce que répondait Michel Chartrand lorsqu'on le questionnait au sujet de la religion. Cette réponse aurait pu être celle de feu mon père, marguillier de la paroisse Notre-Dame-des-Sept-Allégresses et bénévole pour la Société Saint-Vincent-de-Paul.

Mon père avait une foi sincère qui se traduisait en actes de bienfaisance. Il n'était pas parfait. Il n'était donc pas un parfait imbécile. Rien ne lui puait plus au nez que ces chrétiens d'apparat qui méprisaient les pauvres. Ces gens-là, il avait coutume de les appeler des vieilles bottines de feutre ou, en d'autres termes, des suceux de balustres.

Mon père détestait plus que tout l'Union Nationale, Duplessis et le clergé catholique de son temps. Il avait cette formule, empruntée probablement à Arthur Buies, pour imager son discours: quand j'étais jeune, on apprenait l'histoire et le petit catéchisme pendant que les Anglais apprenaient à lire et à compter... Bref, mon père n'avait rien d'un fanatique ou d'un revanchard.

Aussi croyant qu'il pouvait l'être, il semblait que tous les héros de mon père fussent d'ailleurs des anticléricaux. Il y avait bien sûr Arthur Buies. Puis il y avait Télésphore Damien Bouchard, député libéral de Saint-Hyacinthe, défenseur du droit de vote des femmes et bête noire du clergé catholique de son temps.

Il s'accrochait pourtant à son Dieu ainsi qu'au Christ. Il nourrissait l'idée que personne ne sait vraiment ce qui vient après la mort puisque personne n'en est jamais revenu, hormis Jésus il y a déjà trop longtemps de cela...

Mon père aimait d'ailleurs me raconter la Bible à sa façon lorsque nous revenions de la messe et que nous nous installions devant le téléviseur pour écouter les étoiles de la lutte... Il tenait à nous faire comprendre que Samson, Moïse et Jésus étaient tout aussi combatifs, à leur façon, que le Géant Ferré, Mad Dog Vachon ou Addullah The Butcher. Le Jésus qu'il aimait, c'était celui qui chassait les marchands du Temple à coups de fouet. Celui qui disait qu'il est plus facile à un chameau d'entrer par le chas d'une aiguille qu'à un riche d'entrer au paradis. Celui qu'on crucifiait parce qu'il remettait en question l'autorité de son temps.

Je faisais partie d'une génération qui n'allait plus à l'église. Moi et mon jeune frère étions les seuls de nos amis à nous rendre à la messe chaque semaine. J'ai vite déçu le clergé qui fondait un tant soit peu d'espoir sur moi au titre de dernier des Catholiques. Je me suis rebellé contre la religion, toutes les religions, au grand dam de mon père qui me traita d'abord de mécréant.

-Même les Témoins de Jéhovah ont un Dieu, mécréant que tu es! qu'il me disait sur un ton qui aurait pu être sarcastique.

-M'en fous qu'ils aient un dieu ou trois dieux... J'crois pas à Dieu ni au Père Noël! que je lui disais pour m'assurer qu'on ne m'obligerait plus à aller à l'office dominical chaque semaine.

J'ai donc été anticlérical à un point que mon père n'avait sans doute pas vu venir.

J'imagine ma mère en train de lui dire qu'il m'avait mis ça dans la tête à force de toujours tout contester.

Il finit par conclure que j'étais révolutionnaire parce que j'étais né en 1968, pendant la grève de l'usine où il travaillait. Je pense même qu'il était fier de moi. Je remettais en cause la religion comme le dernier des mécréants, bien sûr, mais je ne gobais pas tout comme le dernier des idiots. Comme s'il comprenait en son for intérieur qu'on ne fonde rien de solide sur la peur.

Je fus athée un temps par esprit de révolte. Je devins cynique envers tout: la religion, la politique et même l'amour. Puis quelque chose comme la paix intérieure vint me toucher. Mon cynisme se permuta en humanisme. J'abandonnai mon anticléricalisme comme si ce combat était d'autant plus vain que toutes les églises fermaient les unes après les autres. Comment souffrir de quelque chose qui n'existe plus?

J'ai cru un temps que la religion disparaîtrait de l'espace public. Je le crois encore plus ou moins sans chercher à précipiter sa chute qui me semble inévitable. La spiritualité devrait, à mon avis, la remplacer.

Cela dit, je refuse de tourmenter les adeptes des religions établies avec mes doutes et mes certitudes. Je leur demande seulement de ne pas fourrer leur nez là où elles sont de trop. La religion, comme la politique, nuisent à la transmission du savoir à l'école. On ne peut abandonner des pans entiers du savoir sous prétexte de ne pas froisser une idéologie ou bien une croyance. La science est l'espace commun des hommes et des femmes libres de toutes contraintes. Elle n'explique pas tout, mais elle n'a pas non plus cette prétention de tout résoudre lorsqu'elle est sincère avec elle-même. Elle sait qu'elle est l'état actuel des connaissances reçues et qu'elle évoluera en fonction des nouveaux faits.

La religion, comme la politique, évoluent parfois, bien entendu. Sinon nous en serions encore en train de lapider les femmes adultères ou de pendre des imprimeurs...

Les athées politiques, il y en a, adoptent parfois des comportements idoines à ceux des fanatiques religieux. Ils ont trouvé la réponse à tout et vous la rentreraient dans la gorge s'ils le pouvaient. En fait, dès que le doute s'efface, le croyant tyrannise et maudit toute forme d'opposition. Il a trouvé la Vérité avec un grand V. Comment les menteurs peuvent-ils avoir l'outrecuidance de lui résister?

Les religions les moins dangereuses pour l'homme sont certainement celles qui laissent place au doute. Il en va de même pour les idéologies politiques.

Les religions les moins dangereuses pour l'homme sont certainement celles qui laissent place au doute. Il en va de même pour les idéologies politiques. Tout ce qui est coulé dans le béton pour toujours et à jamais nuit à l'harmonie sociale et représente une menace pour la communauté humaine.

Saint-Just croyait que le bonheur était une idée nouvelle en Europe. Pour bien faire rentrer cette idée dans la tête des Français, il n'hésita pas à envoyer des milliers de gens à la guillotine. On finit par souhaiter un monde moins heureux où les gens vivraient plus longtemps avec leur tête sur leurs épaules...

Le doute n'est pas très rassembleur, évidemment. Pourtant, j'ai l'impression qu'il est le ciment de notre communauté. C'est ce doute qui maintient nos institutions en vie et protège un tant soit peu notre rationalité dans un monde où elle fait cruellement défaut.

La religion, tout comme l'athéisme, sont des réponses absolues à des questions insolubles qu'on ne sait même pas comment poser.

Heureux ceux qui n'ont pas cru parce qu'ils n'ont rien vu qui vaille la peine de s'entre-tuer.

Heureux les sains d'esprit, les justes et les modérés, religieux ou pas!

Ils n'iront peut-être pas au Royaume des Cieux.

Mais ils ne feront pas de cette terre un enfer.

Je ne sais pas ce qu'en penseraient Michel Chartrand, voire mon père.

Néanmoins, je me plais à croire qu'on aurait pu se comprendre à ce sujet.

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