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Sida: ce qu'il faut retenir de la Conférence de Melbourne

La lutte pour l'égalité des droits et contre la stigmatisation et la discrimnation des populations les plus vulnérables à été l'un des focus de la conférence. Les résultats des politiques répressives sont désastreux sur le plan humain et sanitaire et les gouvernements qui les appliquent doivent faire face à leur responsabilités: veulent-ils lutter efficacement contre l'épidémie de sida ou veulent-ils être responsable d'une nouvelle flambée épidémique.
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La Conférence internationale contre le sida se déroule tous les deux ans et elle est un temps fort pour les scientifiques, les communautés de personnes vivant avec le VIH, la société civile les médias et tous ceux qui nous suivent depuis tant d'années. Mais cette 20e édition a été évidemment marquée par la tragédie du crash du vol MH17 quelques jours avant son ouverture.

À l'annonce de ce drame, mon premier sentiment a été le choc face à cette violence inacceptable suivi d'une immense douleur à la pensée des 298 passagers et de leurs familles en particulier ceux qui se rendaient à la conférence et que pour certains nous connaissions depuis de nombreuses années. Encore aujourd'hui, j'ai du mal à accepter ne plus revoir Joep Lange que je connaissais depuis les années 90; ne plus revoir Jacqueline van Tongeren, sa compagne qui a également consacré sa vie aux patients. Leurs disparitions ainsi que celle des quatre autres délégués a jeté un immense voile de tristesse sur la conférence. Fallait-il la maintenir ? Cela a été évoqué, mais de façon extrêmement brève. Nous savions tous que nous nous devions de continuer au-delà de la peine, sans eux, mais pour eux. Montrer que face à l'adversité la communauté du sida opposait la solidarité et la détermination à poursuivre leur engagement c'était le moyen de rendre hommage à ces 6 personnes qui croyaient qu'un monde meilleur était possible.

D'ailleurs, la lutte pour l'égalité des droits et contre la stigmatisation et la discrimination des populations les plus vulnérables à été l'un des focus de la conférence. On ne peut pas rester les bras ballants face aux politiques répressives à l'encontre des homosexuels, des usagers de drogue ou des travailleuses du sexe. Les résultats de ces politiques répressives sont désastreux sur le plan humain et sanitaire et les gouvernements qui les appliquent doivent faire face à leurs responsabilités : veulent-ils lutter efficacement contre l'épidémie de sida ou veulent-ils être responsables d'une nouvelle flambée épidémique. C'est la raison pour laquelle nous avons lancé la Déclaration de Melbourne et j'incite tous ceux qui veulent la signer à le faire.

Nous devons continuer à faire pression sur les gouvernements des pays qui mettent en pratiques ces lois discriminatoires, mais aussi avoir une attitude plus ferme à leur encontre. Par exemple conditionner tout ou partie des fonds attribués à ces pays au respect d'un certain nombre de droits humains fondamentaux. Évidemment ce n'est pas si simple. Nous savons tous qu'un désengagement des organisations finançant les traitements peut avoir des conséquences pour les malades eux-mêmes. Nous avons au sein de la Société internationale sur le sida (IAS) un groupe de travail coprésidé par Chris Beyrer le nouveau Président de l'IAS et Michel Kazatchkine qui travaillent sur ces sujets. Ce suivi va passer par la rédaction de prises de position, de contacts avec les gouvernements, et de liaisons avec des organisations internationales comme l'OMS, l'ONUSIDA, le Fonds mondial pour ensemble établir les mesures à prendre dans ces pays. Nous ne pouvons pas fermer les yeux sur ce qui se passe dans ces pays c'est non seulement une obligation morale, mais aussi un devoir absolu de protection, il en va souvent de la vie même de certaines personnes.

La Conférence de Melbourne a également dit qu'il fallait faire plus en matière de mise sous traitement. Bien qu'aujourd'hui 13 millions de personnes dans le monde reçoivent actuellement un traitement, cela n'est toujours pas assez. Les recommandations de l'OMS indiquent qu'il faut mettre au moins le double de personnes sous traitement. Nos données sont claires : plus le traitement est démarré tôt plus le bénéfice est important à titre individuel pour le patient, mais aussi collectif en prévenant la transmission. Cela signifie que des efforts encore plus importants pour dépister un maximum de personnes. Aujourd'hui plus d'une personne sur deux ignore qu'elle est séropositive dans le monde. Cela nécessite bien sûr un engagement financier accru de la part des pays donateurs, mais il faut aussi que les pays émergents financent à leur tour non seulement leur propre système de santé et qu'ils contribuent également à ceux d'autres pays au nom de la solidarité internationale.

À Melbourne des activistes ont perturbé gentiment la présentation de Bill Clinton lui demandant de soutenir la mise en place d'une taxe sur les transactions financières. Il est regrettable d'avoir évoqué ce nouveau mécanisme financier comme étant une solution pour le futur non seulement pour le VIH, mais pour améliorer la santé des pays à revenus limités et de ne toujours pas réellement l'appliquer au niveau européen, voire plus largement. Pire nous assistons à un certain détournement de cette taxe vers des objectifs qui n'étaient pas ceux initialement envisages et il semble qu'actuellement il s'agit plus de combler les caisses vides en raison de la crise économique que d'allouer les bénéfices de la taxe au développement. En France il y a un petit pourcentage qui reste et je l'espère qui restera pour la santé et le développement, mais il faut que les autres pays suivent. Cela va être la prochaine bataille, faute de quoi nous ne pourrons pas mettre plus de patients sous traitements, nous ne pourrons pas augmenter la prévention, nous ne pourrons pas continuer la mobilisation pour l'extension de mesures de réduction des risques.

Je suis heureuse que Durban ait été choisie pour accueillir la prochaine Conférence en 2016 soit seize ans après celle qui avait connu un retentissement mondial en 2000. Durban 2000 a marqué mon retour aux conférences sida. J'avais arrêté d'y participer pendant plusieurs années, probablement parce que je n'en voyais pas suffisamment d'impact en faveur des progrès scientifiques. Ni sur l'accès aux traitements, ni sur la prise en charge des patients qui mourraient par milliers dans le monde alors que les médicaments étaient disponibles dans les pays nord, le sud n'y avait pas accès. Si je suis retournée à Durban comme beaucoup d'autres c'est parce qu'il était grand temps de faire une action puissante au niveau du gouvernement et des autorités d'Afrique du sud. Nous avons tous en mémoire les déclarations du président de l'époque et de sa ministre de la santé et son opinion vis-à-vis de l'infection qu'elle estimait ne pas être due à un virus. Cette conférence a eu un impact extraordinaire grâce aussi au soutien de Nelson Mandela. Grâce aussi au juge Cameron qui lors de la conférence a déclaré que si il était encore en vie c'est parce que lui Juge à la Cour suprême avaient les moyens suffisants pour se payer son traitement antirétroviral.

Durban 2016, sera aussi importante pour cela. Et malgré les efforts qui sont faits en Afrique du Sud, il y a une incidence et une prévalence de l'infection très élevée. Cela montre combien il faut continuer les efforts de dépistage, d'accès aux soins, aux traitements, mais aussi de faire en sorte qu'ils continuent ce traitement qui est ne l'oublions jamais à vie. C'est tous ensemble que nous pouvons y parvenir.

Françoise Barré-Sinoussi, prix Nobel de médecine 2008 et Présidente de la Conference internationale contre le sida de Melbourne

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