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Bombardier vu de Toronto et Ottawa

Lorsque vient le temps de donner un coup de pouce à l'économie du Québec, le Canada anglais se déchaîne. Il devient difficile d'obtenir, pour notre intérêt national, un simple retour des impôts que nous versons à Ottawa.
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Le Québec et le Canada anglais sont deux nations distinctes, aux valeurs et aux enjeux souvent différents et divergents. Le dossier Bombardier illustre, une nouvelle fois, ces deux solitudes.

Au Canada anglais, il coule de soi qu'Ottawa soutienne ses principaux secteurs économiques. L'industrie automobile ontarienne battait de l'aile ? Le précédent gouvernement conservateur a consacré des milliards à sa rescousse. Il en va de même pour les sables bitumineux. Encore des milliards en soutien direct à l'industrie, en aide à l'exportation, sans compter tout l'appareil étatique qui a travaillé à faire accepter ce pétrole sale à l'Europe. On n'a pas hésité non plus à saboter les accords environnementaux comme Kyoto et continuer à donner un coup de pouce pour la construction d'oléoducs.

Les exemples de la sorte abondent. Mentionnons l'industrie nucléaire, le câble sous-marin pour Terre-Neuve, le pétrole et les navires pour les Maritimes, le bœuf dans l'ouest, la forêt en Colombie-Britannique, etc.

C'est ce qu'on appelle, au Canada anglais, «l'intérêt national». Il est normal que les États soutiennent leurs principaux secteurs économiques. C'est ce que font les États-Unis, les pays européens, le Japon, l'Inde, la Chine, et la plupart des nations qui ne sont pas trop colonisées.

Toutefois, lorsque vient le temps de donner un coup de pouce à l'économie du Québec, le Canada anglais se déchaîne. Il devient difficile d'obtenir, pour notre intérêt national, un simple retour des impôts que nous versons à Ottawa.

C'est le cas pour Bombardier.

On le voit dans les dizaines d'articles, de lettres et d'éditoriaux publiés dans la presse canadienne-anglaise. Voici quelques exemples de titres évocateurs : «The bill we'll all pay for Bombardier's latest bailout» (National Post, 16 février) ; «Bombardier and the never-ending aerospace subsidy saga» (Toronto Star, 21 février) ; «Ten reasons to reject Bombardier's latest cash call» (Globe and Mail, 19 février).

C'est aussi visible dans l'attitude et les propos des députés à la Chambre des communes à Ottawa et de d'autres élus ailleurs au Canada anglais. Même le premier ministre Justin Trudeau s'est montré réticent à appuyer Bombardier. «Ce qui est bon pour un député de Montréal n'est pas nécessairement bon pour un député de Toronto ou de Calgary», a-t-il déclaré.

Pourtant, Bombardier, une entreprise solide et crédible à travers le monde, est le premier employeur du secteur manufacturier au Québec. Ses trains roulent un peu partout sur la planète. La moitié des rames du métro de New York ont été fabriquées par Bombardier. Ses avions de ligne régionaux ont connu un tel succès au niveau international que l'entreprise n'arrivait plus à fournir à la demande, d'où l'essor de sa concurrente brésilienne Embraer.

Avec sa CSeries, l'entreprise entend maintenant concurrencer Boeing et Airbus. Elle s'attaque à un marché de géants. Malgré des milliards de dollars d'investissements, ses nouveaux modèles ne sont pas encore prêts à voler, parce que le processus de certification pour les différentes pièces de chaque composante est long et onéreux. Plusieurs de ces certifications nécessitent l'approbation d'organismes américains et les délais sont anormalement longs. Il ne serait pas farfelu de croire qu'ils le sont volontairement, puisque Bombardier va concurrencer directement l'entreprise américaine Boeing, avec des appareils plus sophistiqués.

En retardant la mise en marché de la CSeries, les organismes américains de certification défendent les intérêts de Boeing. Et plus les délais s'allongent, plus le risque de faillite s'accroît. Difficile, en effet, de vendre un avion qui ne peut pas voler.

C'est ce qui amène Bombardier à demander de l'aide aux gouvernements. Par le passé, Ottawa offrait des capitaux et Québec des crédits. Face au refus catégorique du gouvernement Harper d'octroyer toute forme de soutien, l'entreprise s'est tournée vers Québec pour les capitaux, avec la formule boiteuse que l'on connaît.

Bombardier sollicite maintenant Ottawa pour obtenir un prêt ou une garantie de prêt d'un milliard. L'entreprise a rencontré les fonctionnaires fédéraux pour convenir d'une entente, mais le gouvernement ne l'a pas encore acceptée.

Ce crédit est nécessaire pour permettre à l'entreprise de rester à flot le temps d'obtenir toutes ses certifications. De plus, une telle aide devrait abréger les délais de certification, en envoyant le message aux Américains que l'État soutient l'entreprise et qu'elle ne fera donc pas faillite en raison de ces délais.

Il est à rappeler que Boeing et Airbus sont pleinement soutenus financièrement par leurs États respectifs. Les modèles d'Airbus ont été développés grâce aux subventions de plusieurs milliards d'euros versées par les États européens. L'aide que reçoit Boeing de la part du gouvernement américain provient principalement de son secteur militaire. Plusieurs de ses modèles sont développés dans cette filière avant d'être transférés au secteur civil.

Comme les délais de retour sur les investissements sont longs, les constructeurs d'avions ont besoin du soutien de l'État. Le secteur est très lucratif et génère des dizaines de milliers d'emplois à haute valeur ajoutée. Les États y trouvent donc leur compte.

Après Seattle (Boeing) et Toulouse (Airbus), Montréal constitue la troisième ville en importance au niveau mondial pour le secteur de l'aéronautique. La grappe aéronautique du Grand Montréal compte plus de 200 entreprises et plus de 40 000 emplois spécialisés parmi les mieux rémunérés de l'économie québécoise. La synergie qui en découle constitue un important vecteur d'attraction. Avec 80 % de sa production exportée, l'aéronautique vient en tête des secteurs d'exportation du Québec.

Bombardier est le premier donneur de contrats et le leader de cette grappe industrielle. L'indifférence d'Ottawa affaiblit l'entreprise et ses fournisseurs, et contribue ainsi à déstabiliser la grappe.

En échange d'une aide éventuelle, le gouvernement fédéral suggère des concessions dangereuses. Par exemple, il serait question de supprimer les actions à droit de vote multiple de la famille Beaudoin, qui lui garantit le contrôle de l'entreprise, avec seulement 14 % des actions.

Que l'on aime ou non la famille Beaudoin, l'abandon de ce contrôle rendrait l'entreprise vulnérable à une prise de contrôle étrangère. Avec la faiblesse du cours de l'action de Bombardier et du dollar canadien, Boeing ou Airbus seraient en mesure de mettre la main sur Bombardier pour une bouchée de pain, avec des effets déstructurants considérables pour notre économie.

Le gouvernement fédéral a aussi soulevé la possibilité de délocaliser une partie des activités de Bombardier dans le reste du Canada, en échange du crédit demandé. Cette concession viendrait affaiblir la grappe aéronautique du Grand Montréal, qui tire sa force du fait que les entreprises et leur main-d'œuvre spécialisée sont concentrées dans une même région.

La presse anglo-saxonne et des élus du Canada anglais ont aussi suggéré de rendre le soutien conditionnel au passage de l'oléoduc d'Énergie Est au Québec.

La grappe aéronautique fait face à de nombreux défis, et chaque joueur qui s'en retire vient l'affaiblir. Les pertes d'emplois chez Bell Helicopter, CAE et Bombardier ont de terribles effets sur l'ensemble de la grappe. Même chose pour l'abandon du centre d'entretien Aveos qui contrevient pourtant à la loi fédérale.

L'aéronautique est un pilier de l'économie québécoise. Il s'agit du secteur qui génère le plus de valeur ajoutée dans notre économie. L'attitude méprisante d'Ottawa et du Canada anglais à son égard est plus que condamnable.

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