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Quand notre cerveau s'inquiète

Malgré son importance dans nos vies, l'anxiété n'est pas une fatalité.
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On sursaute au moindre bruit. On a des papillons dans le ventre. On a le dos crispé. On ressasse une conversation ou une scène stressante au lieu de s'endormir.

Les humains sont des spécialistes de la peur. Ils peuvent avoir peur longtemps d'avance, peur pour les autres et peur d'avoir peur. C'est le prix à payer pour avoir développé une grande imagination.

Nous naissons tous avec des programmes instinctifs de peur qui peuvent être déclenchés par un petit nombre de signaux importants comme des bruits forts ou des visages menaçants. À partir de ce répertoire limité, notre cerveau apprend par association ou par l'exemple tout un répertoire de réactions de peur à de nombreuses situations.

Les circuits de la peur apprennent vite, parfois trop vite, créant une anxiété. Dans l'enfance, l'anxiété peut s'exprimer par des phobies (noirceur, hauteurs, animaux, orages). Elle peut aussi toucher des thèmes sociaux comme l'éloignement ou la perte de nos proches (anxiété de séparation) ou le regard des autres (timidité, anxiété sociale).

Certains ont même peur d'avoir peur. Ils anticipent tellement bien leur peur qu'ils la provoquent, comme l'enfant qui commence à avoir peur de tout et de rien après le repas du soir parce que le coucher approche. Les enfants autistes peuvent développer plusieurs phobies peu courantes en quelques mois (ex: toilettes, eau, escaliers, appareils ménagers, alarmes, étrangers, mort) dont certaines peuvent avoir des effets très néfastes sur leur développement (ex: refus d'aller à l'école) et leur santé (ex: constipation extrême).

Les différences entre les anxieux et les moins anxieux sont dues à de nombreux facteurs (génétiques, stress du fœtus, stress en bas âge, expériences de vie, traumatismes). Pour freiner la peur, le cerveau utilise des circuits de régulation émotionnelle qui évaluent les risques en fonction de nos priorités, nos valeurs et notre tempérament. Des variations dans ces circuits rendent les gens plus ou moins inquiets, courageux, prudents ou téméraires. Quand ces circuits ont des fragilités particulières, on peut développer un trouble anxieux comme la phobie, l'anxiété sociale, le trouble panique ou le trouble de stress post-traumatique.

La peur est essentielle car elle mobilise notre corps et notre esprit pour réagir aux menaces potentielles.

1)Elle contracte nos muscles pour nous préparer à agir (fuir ou combattre). Très pratique pour les dangers imminents (ex: lion ou voiture qui s'approche), la réaction musculaire est moins adaptée aux nombreuses situations stressantes vécues ou imaginées à chaque jour. Un dos crispé est souvent dû à l'accumulation de centaines de petites réactions d'inquiétude à peine conscientes.

2)Elle mobilise aussi nos hormones de stress pour nous rendre prêts à dépenser de l'énergie pour réfléchir et pour agir. Pour prioriser l'action, la peur freine même les autres systèmes comme la digestion (crispation intestinale, perte d'appétit).

3)Elle augmente notre sensibilité pour nous aider à analyser la situation («c'est quoi ce petit bruit?»). La facilité à déclencher un réflexe de sursaut est un indice d'anxiété.

4)Elle nous fait repenser de façon répétée aux situations stressantes pendant un certain temps (scène violente, conversation stressante) pour tenter d'en tirer des leçons et s'en rappeler. Dans le stress post-traumatique, les flashbacks peuvent être terrorisants et ils aggravent l'anxiété en rendant le souvenir du traumatisme plus permanent. Plusieurs traitements visent à réduire leur fréquence et leur impact.

5)Elle stimule les associations d'idées et nous fait imaginer des scénarios pour prévoir les dangers possibles. Ces pensées peuvent être très utiles mais elles créent aussi un cercle vicieux qui alimente la peur. Ces boucles d'anxiété peuvent nous garder éveillés quand on veut s'endormir et peuvent nous rendre agités ou irritables avant un évènement spécial (voyage, déménagement, rentrée). Les personnes anxieuses peuvent même devenir obnubilées par un thème stressant (rumination mentale). Quand le cerveau cherche des raisons de s'inquiéter, il en trouve toujours.

6)La peur est une grande source de distraction. Quand les inquiétudes dominent la pensée, on a des difficultés à se concentrer et à formuler des idées car la peur impose ses thèmes qui nous distraient constamment.

7)L'anxiété peut se propager comme un virus. Par conditionnement, les circuits de peur tissent des liens avec des situations similaires à celles qui nous font déjà peur. Vivre une situation dangereuse (ex: un feu) dans un endroit bondé peut générer une phobie qui, avec le temps, se généralise aux endroits dont on ne peut facilement fuir (ascenseurs, avions, foules).

8)La peur est aussi contagieuse, car lire les émotions des autres, c'est un peu les reproduire dans notre cerveau. Les personnes qui ont peur sont plus sensibles à la peur des autres.

La peur peut nous figer autant que nous mobiliser. Figer sert à éviter le danger comme le lièvre qui s'immobilise au moindre bruit suspect.

1)La peur peut rendre les jambes molles, une réaction associée à l'immobilisation (ex: la phobie des hauteurs).

2)La peur fige aussi la voix, lui donnant un trémolo ou une baisse de volume qui révèle une baisse d'assurance (ex: parler en public).

3)La peur peut aussi figer l'imagination et la pensée. Elle réduit l'ouverture d'esprit. On évite les idées risquées, on s'en tient à ce qui est connu, parce qu'on a peur de ce que les autres vont penser. On remet à plus tard une conversation délicate ou un travail stressant. Quand on surévalue les risques et qu'on sous-évalue les opportunités, on évite les défis qui nous font avancer. On peut aussi devenir surprotecteur, pour soi ou pour nos proches.

4)L'exposition à la violence peut produire une perte de sensibilité, un blocage ou émoussement émotionnel. On observe souvent ce genre de blocage dans le stress post-traumatique (ex : soldats exposés au combat) ou chez les jeunes régulièrement exposés à la violence. Il a des effets négatifs sur les interactions sociales, les relations de couples et l'adaptation à son milieu.

5)Le cerveau peut même prendre des mesures extrêmes pour éviter la peur. Il peut parfois nous faire vivre une déconnexion partielle de la réalité (dissociation) comme percevoir notre environnement comme irréel, comme dans un rêve (déréalisation), nous faire percevoir nous-même comme étranger (dépersonnalisation) ou encore oublier des évènements traumatisants (amnésie dissociative).

L'anxiété a un impact majeur dans nos vies parce qu'elle affecte notre jugement.

1)La peur, on y croit! Dire à quelqu'un qui a peur qu'il n'a pas de raison d'avoir peur est souvent inutile. À cause d'un biais dans notre jugement, les indices qui confirment la peur sont acceptés beaucoup plus vite que ceux qui la contredisent.

2)Elle réduit notre sens critique et fait qu'on croit ses suggestions même les plus farfelues, comme l'enfant qui, soudainement, prend les ombres dans sa chambre pour des personnages inquiétants; ou l'employée qui croit qu'elle va perdre son emploi parce qu'une parole a pu être mal interprétée par une collègue. Les scénarios irréalistes ne sont plus filtrés à la source («et si le pont s'effondrait au moment où je passe dessus?»)

3)La peur décuple aussi notre besoin de se rassurer. L'anxiété entretient des doutes qui font oublier le bon sens et peuvent nous rendre compulsifs ou superstitieux. Elle peut nous faire vérifier à toutes les minutes si une situation a changé, ou si une porte est bien verrouillée, ou nous donner envie de se laver à répétition par inquiétude pour notre santé.

4)La peur peut aussi nous rendre paranoïaques ou agressifs.

5)En plus, l'anxiété réduit notre assurance, augmente notre détresse, et ronge notre capacité à ressentir le plaisir, ce qui augmente le risque de dépression.

Malgré tous les effets néfastes de la peur, l'extirper du cerveau n'est pas une solution viable. À petite dose, la peur nous motive, nous instruit, et nous socialise quotidiennement. Certaines personnes qui ont subit des dommages au cerveau ne ressentent plus la peur (ex: le cas SM). Ces personnes n'apprennent pas à éviter des situations dangereuses. Elles sont excitées par des scènes de maisons hantées, des serpents tout près de leur visage, ou des films de peur. Elles se méfient peu des étrangers, et ont aussi des difficultés à lire la peur sur le visage des autres. Certains enfants autistes ont aussi cette insouciance face aux étrangers (ce qui contraste avec la phobie sociale des autres) ou peuvent préférer une maison en feu au stress de la rue.

Malgré son importance dans nos vies, l'anxiété n'est pas une fatalité. À court-terme, on peut la désamorcer en freinant la boucle d'alarme, soit en réduisant les sensations corporelles (ex: relaxation, chaleur) ou les pensées associées (ex: distraction, divertissement, socialisation, méditation), ou encore en freinant le moteur de la boucle (ex: médication).

À plus long-terme, réduire l'anxiété demande un travail de désapprentissage des associations anxiogènes en apprenant de nouvelles associations entre des pensées anxiogènes et des émotions plaisantes et, surtout, un renforcement de nos circuits de régulation émotionnelle qui peut prendre différentes voies dont l'entrainement cognitif, l'entrainement de l'assurance et l'entrainement physique.

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