Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

L'instrumentalisation politique de l'histoire

Je ne crois pas que les conservateurs soient assez bêtes pour penser pouvoir imposer, au Québec ou ailleurs dans le Canada, un nouveau récit historique national. Non seulement, c'est hors de leur compétence fédérale, mais, en plus, la levée de boucliers actuelle démontre que ça ne passerait pas. Par contre, cela ne veut pas dire que le geste est sans conséquence.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.
Alamy

L'idée de la Chambre des communes de procéder à un examen de l'enseignement de l'histoire fait beaucoup réagir. Tentons d'être rationnels.

Je ne crois pas que les conservateurs soient assez bêtes pour penser pouvoir imposer, au Québec ou ailleurs dans le Canada, un nouveau récit historique national. Non seulement, c'est hors de leur compétence fédérale, mais, en plus, la levée de boucliers actuelle démontre que ça ne passerait pas. Par contre, cela ne veut pas dire que le geste est sans conséquence, car, comme il le fait avec la célébration de la guerre de 1812-1813, le gouvernement fédéral est en mesure de promouvoir certains pans de l'histoire qui servent, mieux que d'autres, l'unité nationale du pays.

Au fond, ce qui devrait nous mettre dans tous nos états, c'est davantage ce nouveau «débat» sur le contenu des cours d'histoire. Tant et aussi longtemps que l'histoire sera perçue (et enseignée) comme une histoire-récit, les tentatives de récupération politique referont surface sporadiquement. À ce chapitre, la Coalition pour l'histoire n'apporte rien de plus intéressant que ce que le gouvernement conservateur fait avec la guerre de 1812 (et que ce qu'il veut probablement faire en enquêtant sur l'enseignement de l'histoire à travers le pays). Elle tente seulement de le faire dans une perspective nationaliste-québécoise plutôt que nationaliste-canadienne. Il s'agit de la même approche instrumentale de l'histoire à des fins partisanes. Voici un fait qui devrait sonner quelques cloches aux sympathisants de la Coalition. La fin justifie-t-elle vraiment les moyens?

Ce qu'il faut plutôt espérer, c'est une reconsidération de notre conception de l'histoire. Il faut que l'histoire-récit devienne une histoire-construit(e). Il faut apprendre aux jeunes dans nos écoles à se construire une compréhension de l'histoire qui leur permette de développer des outils intellectuels: sens critique, sens de l'analyse, sens du doute face à ce qui semble être une vérité établie,etc. Ce sont ces outils qui permettront aux citoyens de demain de devenir des citoyens bien informés, conscients d'eux-mêmes, de leur place, de leur capacité d'action, des jeux de pouvoir et des causes (parfois historiques) des débats de société.

Tous les historiens le disent (même ceux de la Coalition qui contestent l'actuel programme de formation de l'école québécoise): il est impossible d'enseigner toute l'histoire du monde (ou même d'enseigner toute l'histoire du Canada et du Québec). Dès lors, des choix de contenu s'imposent. Si, par contre, nous choisissons plutôt de développer des outils de compréhension, l'histoire du monde (peu importe l'espace-temps choisi) est à la portée de celui qui veut bien s'y intéresser. Et pour ceux qui ne le veulent pas, ils auront alors au moins acquis des outils de compréhension, ils auront développé leur intellect et ils auront,, bien entendu, élargi leur culture générale durant leur cours d'histoire au secondaire.

Pierre Bonnechere, un historien, professeur à l'Université de Montréal, qui n'a jamais vraiment pris part publiquement au débat sur l'histoire enseignée au secondaire, a pourtant écrit «l'esprit critique serait la première qualité à développer à l'école, plutôt que l'uniformisation [du discours historique]». Je suis tombé sur cette phrase en apparence anodine en lisant un livre de la collection «Profession» qui explique au grand public, en une centaine de pages, ce qu'est le métier d'historien (et ce qu'est par conséquent l'Histoire avec un grand H).

Ce livre, je l'ai trouvé dans le rayon d'une bibliothèque d'école secondaire. Je ne serais pas surpris que beaucoup d'élèves soient perplexes quant à la description de l'histoire qui y est faite. Pourquoi? Parce que bien souvent ce n'est pas ce qu'ils apprennent dans leur cours. Ce qu'ils apprennent, c'est une histoire, pas l'Histoire en tant que science sociale reconnue pour sa méthode rigoureuse qui permet d'enquêter à travers le temps à la recherche du vrai. C'est cette méthode qui, lorsqu'acquise, nous prémunit, du moins en partie, contre la désinformation, la propagande et le mensonge, car elle aiguise l'esprit en l'habituant à considérer le contexte, la nature et l'auteur d'une source d'information.

Cette habitude n'est pas uniquement utile en histoire, elle devrait aussi l'être chaque fois que nous sommes face à une question socialement vive ou encore à une information rapportée par un chroniqueur ou un journaliste du web quelconque. Pour l'illustrer, je reprendrai ici une autre citation du professeur Bonnechere: «Combien de personnes ont-elles remarqué que Ben Laden a été déclaré mort puis vivant une dizaine de fois? Qu'une agence de presse le déclare vivant, toutes les télévisions du monde lui emboîtent le pas et les gens acceptent cette information sans plus de sens critique qu'ils n'en avaient la veille à l'annonce de sa mort».

Ceci étant dit, soyons rationnels. Le gouvernement conservateur n'est pas à la recherche du vrai et ne se questionne visiblement pas sur la place, le rôle, la fonction ou même l'enseignement de l'histoire en soi, mais plutôt sur les contenus d'une histoire-récit qu'on voudrait sans doute bien modifier à des fins d'unité nationale. Pardonnez mon cynisme, je ne suis pourtant pas disciple de Diogène, mais je dois avouer, sur une note éditoriale, que le gouvernement fédéral n'en serait pas à sa première offensive de désinformation et d'instrumentalisation de nos institutions.

Pour terminer, j'ajouterais que le meilleur moyen de contrer cette instrumentalisation de l'histoire qu'on enseigne dans nos écoles, c'est de mettre au coeur de notre démarche le développement de l'esprit critique. Une fois que ce sera fait, nous n'aurons plus à craindre la désinformation, car chacun aura ce dont il a besoin sur le plan intellectuel pour comprendre le monde dans lequel il vit.

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

La réforme de l’assurance-emploi

Quelques controverses du gouvernement Harper

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.