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L'action humanitaire est-elle devenue un acte criminel?

La répétition et la gravité d'actes militaires visant une ONG occidentale sont sans précédent.
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Le 3 octobre, l'hôpital de Médecins sans frontières (MSF) à Kunduz, en Afghanistan, est bombardé toute la nuit par l'aviation militaire américaine, coûtant la vie à 30 personnes.

Le 26 octobre, un autre hôpital géré par MSF est visé au Yemen, dans la ville de Sa'dah, par des frappes aériennes de la coalition arabe dirigée par l'Arabie saoudite.

En Syrie, de nombreux hôpitaux du Nord du pays ont également été touchés par des tirs aériens, tuant au moins 35 patients et personnels de santé, et faisant plusieurs dizaines de blessés...

Au-delà des bilans purement factuels de ces attaques violant ouvertement le droit humanitaire international (DHI), on retiendra surtout que le manque d'empathie et de réactions de la classe politique, dans la plupart des pays occidentaux incluant la France et le Canada, vis-à-vis d'actes vraisemblablement délibérés contre des infrastructures de santé gérées par des organisations non gouvernementales (ONG), est inacceptable moralement et juridiquement.

Le ciblage répété de centres de santé en zones de conflits armés invite à s'interroger sur la rationalité militaro-politique des motivations et des décisions sous-jacentes de leurs commanditaires.

En effet, en admettant qu'il s'agit d'actes délibérés, il faut sérieusement s'interroger sur les motivations de ces violations du DHI. S'agirait-il, en visant la très symbolique organisation MSF, de manœuvres d'intimidation dont le but est de faire passer un message à l'ensemble des ONG engagées sur des terrains de conflits? Veut-on leur signifier qu'elles sont, sur ces contextes complexes, indésirables et vulnérables, surtout si leurs objectifs ne s'accordent pas à ceux des protagonistes armés, mêmes occidentaux?

L'ADN des ONG est pourtant leur caractère non gouvernemental. Leur nature est régie par des principes forts - notamment ceux d'humanité, d'impartialité et d'indépendance - qui s'accordent parfois mal avec la raison d'État et les calculs diplomatico-militaires de nos gouvernements, particulièrement lorsqu'ils s'engagent dans des logiques de guerre.

Les multiples fonctions des ONG sont avant tout d'accéder à des populations civiles vulnérables et d'assurer un accès aux droits humains fondamentaux, à savoir des soins, de la nourriture, de l'eau et des abris, tout en respectant un cadre éthique et en veillant à la protection de ces populations. Ce rôle est unique et ils répondent justement à une obligation que les États ne veulent ou ne peuvent pas faire. Lors des conflits armés, les ONG doivent aussi faire preuve de neutralité opérationnelle afin d'accéder aux populations, mais aussi d'assurer leur sécurité par des stratégies d'acceptation locale.

Au-delà de leur nature et de leurs fonctions, les travailleurs humanitaires, dont la majorité est généralement issue du pays concerné, sont aussi les témoins directs des conséquences réelles de guerres qui n'ont rien de «chirurgicales, propres ou humanitaires», adjectifs insidieux donnés par ceux qui les font sans les assumer.

En somme, la répétition et la gravité de ces actes militaires visant une ONG occidentale, de la part de gouvernements occidentaux ou de coalitions alliées aux Occidentaux, sont sans précédent. Le glas de la légitimité des ONG à intervenir dans des zones de conflits, au bénéfice de civils qui en sont les premières victimes, est peut-être en train d'être sonné. Il le sera très vite si aucune enquête internationale indépendante ne peut déterminer les responsabilités politiques et militaires, en remontant la chaîne de commandement, qui ont amené à ces tragédies. L'impunité pour ces crimes de guerre serait non seulement incomprise par beaucoup de pays et de populations qui ont vu leurs responsables politiques et militaires conduits devant des tribunaux internationaux ces dernières années, mais constituerait aussi la justification à d'encore plus flagrantes violations du DHI.

Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), garant du DHI, et de très nombreuses ONG ont déjà fermement condamné ces attaques et demandé que des procédures ad hoc puissent être engagées contre leurs auteurs. Les responsables politiques aux États-Unis, au Canada et de l'Union européenne doivent faire de même. Leur silence ou leur rhétorique ambiguë transforment aujourd'hui, dans les zones de conflits armés, l'acte humanitaire en acte criminel, et les humanitaires en cibles légitimes. Cela est simplement inacceptable.

Ce texte est cosigné par Jérôme Larché, médecin et enseignant à l'Université de droit et science politique de Montpellier (France) et François Audet, professeur à l'UQAM au Canada et directeur de l'Observatoire canadien sur les crises et l'action humanitaire (OCCAH)

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