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En Iran, l'ouverture à géométrie variable

Ces pendaisons à grand spectacle sont des exécutions à caractère politique: il s'agit de terroriser toute opposition, à un moment où à la société iranienne est mécontente et en ébullition.
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Après de longues discussions, les Occidentaux ont décidé de lever partiellement les sanctions contre l'Iran et d'autoriser la reprise de relations normales avec ce grand pays. Le président Rohani a joué un rôle de premier plan dans cette évolution en se présentant comme un «modéré» auquel on peut faire confiance.

Et depuis cette décision, industriels, banquiers, personnalités politiques et touristes se précipitent à Téhéran où tout ce beau monde est accueilli à bras ouverts.

En réalité, pas tout le monde. Les portes de l'Iran restent encore fermées pour ceux qui déplaisent au régime et, parmi ceux-ci, monsieur Ahmed Shaheed, qui n'est autre que le rapporteur spécial de l'ONU sur les droits de l'homme en Iran. Qu'est-ce qui peut bien valoir cet ostracisme à cette personnalité internationale de tout premier plan investie de la confiance de la majorité des pays siégeant à l'ONU? Eh bien!

Ce que l'Iran reproche à monsieur Shaheed, c'est tout simplement d'avoir fait son travail en rendant public ce 16 mars 2016 son rapport annuel au Conseil des droits de l'homme de l'ONU à Genève. Le constat, il est vrai, est sévère : «les mauvais traitements les plus graves continuent d'être infligés en Iran (...) beaucoup de mesures en vigueur dans ce pays constituent une violation des obligations internationales de l'Iran dans le domaine des droits humains, en criminalisant l'exercice pacifique des droits fondamentaux ou d'autres actes qui ne sont pas internationalement reconnus comme étant des infractions».

«Des centaines de journalistes, de blogueurs, de militants et de membres de l'opposition dépérissent actuellement dans des centres de détention», a rappelé monsieur Shaheed. Parmi les personnes exécutées, il relève la présence d'opposants politiques, de membres de minorités religieuses ou ethniques, de mineurs, mais encore de petits trafiquants de drogue.

Parmi les actes que la norme internationale ne considère pas comme des «crimes sérieux», la détention de 30 grammes d'héroïne est, en Iran, punie de la peine de mort.

Toujours selon le même rapport, 960 à 10 054 personnes (le chiffre varie selon les sources) ont été exécutées en 2015 dont environ 65 % pour des faits liés au trafic de drogue. C'est là un record mondial pour l'Iran des mollahs. Ce chiffre est sans précédent depuis deux décennies, avec un record de quatre exécutions par jour dans la période avril/juin 2015.

Et tout cela se passe sous le mandat d'un président prétendu «modéré»! On comprend pourquoi le gouvernement encadre soigneusement les visiteurs. Y compris les touristes et les diplomates. Il faut leur éviter les places publiques où les corps restent pendus à des grues.

En réponse à l'indignation internationale, la réaction du chef de l'appareil judiciaire, qui dépend directement du guide suprême, l'ayatollah Sadegh Larigani, est la suivante : «la mauvaise propagande à l'encontre des exécutions en Iran a voulu faire croire que c'était le chef du pouvoir judiciaire qui avait attrapé une machette (...) alors que la loi qui autorise les exécutions a été adoptée par le conseil de discernement des intérêts de l'État». Cette instance présidée par Ali Akbar Rafsanjani, ancien président et mentor de Rohani, est en effet habilitée à statuer sur les questions délicates telles que le trafic de drogue.

Le chef de l'appareil judiciaire va plus loin en ajoutant que «les châtiments prévus par le Code pénal sont admis par tous les candidats aux récentes élections». Il est vrai que sinon, leurs candidatures n'auraient pas été retenues. En Iran, on ne peut être candidat à une élection sans y avoir été autorisé par l'équipe du guide. Rohani lui-même a justifié ces exécutions massives comme «l'application de la loi divine ou de la loi acceptée par les instances compétentes».

Comment expliquer cette unanimité à propos de ces méthodes brutales de répression? Les factions au pouvoir, pourtant en rivalité sur de nombreux sujets, seraient-elles d'accord sur le système de répression du trafic de drogue? On ne peut qu'en douter. Surtout lorsque que l'on prend connaissance de l'avis d'un expert officiel du «Centre d'investigation du conseil de discernement de l'État». Selon cet expert, l'application de la peine de mort dans les affaires de drogue «n'a pas eu un effet dissuasif et n'est pas justifiable non plus sur le plan religieux (...). Beaucoup ont été exécutés - le plus souvent des petits délinquants - mais cela n'a diminué ni le nombre de trafiquants, ni le flux du trafic dans le pays (...) Nous ne pouvons pas prétendre à un succès». Néanmoins, le général des Pasdarans, Ali Moayedi, chef de la police de lutte contre le trafic de drogue, s'oppose vigoureusement à toutes critiques de la législation sur le sujet : «on ne peut pas jouer avec un crime qui met en jeu la sécurité de notre société».

Ces propos nous font comprendre qu'il y a une autre explication. Ces pendaisons à grand spectacle, toujours plus nombreuses, approuvées par toutes les autorités du régime, ne sont pas destinées à lutter contre le trafic de drogues. Ce sont des exécutions à caractère politique : il s'agit de terroriser la société et d'étouffer toute opposition. Et cela est important à un moment où à la société iranienne est mécontente et en ébullition.

Rohani et le guide suprême étaient d'accord pour demander aux Occidentaux le remplacement de l'embarrassant monsieur Shaheed. Cette fois, ils ont perdu. Par décision du Conseil des droits de l'homme, l'ONU vient de renouveler sa confiance à son rapporteur spécial sur les droits de l'homme en Iran.

Ce billet a initialement été publié sur le Huffington Post France.

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