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Le droit au logement, c'est plus qu’avoir un toit sur la tête

Nous croyons que c’est une approche plus globale qu’il faut maintenir et développer si l’on veut véritablement s’attaquer avec succès au phénomène de l’itinérance.
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Pour certaines personnes vulnérables itinérantes, ou à risque de le devenir, aux prises avec une instabilité résidentielle, la reconnaissance du droit au logement nécessite plus qu'avoir un toit sur la tête. Au cours des années 80, afin de s'attaquer à ce problème d'instabilité, un groupe d'intervenants communautaires des quartiers centraux de Montréal, impliqués auprès de cette population vulnérable, ont développé un réseau d'OSBL logement avec du soutien communautaire. En 1987, la Fédération des OSBL d'habitation de Montréal est créée avec pour mission de promouvoir cette façon de faire. Depuis, cette pratique s'est graduellement étendue et adaptée aux besoins et aux réalités des locataires vulnérables des ensembles de logements communautaires situés dans les grands centres urbains du Québec.

En novembre 2007, après plus de 15 années de lutte intense de la part d'intervenants du logement social, le gouvernement du Québec adopte le Cadre de référence sur le soutien communautaire en logement social. À cette époque, malgré cette reconnaissance, le montant accordé pour appuyer la première phase de cette intervention intersectorielle s'élève à 5 M $. Sans y injecter d'autres sommes d'argent, cette reconnaissance du logement avec soutien communautaire sera à nouveau réaffirmée par le gouvernement du Québec en 2014 avec l'adoption de la Politique nationale de lutte à l'itinérance.

Devant ce sous-financement chronique, plusieurs OSBL d'habitation vont faire appel au programme fédéral Initiative de partenariats de lutte contre l'itinérance, communément appelé IPAC, pièce maitresse de la Stratégie nationale des sans-abri annoncée en 1998 par le gouvernement Chrétien. Ce programme évalue que le phénomène de l'itinérance est un problème complexe qui touche une multitude de personnes et familles itinérantes ou à risque de l'être et pas uniquement ceux et celles qui sont à la rue de façon chronique. Il préconise une approche généraliste allant du travail de rue jusqu'au logement permanent avec accompagnement. Le gouvernement du Québec d'alors, reconnaissant cette vision généraliste et jalouse de ses prérogatives constitutionnelles, va mettre davantage l'accent sur cette approche dans une entente Canada/Québec.

Au cours des dernières années, cette approche généraliste sera de plus en plus délaissée par la formule Logement d'abord, qui privilégie le logement privé et qui s'adresse uniquement aux itinérants chroniques.

Au cours des dernières années, cette approche généraliste sera de plus en plus délaissée par la formule Logement d'abord, qui privilégie le logement privé et qui s'adresse uniquement aux itinérants chroniques. En 2013, bénéficiant d'un intérêt grandissant de nombreux élus du gouvernement fédéral, Logement d'abord sera finalement privilégié par le gouvernement Harper et, plus récemment, par celui du gouvernement Trudeau.

En 2015, les gouvernements du Québec et d'Ottawa renouvellent une entente intitulée Stratégie de partenariats de lutte contre l'itinérance (SPLI) pour la mise en œuvre du programme entre 2015-2019. Malgré ses engagements à maintenir le modèle québécois axé sur une approche généraliste et soutenir adéquatement les ressources dédiées au logement social avec soutien communautaire, le gouvernement Couillard va faire fit de ses compétences constitutionnelles et de ses politiques en se pliant honteusement à cette nouvelle orientation fédérale « Logement d'abord ». Désormais, c'est 65 % du budget de la SPLI qui est dévolu vers cette approche au Québec.

Le 6 mars dernier, le MSSS a annoncé qu'il injectait 11M$ en soutien aux personnes en situation d'itinérance d'ici 2023. Cet argent sera exclusivement dirigé vers le secteur privé via l'approche Logement d'abord, et ne touchera pas les projets de logement social avec soutien communautaire.

Quelque jours après, soit le 13 mars, la ministre déléguée à la Réadaptation, à la Protection de la jeunesse, à la Santé publique et aux Saines habitudes de vie, madame Lucie Charlebois, a annoncé qu'un dénombrement des personnes en situation d'itinérance visible sera réalisé le soir du 24 avril prochain dans 11 régions du Québec. Malgré les propos rassurants de la ministre, nous estimons que ce dénombrement est conçu d'abord pour déterminer les besoins d'hébergement des itinérants chroniques et évaluer les budgets nécessaires à l'approche Logement d'abord. Ces annonces démontrent clairement les préférences idéologiques que le gouvernement Couillard privilégie à l'égard de la lutte à l'itinérance. En parfaite harmonie avec les orientations fédérales et son programme politique, ce gouvernement s'enligne de plus en plus vers le modèle de l'aide à la personne au lieu de l'aide à la pierre au détriment des orientations définies dans la Politique nationale de lutte à l'itinérance et le Cadre de référence sur le soutien communautaire en logement social adopté par l'Assemblée nationale.

Ces annonces démontrent clairement les préférences idéologiques que le gouvernement Couillard privilégie à l'égard de la lutte à l'itinérance.

La grande majorité des organisations regroupées au sein du Réseau solidarité itinérance Québec, du Réseau québécois des OSBL d'habitation et du FRAPRU, qui travaillent depuis plusieurs années dans le domaine de la lutte à l'itinérance, soulignent les limites de cette approche qui ne répond pas aux problématiques plus larges de l'itinérance. Ils sont également convaincus que celle-ci n'est pas appropriée pour la majorité des personnes visées, soit celles en situation d'itinérance chronique.

Ces personnes en situation de survie, faisant souvent face à de la désaffiliation et ayant adopté des modes de vie plutôt marginaux, une fois logées, ont besoin de milieux de vie tolérants avec des services de soutien communautaire, ce que le secteur privé ne peut leur offrir. L'aspect communautaire est un facteur clé dans une réinsertion sociale. Le logement social leur offre des opportunités de socialiser, de s'entraider et de participer à des activités. Des logements sociaux adaptés aux besoins des personnes en détresse sont essentiels quand vient le temps de répondre à des problématiques plus complexes. L'expression simpliste « l'aide à la personne vaut mieux que l'aide à la pierre » est trop souvent utilisée par certains politiciens comme si la solution reposait seulement sur une aide à la personne au cas par cas sans les infrastructures spécifiques pour répondre aux personnes faisant face à des problèmes liés au logement. De plus, cette approche n'offre aucune pérennité, car elle est tributaire de la bonne volonté des propriétaires et de la poursuite du programme. Le recours au privé ne réglera en rien le manque de logements sociaux.

Dans le budget fédéral de 2017, un financement doublé pour la décennie 2019-2028 a été annoncé pour la Stratégie de partenariats de lutte contre l'itinérance (SPLI). Si ces fonds supplémentaires constituent une bonne nouvelle, l'orientation avec laquelle ils seront affectés, de même que les sommes qui seront disponibles pour le Québec, ne sont pas encore connues à ce jour.

Pour assurer le développement et la pérennité du modèle de lutte à l'itinérance que nous avons développé au Québec, il nous apparaît crucial et impératif que les gouvernements d'Ottawa et de Québec affectent rapidement de nouveaux fonds avec une approche globale permettant de soutenir une diversité d'interventions notamment vers logement social avec soutien communautaire afin de prévenir et réduire l'itinérance. Cette orientation sera centrale pour pouvoir poursuivre et consolider les actions à mener dans la prochaine décennie.

Comme pour une majorité d'organismes et de regroupements qui se questionnent sur l'efficacité de ce virage dans la lutte à l'itinérance, nous estimons qu'un des problèmes fondamentaux au Québec, comme dans le reste du Canada, reste lié au manque de logements sociaux. En accord avec la politique québécoise de lutte à l'itinérance, nous croyons que c'est une approche plus globale qu'il faut maintenir et développer si l'on veut véritablement s'attaquer avec succès au phénomène de l'itinérance.

Avril 2018

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