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La résilience des pissenlits

Chaque année, on perd un milieu humide, un marécage, une petite forêt, des arbres. On remplace tout ça par des stationnements asphaltés pour servir tous ceux qui ne bougent jamais leurs gros culs.
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J'ai vu fleurir les premiers pissenlits de la saison cette semaine. Le pissenlit est ma fleur préférée. Il pousse partout, même dans les quartiers pauvres. Un peu de poussière dans la craquelure d'un trottoir lui suffit pour éclore. On le considère souvent comme de la mauvaise herbe. On l'arrache. Et pourtant, il revient toujours.

J'y vois un symbole pour les miens, pour tous ceux et celles qui bûchent, perdent leur emploi, tombent dans la misère et malgré tout se relèvent. S'il fallait faire une révolution, ce ne serait pas les oeillets du Portugal qui nous représenteraient le mieux, mais le pissenlit. J'y verrais un signe puissant de défi et de résilience, lancé tant aux gouvernements corrompus qu'aux promoteurs du capitalisme sauvage. Vous croyiez venir à bout des gueux? Ils résisteront et repousseront partout, comme le pissenlit et le chiendent.

Il est sans doute dommage que je ternisse un tant soit peu l'image du pissenlit avec de telles considérations politiques. Je vous avouerai que c'était plus fort que moi. Quand je vois un pissenlit poussé, je ne peux pas m'empêcher de voir le peuple debout. Le temps des pissenlits, cela me rend sentimental. Cela vaut bien le temps des cerises... Ce n'est pas aussi savoureux que les cerises, les pissenlits, mais ça se mange en salade. Et les racines, bues en infusion, auraient des vertus diurétiques. D'aucuns produisent même du vin à partir des fleurs de pissenlit. Je n'y ai jamais goûté, pour dire vrai, mais je sais que le grand-père d'un de mes amis, boulanger de métier, en faisait une production artisanale. Je devrais m'y mettre pour perpétuer une tradition qui malheureusement se perd.

On arrachera sûrement des tonnes de pissenlits pour rien au cours des prochains jours plutôt que d'en faire du vin, de la confiture ou de la salade. Comme on jettera ses choux gras, une expression populaire qui signifie aussi se débarrasser de choses encore bonnes.

Pour avoir le privilège d'avoir une belle pelouse dépouillée de toute vie, on s'en prendra non seulement aux pissenlits et aux choux gras, mais aussi aux champignons et aux fruits sauvages.

À Trois-Rivières où j'habite, tous les terrains où j'allais cueillir des fraises sauvages n'ont pas résisté à la bêtise de l'homme civilisé. Les herbes hautes ont été rasées dans toute la ville pour que cela fasse plus propre. Les champs où j'allais récolter des mûres et des bleuets ont été remplacés par des habitations d'autant plus laides qu'elles me privent d'une ressource alimentaire qui faisait ma joie.

Les framboisiers de mon enfance ont disparu pour laisser place à un terrain de golf bourré d'insecticides qui se mêlent à la nappe phréatique et contaminent l'eau de source froide et fraîche où j'allais m'abreuver, heureux comme Ulysse revenant de voyage...

Vous me direz qu'on n'arrête pas le progrès.

Et vous aurez sans doute raison. Personne n'a réussi à l'arrêter, le progrès.

Chaque année, on perd un milieu humide, un marécage, une petite forêt, des arbres. On remplace tout ça par des stationnements asphaltés pour servir tous ceux qui ne bougent jamais leurs gros culs.

Chaque année, on perd un milieu humide, un marécage, une petite forêt, des arbres. On remplace tout ça par des stationnements asphaltés pour servir tous ceux qui ne bougent jamais leurs gros culs. On édifie des pyramides de gypse. On coule du béton. Puis on replante des cyprès et d'autres fleurs exotiques que l'on sculpte pour nous rappeler que nous ne sommes pas des sauvages. Ou bien que nous ne valons pas mieux que ceux qui ont failli exterminer tous les bisons d'Amérique.

Ensuite, eh bien, on s'étonne qu'il y ait tant de glissements de terrain. Les racines des arbres maintenaient les sols en place, voyez-vous. Mais on a beau dire, tout le monde s'en moque.

Comme il y a moins d'arbres pour diffuser de l'oxygène et préserver de la fraîcheur au sol, on finit par étouffer en ville. Le taux de pollution augmente évidemment, mais ne le dites pas trop fort: vous passeriez pour quelqu'un qui ne comprend rien à rien, un genre de rêveur idéaliste qui bouffe des pissenlits.

Malgré tout cela, je me réjouis à l'idée que la nature n'aurait besoin que de quelques années pour reprendre ses droits.

J'ai vu cette semaine une clôture surmontée de fils de fer barbelés en pitoyable état. Des plantes grimpantes avaient assailli la clôture et avaient fini par l'abattre au bout de quelques années.

J'ai vu des terrains devenus vagues à la suite de l'incendie d'un immeuble se transformer en champ de fraises sauvages en moins de trois ans.

Et surtout, j'ai vu, je vois et verrai encore des pissenlits, partout, pour me rappeler qu'on ne viendra jamais à bout de la beauté malgré tous nos efforts pour enlaidir nos villes et nos villages.

Ces propos bucoliques ne doivent évidemment pas vous faire oublier de répandre des insecticides sur votre belle pelouse. Ce qu'en pensent les arbres et l'eau que vous boirez relève de la spéculation métaphysique. Alors que vos voisins, en chair et en os, ne vous pardonneraient pas de transformer leur beau quartier en terrain vague recouvert de pissenlits, de choux gras, d'asclépiades, de champignons et autres fruits sauvages. Il y a des limites à se laisser aller ainsi. Il y a des limites à se comporter comme un sauvage...

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