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Title IX: la redéfinition du genre au pays de Trump menace les jeunes

Sous cette nouvelle définition, les jeunes trans se verraient forcés à faire usage des vestiaires et toilettes associées à leur genre assigné à la naissance.
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Le vrai impact de la loi n’est pas légal, mais social.
valentinrussanov via Getty Images
Le vrai impact de la loi n’est pas légal, mais social.

Dimanche dernier, le New York Timesa annoncé que le gouvernement de Donald Trump avait l'intention de redéfinir la notion de sexe sous «Title IX» de sorte que la notion se rapporte seulement aux parties génitales à la naissance et aux chromosomes. La nouvelle, basée sur une note de service, a rapidement été propagée à travers le monde et interprétée comme une tentative d'effacer l'existence des personnes trans grâce au Title IX.

Title IX prohibe la discrimination fondée sur le sexe dans toutes les institutions d'éducation qui reçoivent du financement du gouvernement fédéral des États-Unis.

Contrairement au Canada, les États-Unis ne bénéficient pas de protections constitutionnelles contre la discrimination, équivalentes à celles de la Charte canadienne des droits et libertés. C'est donc vers Title IX que les personnes trans et intersexuées se tournent pour faire respecter leurs droits à l'égalité dans les écoles.

La redéfinition suggérée par la note de service ne serait pas législative, mais exécutive. Elle prendrait fort probablement la forme d'instructions proposées par le Department of Health and Human Services: c'est sous la forme d'instructions départementales que prenaient les protections qui existaient sous l'administration Obama, avant que Trump ne les révoque en février 2017.

Formellement, les instructions exécutives expliquent comment le gouvernement interprétera la loi. Les départements comme celui de l'Éducation sont chargés de recevoir des plaintes et d'appliquer Title IX. Les instructions indiquent donc comment la loi sera appliquée par le département, mais pas nécessairement comment les tribunaux l'interpréteront si une personne décide de faire appel de la décision du gouvernement.

C'est un peu comme quand l'Agence du revenu du Canada explique sur son site comment elle applique la loi: cette interprétation peut être rejetée par les tribunaux, mais nous renseigne néanmoins sur la façon dont le gouvernement appliquera la loi jusqu'à ce qu'un jugement contraire les oblige à l'appliquer autrement.

Une grande différence existe toutefois. Contrairement aux interprétations de l'Agence du revenu du Canada, l'interprétation adoptée par le gouvernement états-unien est privilégiée. Normalement, en cour, il ne faut que convaincre les juges que notre interprétation est la meilleure. Toutefois, dans le cas d'une interprétation exécutive aux États-Unis, il faut prouver que l'interprétation est non seulement inférieure, mais insuffisamment persuasive.

C'est à cause de cette déférence que la poursuite du jeune homme trans Gavin Grimm a été retournée en Cour d'appel par la Cour suprême des États-Unis en mars 2017. Les tribunaux avaient précédemment jugé en faveur de Grimm, mais le jugement avait été rendu alors que l'interprétation du gouvernement Obama incluait les personnes trans sous la définition de sexe. Puisque cette interprétation avait été révoquée par Trump en février 2017, la Cour d'appel a été invitée à rejuger la cause.

La redéfinition du sexe par le gouvernement Trump, quelques semaines avant les élections de mi-mandat, cible ouvertement les personnes trans. Sous cette nouvelle définition, les jeunes trans se verraient forcés à faire usage des vestiaires et toilettes associées à leur genre assigné à la naissance et pourraient être légalement exclus de services offerts au public, simplement parce qu'ils sont trans. Si les jeunes trans sont la cible principale, la redéfinition aura aussi un impact grave sur les jeunes intersexués.

Les personnes naissent avec une grande variété de combinaison de traits et ne peuvent être réduites à une liste bimodale simpliste.

Les personnes intersexuées ont des caractéristiques corporelles à la naissance qui dérogent du modèle sociomédical, qui présume erronément que toutes les personnes possèdent des traits correspondants à l'une de deux listes de traits: les hommes ont des chromosomes XY, un pénis, des testicules, pas de seins et un profil hormonal dominé par la testostérone. Les femmes ont des chromosomes XX, une vulve, un vagin, des seins et un profil hormonal dominé par l'œstrogène.

Comme le rappelle InterACT dans un communiqué s'opposant à la redéfinition trumpienne, les personnes naissent avec une grande variété de combinaison de traits et ne peuvent être réduites à une liste bimodale simpliste. La redéfinition de la notion de sexe sous Title IX aura aussi pour effet de légitimer la discrimination envers les jeunes intersexués, et pourrait servir à légitimer les chirurgies non consenties imposées aux jeunes enfants intersexués.

Tout en remarquant que les instructions exécutives ne sont ni absolues ni finales, leurs effets excèdent leur portée légale. Avocat et professeur de droit ayant fondé le Sylvia Rivera Law Project, Dean Spade nous cautionne contre les rassurances offertes par certaines organisations quant à la portée limitée de cette redéfinition.

Le vrai impact de la loi n'est pas légal, mais social.

Les normes officielles — qu'elles soient lois, règlements, ou instructions — sont violées de façon innombrable à chaque poursuite. Au Canada, on relève quelques centaines d'opinions juridiques portant sur les personnes trans dans les 20 dernières années, alors qu'on estime à plus de deux dizaines de milliers le nombre de cas de discrimination envers les personnes trans par année dans notre pays.

Légitimés par leur gouvernement, les employés et élèves des écoles états-uniennes s'en donneront à cœur joie à discriminer, harceler et agresser les personnes trans et intersexuées.

Le vrai danger n'est pas celui de perdre devant les tribunaux — si réel soit-il —, mais bien le danger que les personnes hostiles aux personnes trans se sentent légitimées par les instructions gouvernementales. On se rappelle, au lendemain de l'élection de Donald Trump à la présidence, la montée d'attaques islamophobes et transphobes dans l'espace public. Moins d'un mois après son élection, de la propagande homophobe et islamophobe appelant à «Make Canada Great Again!», en allusion on slogan de Trump, est apparue autour de l'Université McGill. Depuis, l'extrême droite gagne en visibilité et les attaques anti-trans sont de plus en plus fréquemment rapportées sur nos réseaux sociaux.

Légitimés par leur gouvernement, les employés et élèves des écoles états-uniennes s'en donneront à cœur joie à discriminer, harceler et agresser les personnes trans et intersexuées. L'effet ne sera pas limité aux écoles, non plus. Non seulement peut-on s'attendre à un regain d'hostilité et de violences envers les personnes trans dans toutes les sphères publiques — les mecs qui me criaient «faggot» dans les rues de Montréal ne seront certainement pas découragés —, mais on peut aussi s'attendre à ce que les administrateurs et juges conservateurs s'empressent d'interpréter de façon restrictive la notion de sexe, de sorte à exclure les personnes trans et intersexuées.

Personnes dyadiques cisgenres, personnes ni intersexuées ni transgenres, soyez là pour nous. Si vous nous aimez, tenez-nous proches.

Les employeurs empêcheront les employés d'utiliser les toilettes correspondant à leur genre et qui sont les plus sécuritaires. De même pour les refuges pour personnes fuyant les violences conjugales ou qui sont sans domicile. Les plus vulnérables seront les premiers à être touchés.

Je ne peux qu'espérer que cette vague discriminatoire se taira sous la voix de nos alliés — oui, alliés: nous ne pouvons pas nous battre sans vous contre les regains du conservatisme. Personnes dyadiques cisgenres, personnes ni intersexuées ni transgenres, soyez là pour nous. Si vous nous aimez, tenez-nous proches. Et si vous avez un cœur, élevez votre voix contre la montée du cryptofascisme. Le Canada n'est pas exempt de cette tendance: les gouvernements de Doug Ford et de la CAQ en font la preuve. Nous aurons besoin de vous.

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