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La guerre du poil n'aura pas lieu

Dans notre activité de médecin dermatologue, nous avons constaté une augmentation des motifs de consultation pour des "verrues" sexuellement transmissibles du pubis, en particulier des "molluscum contagiosum".
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Dans notre activité de médecin dermatologue, nous avons constaté une augmentation des motifs de consultation pour des "verrues" sexuellement transmissibles du pubis, en particulier des "molluscum contagiosum". Ces petites "perles" presque translucides sont dues à un poxvirus qui peut se voir aussi chez l'enfant en collectivité, en dehors de toute IST (Infection Sexuellement Transmissible). Ce virus a la particularité de se transmettre facilement par auto-inoculation, grattage par exemple. Il peut donc être considéré comme un modèle d'infection cutanée se propageant facilement lors de microtraumatismes.

Durant la dernière décennie, un centre d'IST espagnol (1) a remarqué un nombre de molluscum contagiosum sexuellement transmis 3 fois plus important, et un service de dermatologie belge a récemment établi le premier recensement d'infections virales du pubis (dont des molluscum contagiosum) (2).

Nous nous sommes donc posé la question d'une relation avec l'épilation intégrale du maillot qui est devenue un véritable phénomène de mode. En effet, il concernerait 54% des femmes en général et 73% des adolescentes et jeunes femmes de 15 à 25 ans (mais sans précision sur le fait de savoir si l'épilation est intégrale) (3). Les hommes sont également concernés mais il y a peu de données (peut-être moins de 50% dans la même tranche d'âge). Bien sûr, l'épilation intime n'est pas un phénomène nouveau puisque certaines statues de la Grèce Antique sont représentées sans pilosité pubienne, et qu'il fait partie dans la religion musulmane, des pratiques considérées comme inhérentes à la nature humaine et définissant la fitra. Mais l'épilation intégrale était loin d'être aussi répandue à tous les milieux socioculturels et confessionnels.

Nous avons donc réalisé une petite étude préliminaire (30 cas) (4) pour tenter d'établir un lien entre cette infection virale et l'épilation intégrale du maillot. Dans la grande majorité des cas (93%), l'infection virale était associée à cette pratique, majoritairement le rasage, ce qui pourrait expliquer la prédominance masculine dans notre étude, les hommes paraissant avoir davantage recours au rasage, et les femmes à l'épilation à la cire. De plus, le rasage est probablement plus sujet à créer des microtraumatismes (microcoupures) qui pourraient favoriser la propagation de l'infection, concernant essentiellement la zone préalablement épilée. L'épilation laser ne semble par contre pas constituer un facteur de risque pour cette infection.

Cette corrélation demande néanmoins à être confirmée par de plus grandes études contrôlées. D'autres études seront également nécessaires pour savoir si ce modèle de propagation peut être étendu à d'autres IST comme certains papillomavirus (condylomes, sorte de verrues génitales), et l'herpès virus. Les lecteurs qui veulent plus d'informations sur ces infections peuvent se rendre sur le site de la société française de dermatologie et vénérologie.

Un médecin américain, le Dr Emily Gibson (5), a également mis en garde contre les risques d'infection bactérienne suite à l'épilation génitale, mais il existe aussi très peu de données disponibles.

Il faut néanmoins porter au crédit de l'épilation pubienne un aspect positif, mais qui pourrait désespérer les entomologistes (spécialistes des insectes) : le pou du pubis, le morpion, serait en voie de disparition (6)... Il est intéressant de rappeler à ce propos les deux théories sur la régression des poils corporels chez homo sapiens: d'une part favoriser la thermorégulation chez ce bipède en déplacement, d'autre part, diminuer le parasitisme corporel (7). La persistance de la pilosité pubienne pourrait être destinée à réduire le frottement des vêtements.

Nous avons étendu notre réflexion aux motivations de nos congénères, sachant que l'épilation génitale ne concerne donc pas que le domaine médical et esthétique, mais est bien un sujet de société. Nous ne portons aucun jugement de valeur et nous contentons de rappeler les questions qui surgissent et dont beaucoup restent sans réponse, n'ayant que très peu fait le sujet d'études multidisciplinaires (on peut rappeler un article paru dans ELLE en Mai 2006 (8) , qui avait fait grand bruit, ce qui montre que le sujet est sensible et ne véhicule pas que des considérations esthétiques) :

  • L'épilation génitale (intégrale) risque-t-elle par sa généralisation de constituer un facteur de risque pour la transmission et la multiplication de certaines IST virales (molluscum contagiosum virus, papillomavirus, herpès virus...), et pour les infections bactériennes ?
  • Correspond-elle à une nouvelle étape de la libéralisation sexuelle ou est-elle asservie à la pornographie du net, au désir inconscient d'infantilisation (question qu'on peut se poser aussi pour les interventions de réduction cosmétique des grandes lèvres) ?
  • Constitue-t-elle un avantage en termes de relation sexuelle (meilleures sensations ?) ou un désavantage (perte de phéromones, ces signaux imperceptibles mais favorisant l'attirance sexuelle). Influencera-t-elle alors (ou non ?) la sélection sexuelle et deviendrons nous des hommes glabres (sans poils) ?
  • Voulons-nous nous affranchir du règne animal et inaugurer la post-humanité ?

Nous n'avons pas ces réponses. La parole n'est pas qu'aux médecins mais aussi aux anthropologues, ethnologues, philosophes, psychologues, sociologues...

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Références:

1.Villa L, Varella JA, Otero L et al. Molluscum contagiosum: A 20-year study in a sexually transmitted infections unit. Sex Trans Dis 2010 Jul; 37(7): 423-4.

2.Castronovo C, Lebas E, Nikkels-Tassoudji N et al. Viral infections of the pubis. Int J STD AIDS 2012 Jan; 23(1):48-50.

3. Institut IPSOS Mai 2006

4. Pubic hair removal: a risk factor for 'minor' STI such as molluscum contagiosum? François Desruelles, Solveig Argeseanu Cunningham, Dominique Dubois. Sex Transm Infect doi:10.1136/sextrans-2012-050982

5. The war on pubic hair must end. Gibson E. Kevin MD.com April 29, 2011.

6. Brazilian bikini waxes make crab lice endangered species. Gale J and Pettypiece S. Bloomberg, Jan 13, 2013.

7. L'homme, le poil et le dermatologue. Cribier B. Actualités en Dermatologie. Jan 2008.

8. Epilation, un poil plus loin. Kaplan A. ELLE, Mai 2006.

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