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Si c'est une mémoire: l'amnésie entourant la Guerre des Boers et ses camps de concentration (1/2)

La maladie et le 95e anniversaire de Nelson Mandela, véritable nous donnent l'occasion de revenir depuis quelques semaines sur le passé tourmenté de l'Afrique du Sud. Cette histoire sud-africaine, qui nous semble bien éloignée, nous a pourtant déjà touchés de très près. Allons, soyons honnêtes: savons-nous encore que diable le Canada est allé faire dans la Guerre des Boers?
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La maladie et le 95e anniversaire de Nelson Mandela, véritable géant de l'histoire contemporaine, nous donnent l'occasion de revenir depuis quelques semaines sur le passé tourmenté de l'Afrique du Sud. Cette histoire sud-africaine, qui nous semble bien éloignée, nous a pourtant déjà touchés de très près comme le rappellent deux statues qui passent aujourd'hui largement inaperçues. À Montréal, Square Dorchester, un petit cavalier qui contrôle mal un cheval cabré est dédié aux «héros» de la Guerre des Boers alors qu'à Québec, un fantassin placé près de la Porte Saint-Louis glorifie les «braves» qui sont allés combattre en Afrique australe entre 1899 et 1902.

Allons, soyons honnêtes: savons-nous encore ce que diable le Canada est allé faire dans cette guerre? La réponse est troublante, tout autant que la présence de ces monuments au cœur de nos deux grandes villes et que l'oubli qui entoure ce conflit. Retour sur une guerre honteuse, première intervention canadienne à l'étranger, dont l'objectif fut l'appropriation de quelques mines d'or, prétexte suffisant pour annexer deux États indépendants et commettre des violations massives des droits de l'Homme, dont l'enfermement de près de la moitié d'une population civile dans une toute nouvelle invention: le camp de concentration.

Le territoire qui constitue l'Afrique du Sud était divisé à peu près en deux en cette fin de XIXe siècle: les Anglais dans la colonie du Cap à l'ouest et les Afrikaners à l'est dans les deux Républiques du Transvaal et de l'État libre d'Orange. Sans rentrer dans les détails d'une histoire complexe, les Néerlandais s'étaient d'abord installés près du Cap de Bonne-Espérance et fondèrent la colonie du Cap en 1652, endroit idéal pour ravitailler les navires en route pour l'Asie. À ces Néerlandais s'ajoutèrent des Huguenots, des Allemands, des membres de la tribu locale Khoïkhoï, mais également des esclaves amenés de Madagascar ou d'Indonésie. Ce mélange de populations et l'éloignement de la métropole firent évoluer le néerlandais en une nouvelle langue, l'afrikaans.

Les difficultés politiques des Pays-Bas en Europe permirent aux Britanniques de prendre le contrôle de la colonie en 1806. Les tensions éclatèrent rapidement avec la population locale. Les Anglais monopolisèrent l'administration et le commerce. Ils tentèrent d'éradiquer l'afrikaans au profit de l'anglais. Exaspérés, nombre d'Afrikaners entreprirent dans les années 1830 une vaste migration vers le nord-est, le Grand Trek, véritable conquête du Far-Ouest sud-africaine, doublée d'une dimension d'Exode biblique. Voulant rester indépendants et pensant être à l'abri des Britanniques, ils fondèrent d'abord le Natal, rapidement annexé par les troupes impériales. Puis, ils s'installèrent dans deux autres territoires, le Transvaal et l'État libre d'Orange. Londres finit par reconnaître officiellement l'indépendance des deux Républiques.

Les choses en seraient probablement restées là, n'eût été de l'arrivée de l'Allemagne, puissance rivale de l'Angleterre, en Namibie plus au nord et de la découverte de l'un des plus grands gisements d'or au monde en terre afrikaner, près de l'actuel Johannesburg. L'appât du gain triompha rapidement des promesses données. Cecil Rhodes, gouverneur du Cap, et Joseph Chamberlain, responsable des colonies à Londres, firent tout en leur pouvoir pour attiser les tensions. Rhodes - celui des bourses - avait déjà fait fortune dans l'exploitation des diamants et n'avait aucun scrupule à mettre les troupes britanniques au service de ses affaires déjà fructueuses. Quant à Chamberlain, qui selon l'historien Mason Wade «combinait le racisme anglo-saxon, la doctrine de la responsabilité de l'homme blanc et le besoin de nouveaux marchés outre-mer», il fit de l'annexion des Républiques afrikaners une priorité de la politique étrangère britannique. On envoya une petite armée pour renverser le gouvernement du Transvaal où étaient situées les mines. L'opération échoua et la guerre éclata en 1899. La guerre eut donc bien lieu «au tournant du XXe siècle» et non «au tournant du XIXe siècle » comme l'affirme le site Internet de la Commission de la capitale nationale. Les Britanniques qui avaient reconnu l'indépendance des deux Républiques trouvaient désormais opportun de les envahir pour prendre le contrôle de leurs ressources naturelles.

Malgré un équipement inférieur, les Afrikaners eurent plusieurs succès au début de ce qui est resté connu dans l'Histoire comme la Guerre des «Boers» - que certains à l'instar de Proust orthographient «Boërs» - terme qui signifie «fermier» en afrikaans. Ils firent d'ailleurs prisonnier un correspondant de guerre britannique, un certain Winston Churchill. Cependant, les troupes impériales, mieux équipées et rapidement renforcées envahirent bientôt les Républiques. Même s'ils jouissaient d'un avantage numérique écrasant, de l'ordre de cinq contre un, les Britanniques ne purent établir leur domination. Le conflit devint une guerre de partisans. En réponse, Lord Kitchener, désormais en charge des opérations, changea de tactique. L'historien Bernard Lugan résume: «Il fut alors décidé que les deux Républiques boers seraient totalement détruites et rayées de la carte». Rien de moins. Pour casser le moral des Afrikaners et pour les affamer, on brûla les fermes et les villages, on massacra les troupeaux.

Surtout, les Britanniques utilisèrent massivement une stratégie que les Espagnols venaient d'employer pour la première fois à Cuba, la reconcentración. Ils lui donnèrent un nom, un nom terrible qui est demeuré dans les mémoires comme un des symboles de la barbarie du vingtième siècle: le camp de concentration. Le principe est à la fois d'une grande simplicité et d'une grande lâcheté. Ne pouvant vaincre les hommes en uniforme, on s'en prit aux femmes, aux enfants et aux vieillards qui furent enfermés et sous-alimentés.

Malgré la difficulté d'avoir des chiffres précis, sur une population de 250 000 Afrikaners dans les deux Républiques, environ 118 000, auxquels vinrent s'ajouter 43 000 Noirs, se retrouvèrent dans plus d'une centaine de camps construits par les Britanniques. Le site du Musée canadien de la guerre - qui a néanmoins l'honnêteté de se confronter à la question contrairement à beaucoup de politiciens ou d'historiens - a raison d'affirmer que: « Toute comparaison avec les camps allemands de la Deuxième Guerre mondiale est grossièrement exagérée et injuste». Mais si toute comparaison est injuste, ce n'est probablement pas dans le sens que le voudrait l'auteur de ce texte. À aucun moment les armées du Troisième Reich n'ont enfermé une proportion aussi importante d'une population civile dans leurs camps. Il n'y eut évidemment pas de camps d'extermination comme pendant la Seconde Guerre. Mais pour ce qui est des camps de concentration, ceux d'Afrique du Sud - avec une population laissée sans aide médicale, sous-alimentée et à qui l'on fit manger de la nourriture qui contenait du verre pour provoquer la mort dans d'atroces souffrances - connurent des taux de mortalité qui furent tout à fait comparables à ceux des camps nazis quelques décennies plus tard. Face à cette hécatombe, les Afrikaners n'eurent d'autre choix que de se résoudre à l'annexion.

La Guerre des Boers est un triste prélude aux guerres du vingtième siècle qui firent plus de victimes civiles que militaires. En comptant les morts durant les combats et en raison de maladies, les Afrikaners perdirent environ 10 000 hommes et les Britanniques environ le double. Mais pour ce qui est des victimes civiles des camps, elles sont estimées à près de 30 000 Afrikaners et probablement 20 000 Noirs, encore plus durement traités. On doit ajouter que près de 25 000 prisonniers furent déportés durant le conflit. Lord Kitchener, qui fut décoré pour ses services et en l'honneur de qui on rebaptisa la ville de Berlin en Ontario durant la Première Guerre mondiale, serait aujourd'hui considéré comme un criminel de guerre pour avoir employé pareilles tactiques. Plusieurs individus ont été renvoyés à procès devant la Cour pénale internationale pour des crimes bien moins importants. Le Musée de la guerre affirme à ce sujet que «les Britanniques ne conduis[irent] pas un génocide».

Effectivement. En droit international, il ne semble pas que les responsables britanniques eurent d'intention génocidaire, élément nécessaire pour mener à une condamnation pour génocide. Mais c'est un peu court. Il aurait fallu ajouter qu'il y a peu de doute que les agissements britanniques constituèrent des crimes contre la paix, des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. Et il ne faut pas s'y tromper, nos «héros» ou nos «braves» canadiens, envoyés pour aider les troupes britanniques, participèrent directement à cette phase déshonorante du conflit. Le site internet de la ville de Montréal a beau mettre de l'avant que la statue du Square Dorchester est le seul monument équestre à Montréal, sa valeur artistique paraît bien pâle en comparaison de la souffrance d'un peuple.

Le second volet de ce blogue sera publié demain sur le Huffington Post Québec.

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