Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Pourquoi j'ai accepté l'invitation de l'école religieuse Le Savoir

Certains me reprocheront d'avoir accepté cette invitation à l'école Le Savoir. Je persiste et signe: l'intégration doit passer par le dialogue et l'ouverture d'esprit plutôt que par l'exclusion et la suspicion.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

Jeudi le 9 avril, répondant à l'invitation de son directeur pédagogique, Maurice Lamothe, j'ai passé une demi-journée à l'école secondaire Le Savoir. Très franchement, j'ai hésité longuement à accepter l'invitation de cette école privée communautaire et religieuse. J'avais des questions et des doutes: quelle éducation donne-t-on aux jeunes? Comment cette école est-elle financée? Le discours religieux est-il conservateur? En somme, moi qui suis athée, laïque, porte-parole d'un parti féministe qui veut abolir progressivement les subventions aux écoles privées - y compris religieuses - qu'est-ce que j'irais faire dans cette galère?

Ce qui m'a décidée: la curiosité. On dit tant de choses sur l'islam, les écoles religieuses, l'endoctrinement des enfants. En ces temps où fleurit l'intégrisme religieux et où augmente la radicalisation d'une frange de jeunes; en ces temps aussi de montée de l'islamophobie, je veux voir par moi-même. Je l'ai fait, après tout, il y a quatre ans lorsque j'ai rencontré des femmes portant le voile pour comprendre leurs motivations. J'ai raconté ces rencontres dans le livre De colère et d'espoir publié en 2011.

Donc, au matin du 9 avril, je me suis mise en route pour Pierrefonds.

L'école Le Savoir

L'école est petite, pas luxueuse du tout et abritée dans une ancienne école primaire. Elle accueille une centaine de jeunes, cette année. Elle a un permis du ministère de l'Éducation, mais n'est pas subventionnée. Elle suit à la lettre le programme du ministère et donne, en plus, des cours d'arabe, de coran et d'étude islamique. Ces cours prennent, en tout, trois heures par semaine. L'école est située à côté d'une mosquée où les jeunes qui le désirent peuvent aller prier. Elle est francophone, ses élèves sont en majorité maghrébins, parlent bien français. Parmi les élèves, 50 % de filles. Même chose dans le corps enseignant. Filles et garçons partagent les mêmes classes et généralement les mêmes activités.

Lors de la visite de l'école, le directeur, monsieur Yahiaoui me montre avec fierté le laboratoire de sciences. Il a été financé grâce au Koweït. Le directeur me dit: «On manque d'argent alors on a demandé une subvention». De grandes affiches de l'anatomie humaine sont exposées au mur et l'armoire abrite plusieurs instruments de recherche. Les élèves de l'école Le Savoir suivent des cours de maths et sciences enrichis et l'immense majorité va au cégep une fois les études secondaires terminées. J'ai visité aussi la bibliothèque où toutes sortes de livres se côtoient. On y lit aussi bien Mary Higgins Clark que des livres sur la flore du Québec ou d'autres ouvrages anciens et des bandes dessinées. En classe, les élèves lisent Le libraire de Gérard Bessette, L'étranger de Camus, Le dictionnaire philosophique de Voltaire, Les confessions de Rousseau. Après avoir lu Les Belles-sœurs de Michel Tremblay, un groupe d'élèves de secondaire 5 est allé voir sa version en comédie musicale. Le film Polytechnique a été projeté à l'école. Bref, on est loin d'un conservatisme excluant toute dimension critique.

Le clou!

Nous avions prévu que je m'adresserais à une trentaine d'élèves de secondaire 3, 4 et 5 durant une heure trente. J'avais choisi mon sujet: la lutte historique des femmes québécoises pour l'égalité. Je voulais échanger aussi avec des jeunes, garçons et filles, sur la situation des femmes aujourd'hui. Monsieur Lamothe m'avait dit: «Vous avez carte blanche, ils sont allumés et curieux».

J'ai donc raconté en 30 minutes l'histoire des luttes féministes au Québec. J'ai poursuivi en parlant des luttes actuelles contre l'austérité, les agressions sexuelles, les discriminations particulières qui touchent les femmes autochtones et immigrantes. Et j'ai attendu les questions... qui ne sont pas venues. Timidité?

J'ai donc pris le taureau par les cornes et c'est moi qui ai posé des questions: «Comment ca se passe dans votre famille? Est-ce que les filles font toutes les tâches ménagères? Qui fait la vaisselle ici? Les filles ont-elles les mêmes droits de sortie que les gars?»

Ce sont surtout les filles qui m'ont répondu! Et, bien sûr que non, les tâches et les droits ne sont pas les mêmes! Elles gloussaient lorsque je leur racontais que mes frères sortaient les poubelles deux fois par semaine pendant que mes sœurs et moi faisions la vaisselle tous les jours. Mais nous avons repris notre sérieux lorsque j'ai demandé aux élèves s'ils-elles avaient déjà une idée des métiers ou professions qu'elles exerceraient plus tard. Ce sont encore les filles qui répondent fièrement: cardiologue, architecte, ingénieure civile, pharmacienne. Une autre veut être militaire dans l'armée tunisienne qu'elle trouve macho et dont elle veut changer la mentalité! Bravo les filles!

Du côté des garçons, silence radio sauf pour un jeune homme qui veut devenir politicien. Je lui demande ce qu'il faut apprendre pour ce faire, il me répond: savoir mentir! Éclat de rire général. Cela me permet de remettre quelques pendules à l'heure, car non, les politiciens et politiciens ne mentent pas tous!

Et finalement, quelques filles ont retrouvé leur contenance et m'ont présenté d'autres questions: Que pensez-vous du Plan Nord? Quelle est votre position sur la grève étudiante? Les dernières statistiques montrent que les musulmans sont très instruits, mais leur taux de chômage est élevé, qu'en pensez-vous?

La dernière question d'un garçon a suscité un débat intéressant! «Si vous devenez première ministre du Québec, que ferez-vous avec les écoles musulmanes?» À la blague, j'ai demandé si on avait deux heures devant nous... puis j'ai répondu clairement: la position de Québec solidaire, c'est l'abolition progressive du financement de toutes les écoles privées, religieuses ou non.

Le directeur m'a alors interpellé avec franchise. Il a souligné combien une école comme Le Savoir est précieuse puisqu'elle forme adéquatement des jeunes qui deviendront le plus souvent des professionnels qualifiés. Selon lui, l'éducation de ces jeunes coûte moins cher à l'État que si l'école publique devait les accueillir tous. Ce discours n'est pas différent de celui que j'ai entendu de plusieurs directions d'écoles privées au Québec.

J'ai continué à expliquer: Moi je rêve d'une école publique et laïque, incluant tous les enfants, toutes origines, classes sociales et religions (ou absence de religion) confondues! Une école où les parents s'engagent ensemble avec les enseignants et la direction à améliorer ce qui doit l'être.

Cette discussion illustre la difficulté à concilier des aspirations communautaires et religieuses avec un projet inclusif, englobant, laïque, qui réunit tous les enfants du Québec dans une école conçue pour les accueillir tous.

J'ai demandé: «Expliquez-moi pourquoi des parents paient 4000$ pour une école secondaire qui offre le programme du ministère de l'Éducation alors que leurs enfants pourraient être éduqués dans une école publique gratuite». La réponse: «Nos parents cherchent à la fois une école de qualité, performante et qui réunit des jeunes et leurs familles, partageant les mêmes valeurs. Celles-ci ne sont pas du tout incompatibles avec les valeurs québécoises auxquelles nous adhérons. Mais les jeunes évoluent à l'école Le Savoir dans un milieu où la culture familiale est présente. Voilà pourquoi nous préférons dire de notre école qu'elle est communautaire plutôt que religieuse. Elle reflète une identité commune, des traditions et oui, une religion que chaque jeune exprime à sa façon.»

Vous imaginez ma réaction! «Si on choisit ce modèle pour le Québec, alors chaque communauté sera atomisée et le vivre-ensemble deviendra difficile, voire impossible.» Mes interlocuteurs comprenaient mon point de vue et ne le contestaient pas. Ils tenaient à me dire que leurs élèves faisaient huit sorties par année dans des musées, au théâtre, dans des lieux sportifs (parc aquatique, Mont Avila), dans des écoles juives ou chrétiennes... Ils lisent des ouvrages québécois, connaissent nos chanteurs et chanteuses francophones, voient des films québécois. La direction et les enseignants travaillent donc à ne pas les isoler... tout en les regroupant dans une petite école ouverte en 2007 par des parents désireux de voir leurs enfants évoluer dans un milieu traditionnel qui donne aux familles un sentiment de sécurité.

Que conclure?

La visite de l'école Le savoir a été instructive. On est ici dans une zone grise, bien loin du noir et du blanc. Des jeunes filles portant le voile (car oui, elles le portent...) veulent se lancer dans des carrières scientifiques, des professeurs les branchent sur la culture québécoise, on donne le cours d'éthique et culture religieuse et non seulement un cours sur l'islam, garçons et filles évoluent ensemble et l'enseignement me paraît de bonne qualité. D'un autre côté, on est visiblement dans un milieu qui maintient des valeurs traditionnelles (il n'y a pas de danse à l'école) que les parents souhaitent conserver au nom d'une identité d'appartenance au pays et à la culture d'origine.

Je comprends le désir de ne pas couper les ponts avec la culture d'origine. Mais il y a tant de moyens pour y arriver et ces moyens existent déjà: école du samedi, associations culturelles, lieux de culte, etc. L'école doit plutôt être le creuset de l'appartenance collective à un Québec majoritairement francophone, aux valeurs partagées, en toute connaissance de l'histoire et de la culture québécoise.

Oui à une école publique forte à qui on donne les moyens d'accueillir tous les enfants! Mais on convient que certaines écoles demeureront privées et qu'elles auront droit de cité tant qu'elles respecteront des valeurs communes à toute la société québécoise et qu'elles dispenseront un enseignement conforme aux exigences du ministère de l'Éducation.

Dans le climat actuel de polarisation au Québec concernant la laïcité - et notamment le port du voile musulman - certains me reprocheront d'avoir accepté cette invitation à l'école Le Savoir. Je persiste et signe: l'intégration doit passer par le dialogue et l'ouverture d'esprit plutôt que par l'exclusion et la suspicion. Plus nous apprendrons à nous connaître et partagerons nos visions du monde respectives, plus nous réussirons à vivre sereinement ensemble et à créer des liens sur la base de ce qui nous rassemble. On m'a donné l'occasion de parler des luttes féministes ainsi que de l'égalité entre les hommes et les femmes à des élèves du secondaire et j'ose espérer que mes idées feront du chemin dans la tête de ces jeunes filles et ces jeunes hommes qui m'ont écoutée avec attention.

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Mai 2017

Les billets de blogue les plus lus sur le HuffPost

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.