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Les hommes, ces grands oubliés du baby blues

4% des papas connaîtraient une période difficile après l'accouchement. En réalité, beaucoup plus d'hommes sont stressés, fatigués, perdent l'appétit, souffrent d'insomnies, reflets de bien des mal êtres.
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Le baby-blues est sur le devant de la scène médiatique ces jours-ci à la faveur d'Alessandra Sublet. Si le témoignage de l'animatrice de France 5 et, dans la foulée, de quelques femmes est légitime pour que cette dépression post-partum ne soit plus considérée comme une maladie honteuse, on peut toutefois déplorer qu'une fois encore l'homme est négligé, voire oublié, lorsqu'il s'agit de grossesse et d'accouchement.

Pendant qu'elles sont enceintes, 13% des femmes sont touchées par ce que l'on appelle le mummy blues alors qu'elles voulaient plus que tout un bébé. Elles sont irritables, manquent d'appétit, d'énergie, ont besoin de s'isoler, se sentent seules.

Et combien y-a-t-il d'hommes troublés, angoissés, déprimés pendant la grossesse ? Il n'existe pas de statistique, ni d'étude approfondie sur le sujet.

Après la naissance de leur enfant, 30 à 80 % des femmes sont touchées par le baby blues.

Elles sont prêtes à fondre en larmes à chaque instant. Elles sont angoissées, se sentent incapables de gestes maternels, se culpabilisent parfois au point de se sentir inapte à aimer cet être qui sort de leurs entrailles.

Cette fois, un chiffre circule pour les hommes. 4% des papas connaîtraient une période difficile après l'accouchement. En réalité, beaucoup plus d'hommes sont stressés, fatigués, perdent l'appétit, souffrent d'insomnies, reflets de bien des mal êtres. Mais voilà, on ne s'intéresse pas à eux et ils n'osent pas en parler. Ils doivent être impassibles pour répondre au diktat de la société du père ce héros et sont tétanisés à l'idée d'apparaître comme des zéros s'ils disent leur intériorité.

Alors futurs papas et jeunes papas levez-vous, prenez la parole, racontez vos états d'âmes, livrez-vous, dépassez les clichés de la société et les images véhiculés par les médias. Oui, il vous arrive d'être fragiles, inquiets, assaillis de peurs pendant la grossesse. Oui, vos repères vacillent, vos mécanismes de défense élaborés depuis des lustres volent en éclats et les spleens de votre histoire personnelle ne sont pas loin, comme une armée de l'ombre. Alors racontez, partagez avec votre compagne ou votre épouse.

Les troubles psychologiques et l'état de transparence psychique caractéristiques de la grossesse ne sont pas l'apanage exclusif des femmes. Pour les hommes aussi les questionnements sont là pendant ces neuf mois là et après encore. Quel enfant va venir ? Enfant-ciment ? Enfant-réparation ? Enfant-compensation ? Enfant-consolation ? Beaucoup d'hommes doutes au fond d'eux-mêmes. La grossesse est-elle un leurre pour tromper le vide ? Le désir d'enfant est-il une tentative pour faire échec à la grande faucheuse ? Est-il un prétexte pour se retrouver nouveau-né et réécrire l'histoire ? Est-il un remède pour combler l'insuffisance de soi ? Le désir d'enfant n'est-il pas l'indice d'une secrète faille à réparer, à combler, à colmater ?

Et messieurs, honnêtement, n'avez-vous pas été confrontés aux mêmes peurs que votre femme ou compagne. Vous la voyez inquiète face à son corps qui se transforme ; vous la sentez effrayée par l'image obsédante de son père ; par la présence omniprésente de sa mère. Et n'avez-vous pas deviné, généralement dans le silence, les autres questions de votre belle : "Serai-je encore attrayante à tes yeux ? Comment ferai-je pour être à la fois mère, femme, amante ? Notre équilibre à deux survivra-t-il ?".

Jusqu'à la venue de l'enfant, l'homme est sur le devant de la scène. Avec la grossesse, il ne cesse de reculer et se retrouve à l'ombre du ventre. Les dialogues sont écrits pour la femme et le bébé à venir. Les amis, les proches sont fascinés, n'ont d'yeux que pour eux. La fierté qu'en tire l'homme aux premiers mois est éphémère. Il continue à essayer de s'habituer au second rôle. Son épouse ou compagne a un autre homme ou une autre femme dans la peau. Et le géniteur sait qu'il ne pourra jamais rivaliser avec l'intimité qui se tisse sous mes yeux.

J'étais épuisé à chaque grossesse. J'avais le sentiment d'être soumis à une douche écossaise, des chaleurs des émotions à l'air glacial des pensées. Je contenais mes inquiétudes et mes lassitudes. J'ai résisté souvent pour la mère et pour le bébé. Je ne voulais pas montrer mes faiblesses, mes troubles. Je pensais que c'était à moi de donner des repères, d'être fort, serein. Je combattais en silence. J'étais un papa puceau, mal informé, mal préparé. Il a fallu attendre la troisième grossesse pour que j'expulse enfin les ruades de mon âme, les cascades de mon cœur et les nœuds de mes pensées.

Les rites d'autrefois avaient quelque chose de bon. Dans le Pays basque médiéval, peu avant l'accouchement de sa femme, l'homme se mettait au lit, mimait la grossesse et se plaignait des douleurs de l'enfantement, tandis qu'on lui accordait le même traitement qu'aux femmes en travail. Par extension, la couvade désigne des manifestations psychiques et psychosomatiques qui touchent certains hommes au cours de la grossesse de leur compagne. Ils souffrent des mêmes maux que leurs femmes : insomnies, fringales, prises de poids, nausées, douleurs lombaires. Chez certains futurs pères, on observe même une augmentation du taux d'hormones de la lactation et une baisse du taux d'hormones mâles.

Chez les Sherpas de l'Himalaya, le père et la mère sont unis pendant l'accouchement. La femme s'adosse contre son mari qui la masse pendant les contractions. En Inde du Sud, les hommes portent les saris de leur femme à la naissance. Chez les Mayas du Yucatan, l'homme accompagne la femme dans son souffle à chaque contraction pour accueillir la douleur et la dépasser. Chez les Indiens huichols du Mexique, au moment des contractions la femme tire sur une ficelle attachée autour des testicules du mari afin qu'il partage la douleur. Moins loin, dans la France rurale ancienne, le père enveloppait le nouveau-né dans sa chemise de labeur, lui communiquant sa chaleur et son odeur.

Si dans l'évocation du baby blues ces jours-ci par les médias, il a surtout été question de la femme c'est bien l'expression d'un fiasco de la société française et d'une triste réalité. Au-delà des discours lénifiant sur la présence du mari ou compagnon dans la grossesse ; l'homme et la femme traversent encore trop souvent ces neuf mois en solitaires, alors que plus que jamais il y a la nécessité d'être solidaires, tout particulièrement dans le partage des interrogations, des questionnements et des troubles.

À un instant T, l'homme et la femme vont l'un vers l'autre pour unir leurs cellules. Ce chemin doit se poursuivre ensuite, profondément, intensément, bien plus que ce que l'on connaît aujourd'hui.

Certes les hommes peuvent venir aux séances de préparation physique à l'accouchement. Certes ils peuvent être dans les salles d'accouchement, mais c'est au cœur des foyers que se passe l'essentiel.

Les hommes doivent sortir de leur pudeur et de leur réserve, oublier les principes enseignés depuis des générations, dire leur intériorité et leurs fragilités. Ils doivent cesser d'avoir peur de leur femme ou compagne devenue toute puissance créatrice. Les femmes, de leur côté, doivent accueillir encore plus les hommes dans le processus de la grossesse en abandonnant leur île individuelle de la gestation.

Lorsque les hommes auront pris la parole, la société aura fait des pas en avant...

D'abord, les hommes auront enfin leur vraie place dans ces neuf mois là. Ensuite, les femmes se sentiront mieux comprises. Troisièmement, le mummy blue, le baby blues et ce que l'on pourrait appeler le daddy blues seront moins fréquents et moins violents, car au-delà de la dimension physiologique du post-partum féminin lié à la chute hormonale, la cause principale des troubles psychologiques est bien le déficit d'expression et de communication.

Enfin, si l'homme exprime ses émotions et ses angoisses, s'il est entendu dans ses crises de panique, bien connues et somme toute universelles, face aux responsabilités nouvelles, face à la projection dans une génération plus proche de la mort et face à la cellule familiale qu'il peut percevoir comme un enfermement loin de la liberté connue jusque-là, la tentation de la fuite si fréquente s'éloignera sans doute aussi.

Francis Guthleben est l'auteur de Enceint - Journal d'un futur père aux Éditions Jean-Claude Gawsewitch

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