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Quel avenir pour l'accord de libre-échange avec l'Europe?

Le Canada rêve de ces 500 millions de nouveaux consommateurs et l'Europe se prépare à vivre son rêve d'Amérique. Toutefois, permettez-nous de douter, un peu, du déroulement de cet avenir annoncé si prometteur.
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Professionnels, politiciens et institutions s'exaltent depuis la signature d'un accord de principe de l'Accord économique et commercial global entre le Canada et l'Union européenne, l'AECG.

Ce traité ambitieux a pour objet, outre l'ouverture de nouveaux marchés commerciaux, la suppression des droits tarifaires et de certaines mesures administratives ayant des effets restrictifs à l'importation et à l'exportation concernant une liste de produits dont le choix définitif a du se faire aux forceps et à grand coup de (promesses de) subventions dans certains secteurs.

Mais l'entente n'est pas seulement commerciale, elle se veut aussi humaine. Un des effets majeurs de l'entente prévoit la libre circulation, sous conditions, de certaines personnes.

Des pourparlers jusqu'à la récente ratification, juristes et autres experts, spécialistes du droit international de la géopolitique et de l'économie, ne cessent de remplir les colonnes des revues spécialisées sur les répercussions potentielles de cet accord.

Leurs divines révélations, quelques fois presque ésotériques, font état de chiffres, en termes de retombées économiques et d'emplois potentiellement créés, qui donnent le tournis.

Le Canada rêve de ces 500 millions de nouveaux consommateurs et l'Europe se prépare à vivre son rêve d'Amérique.

Toutefois, permettez-nous de douter, un peu, du déroulement de cet avenir annoncé si prometteur.

Certes, théoriquement l'essence même de l'accord est incontestablement de bon augure à l'heure où la mondialisation engendre des difficultés de compétitivité accrues et un grand manque de traçabilité. Il correspond parfaitement à la tendance actuelle du consommateur qui plébiscite de plus en plus un retour au made in chez nous et s'enquiert de l'impact qu'aura sa façon de consommer.

Toutefois, que va-t-il vraiment se passer? Est-ce que les professionnels qui auront la chance de capter ces nouvelles parts de marché vont vraiment jouer le jeu et réinvestir en faisant appel au bassin de l'emploi local et ainsi créer de nouveaux emplois? Ou vont-ils continuer d'exercer une quête toujours plus grande des profits et renforcer ainsi la délocalisation dans certaines régions du monde pour répondre à ces nouvelles demandes?

Quelles retombées?

Certains vous diront que des mesures ont été prises en amont pour pallier à cela. Les biens concernés par ces nouveaux échanges devront respecter la règle dite de l'origine... entendez par là que le bien en question devra avoir été conçu ou assemblé en partie en Europe ou au Canada et devra obtenir le précieux label CE. Cet acronyme ne devrait donc plus être l'écho de Chinese Exportation et devrait réduire ainsi les grandes délocalisations de l'Est.

La délocalisation ne sera peut-être plus mondiale, mais régionale. Force est de constater que le coût d'un employé roumain ou polonais n'est pas le même que celui d'un employé français ou québécois. Dans certains pays, membres de l'UE, les protections sociales sont minces, le droit des travailleurs peu contraignant voire inexistant et le salaire moyen très faible.

Alors, la volonté initiale de nos gouvernements respectifs ne risque-t-elle pas d'être quelque peu détournée de son objectif? N'y a-t-il pas ainsi un risque d'accentuer les délocalisations régionales dans les pays (concernés par l'entente) peu enclins au respect des droits fondamentaux des travailleurs et de favoriser ainsi la ghettoïsation de certains pays intracommunautaires créant ainsi une paupérisation artificielle de leur marché du travail?

N'est-ce pas là un signal fort envoyé par nos institutions qui risque de favoriser et d'encourager les pouvoirs publics de ces pays à maintenir artificiellement de bas salaires et à annihiler de facto toute progression sociale en encourageant les entreprises à venir s'installer chez eux pour profiter de ces viviers regorgeant d'une main-d'œuvre bon marché, le tout au détriment total des travailleurs locaux?

L'accord ne risque-t-il pas de provoquer davantage d'inégalités sociales?

Des difficultés d'application

Si l'essence même de ce traité est de tendre à une harmonisation et à une homogénéisation des règles entre les deux continents, n'oublions pas que celles-ci devront séduire pas moins de 38 partenaires. La difficulté est de taille.

Qu'en sera-t-il d'un employé canadien muté par son entreprise, accompagné de son conjoint (de même sexe), en Pologne? Le statut de conjoint en Pologne s'entend pour une personne du sexe opposé, tout comme en Irlande du Nord, en Lettonie ou en Lituanie, pays qui interdisent explicitement dans leurs textes le mariage pour des personnes de même sexe et ne reconnaissent aucun effet à ces mariages célébrés à l'étranger.

Retenons que la Cour européenne des droits de l'homme a pu juger que les règles de fonds et de forme du mariage relèvent de la compétence exclusive des États membres. Ainsi, les clauses de réserve, sacrosaint principe de la souveraineté étatique, risquent de poser de réelles difficultés d'harmonisation et provoquer une profonde dénaturation du traité.

En ce qui concerne le chapitre des reconnaissances professionnelles, même si la volonté y est, l'application factuelle risque d'être difficile.

Prenons en exemple les dispositions de l'Arrangement en vue de la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles entre le Barreau du Québec et son homologue français (l'ARM), signées en 2008. Ce précurseur de l'AECG, entente franco-québécoise, devait permettre à certains de nos professionnels respectifs d'apporter un peu de leurs savoirs et de leurs différences culturelles sur leurs nouvelles terres d'accueil.

Toutefois, la réalité semble être bien différente pour ces avocats venus d'ailleurs qui doivent faire face à de très grandes difficultés d'intégration sur le marché professionnel.

Les recruteurs juridiques indiquent ne pas prendre en compte les années d'expérience et de pratique accumulées en France par un candidat de l'ARM, ce qui nous fût confirmé à plusieurs reprises par les candidats eux-mêmes.

Certains avocats soutiennent même que la disposition de cet accord relève d'une certaine aberration déontologique et se questionnent ainsi sur la protection du public. Peut-être à juste titre. Car l'avocat issu d'un barreau français peut s'installer et pratiquer seul dès son arrivée après avoir passé un seul examen de déontologie.

Alors, est-ce que le justiciable sera efficacement représenté par un avocat ayant simplement réussi cette épreuve et étant dépourvu de toutes connaissances de la règle de droit générale, de l'administration de la preuve, des techniques d'interrogatoire avant ou après défense, si spécifiques au processus judiciaire québécois?

Si nos gouvernements respectifs semblent se préoccuper davantage des risques du mécanisme des règlements des différends investisseurs-État ayant pour finalité de réduire la capacité des gouvernements à règlementer, cette question a tout de même le mérite d'être posée: n'y a-t-il pas un risque pour le public?

Ces candidats à l'ARM ne devraient-ils pas être plus encadrés afin de leur permettre une meilleure intégration au sein de leurs nouvelles juridictions? Ne devraient-ils pas collaborer pour une durée minimale auprès d'un avocat ayant suivi toute sa formation au Québec comme s 'est le cas lorsqu'un avocat issu d'un barreau français souhaite exercer dans un pays membre de l'UE?

In fine, précisons que la plupart des cabinets qui s'autoproclament ambassadeurs de l'AECG et encouragent ces échanges culturels semblent bien timides à en appliquer les dispositions. Il semble que l'intérêt ne soit autre que commercial, car presque aucun avocat issu de l'ARM n'est actuellement recensé dans leurs rangs, ce qui est plutôt étonnant.

Nous pensons que le rapprochement Canada-Europe est un projet extrêmement ambitieux et profitable à tous, à condition que les acteurs économiques, et toutes les parties prenantes en appliquent pleinement les dispositions afin de lui donner le sens qu'il mérite.

Pouvoirs publics et institutions doivent se mobiliser et baliser davantage les règles applicables à ces échanges ambitieux afin d'éviter d'être les complices silencieux d'une dérive législative qui au final ne fera que renforcer les inégalités et n'aura d'autre effet que de produire des textes dont l'application demeurera inopérante en pratique.

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