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La beauté sauvera le monde

Il ne manquera jamais de raisons pour créer des murs, des lois et des limites qui ne visent qu'à cloisonner l'humanité dans un enclos à bestiaux. Plus que jamais, il faudra abattre les murs, réformer les lois et repousser les limites.
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«Est-il vrai, prince, que vous ayez dit une fois que la "beauté" sauverait le monde? Messieurs, cria-t-il en s'adressant à toute la société, le prince assure que la beauté sauvera le monde! Et moi, je soutiens que, s'il a des idées si folâtres, c'est qu'il est amoureux.»

Dostoïevski, L'Idiot, Tome III, chap. V, trad. Victor Derély

La beauté sauvera le monde... Ce serait l'idée du prince Mychkine, l'idiot du roman éponyme. Une idée un peu sotte pour tous ceux qui cultivent le cynisme et l'amertume, valeurs nettement plus à la mode et porteuses de sympathies universelles.

J'ai eu le bonheur de profiter de l'enseignement d'un fervent admirateur de Dostoïevski. Feu mon professeur de philosophie Alexis Klimov est d'ailleurs l'auteur de Dostoïevski ou la connaissance périlleuse, un ouvrage publié chez Seghers en 1971. C'est lui qui m'a fait découvrir Dostoïevski. C'est lui qui m'a répété inlassablement, sur tous les tons, que la beauté sauvera le monde. Je lui en serai éternellement reconnaissant.

À l'époque, j'étais un genre de Stravoguine, personnage principal du roman Les possédés de Dostoïevski. J'étais un militant socialiste à l'orgueil tout aussi démesuré que ses idées. Je confondais mes petits problèmes existentiels avec ceux de l'humanité. J'étais en quelque sorte un candidat au titre d'ange exterminateur, mi-trotskiste et mi-anarchiste.

Le premier cours de mon nouveau professeur de philosophie, Alexis Klimov, fut des plus mémorables. Il rentra dans la classe sans crier gare avec sa pile de livres sous le bras qu'il déposa sur son bureau. Puis, au lieu de distribuer un syllabus, il raconta un épisode de son enfance, à Liège, sous l'occupation nazie. Les nazis avaient tué plusieurs civils pris au hasard sur la place publique. Il avait sept ans et s'était souvenu d'avoir mis les pieds dans une mare de sang. Comment pouvait-on être aussi cruels et barbares envers des humains? Cette question l'obsédait encore devant nous, dans une salle de cours de l'Université du Québec à Trois-Rivières.

À la fin de sa performance, car c'en était vraiment une, il écrivit son nom au tableau noir avec son numéro de téléphone.

- Et le syllabus?, osa demander un étudiant.

Je ne me souviens même pas si monsieur Klimov avait répondu à la question. Je me souviens que nous avions reçu le syllabus au milieu de la session... Plutôt que de s'embarrasser de formalités administratives, Alexis Klimov nous livrait avec passion l'amour de la sagesse, c'est-à-dire la philosophie.

Tout se dénoua dans ma tête. Grâce à ses leçons, je suis passé du statut de militant d'extrême gauche à celui de serviteur de la beauté. Il m'aura permis de croire que la beauté sauvera le monde.

Évidemment, ce monde n'est pas le royaume de Walt Disney. Les bons ne triomphent pas toujours à la fin. Cependant, les méchants peuvent aussi trouver leur rédemption. Rien n'est coulé dans le béton pour toujours et à jamais.

J'ai perdu au fil des ans mon sourire en coin lorsqu'un quidam s'émeut pour un air d'opéra ou bien un dessin d'enfant. Je trouve plus d'humanité dans l'expression d'un ravissement devant un grain de sable que dans un discours politique. Je n'ai plus honte de la transcendance, même si je n'ai rien trouvé qui peut me rattacher à une doctrine religieuse. Je prétends que sans l'amour, sans la spiritualité et, donc, sans la beauté ma vie ne serait que manger, chier et dormir. Elle vaut mieux que ça, ma vie. Toute vie vaut mieux que ça. Et tout le monde devrait pouvoir manger, chier et dormir normalement pour se consacrer en toute quiétude à des activités transcendantes.

Notre monde est à plusieurs égards un labyrinthe. Nous tombons souvent dans des impasses. Si tout est bloqué ici-bas, il reste la voie du ciel. Il reste l'art, la musique, voire la prière. Ce sont ces forces insoupçonnées de notre nature humaine qui, bien que cela semble idiot, finissent par faire tomber les murs. Comme le disait Lao-Tseu, l'eau est inodore, incolore et insaisissable. Et pourtant, c'est l'eau qui sculpte les montagnes, patiemment, seconde après seconde, jour après jour.

On a mis fin à la guerre du Vietnam en plantant des fleurs dans le canon des fusils à une époque où l'on croyait que tout était sans espoir. On a ridiculisé ces hippies qui souhaitaient recréer une forme d'idéal communautaire où l'amour serait la loi. Qu'a-t-on trouvé de mieux depuis dites-moi? En quoi ces idiots nous semblent-ils inutiles quand notre propre monde est menacé d'annihilation par des discours exempts d'amour et de compassion? Quel amour offrons-nous aux victimes d'un monde devenu si froid?

J'ai foi en l'être humain. Je crois en la rédemption de tout un chacun. Surtout de la mienne. Il se trouvera des tas de pauvres types pour se moquer des doux, des tendres et des amoureux.

Il ne manquera jamais de raisons pour créer des murs, des lois et des limites qui ne visent qu'à cloisonner l'humanité dans un enclos à bestiaux. Plus que jamais, il faudra abattre les murs, réformer les lois et repousser les limites.

Plus que jamais, la beauté sauvera le monde.

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