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En finir avec la peur... vers la souveraineté du Québec

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, il se pourrait donc bien que l'adoption de la loi 101, de l'entente Cullen-Couture, de la loi 60, en sécurisant la collectivité francophone, soit responsable de l'échec du projet souverainiste québécois.
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La peur est sans doute le sentiment le plus paralysant qui soit. Il en va de même pour les collectivités et les individus. Or, une des constantes de l'histoire du Québec s'exprimerait sans doute par ce terrible constat : la peur de s'affirmer, la peur d'exister, la peur d'avoir peur. Qui ne se souvient pas de cette phrase du Refus global en 1948: «le règne de la peur multiforme est terminé» ?

Certes, le repli de la collectivité québécoise n'a pas toujours été inutile devant l'adversité. La défaite de 1759 et la défaite de 1839 n'en furent pas moins des faits historiques pour le moins désastreux et qui ont laissé leurs marques tant sur le plan politique que culturel chez les Québécois. D'un point de vue romantique, il eut été sans doute souhaitable que nous disparaissions complètement comme peuple plutôt que de vivre et d'entretenir ainsi une peur si profonde et au fondement de nos actions collectives. Mais il n'en a pas été ainsi et nous pouvons certainement remercier nos ancêtres qui surent, dans des circonstances défavorables, prendre les meilleures décisions faute de mieux. Si la peur est au centre du projet de société que nombre d'historiens ont décrit, surtout pour la période de 1840 à 1960, par le terme de « survivance », les choses ont suffisamment changé pour que nous puissions entrevoir un espoir, une voie de sortie, nous menant vers une véritable souveraineté patriotique.

Je lisais récemment la thèse de Mathieu Arsenault, jeune doctorant de l'Université York à Toronto, qui souligne avec pertinence comment les Patriotes de 1837-38 ne faisaient pas de la langue ou de la culture un enjeu central de leurs revendications. Leurs principales requêtes étaient d'ordre politique et visaient la démocratie et les libertés. Nous sommes bien loin de cette époque. Depuis les années 2000, nous assistons même à un retour du nationalisme conservateur proche de celui de la survivance culturelle. C'est par ce biais et dans ce contexte que la peur est de retour. Alors que nous pensions nous être libérés de celle-ci, la peur est de retour, plus forte que jamais, faudrait-il dire.

Une peur, qui, il faut encore le dire, n'était jamais vraiment partie des préoccupations de la collectivité québécoise. On oublie souvent que la peur a constitué, pour le Parti québécois, le terreau favorable sur lequel la loi 101 s'est édifiée en 1977. Afin de rassurer la majorité francophone du Québec, le français deviendrait la seule langue officielle du Québec et la langue publique de communication, dans un geste d'affirmation hautement symbolique. Sans oublier l'obligation impartie aux immigrants de fréquenter l'école francophone. Il en va de même de l'entente (Cullen-Couture) avec le palier fédéral canadien qui permettrait au gouvernement québécois de sélectionner des immigrants francophones. Dans ce cadre, l'éventuelle adoption de la loi 60 sur la laïcité en 2014 pourrait constituer le parachèvement de ce travail de sécurisation de la collectivité francophone se fondant cette fois sur la peur de l'étranger, notamment par sa différence religieuse.

La loi 101, l'entente Cullen-Couture, la loi 60 ont ceci en commun qu'ils constituent d'abord des mesures de protection culturelle et non des avancées sur le terrain des grands principes universels comme la démocratie ou la souveraineté. Ces mesures s'inscrivent dans la longue trame de la peur et de la perpétuation de ses effets désastreux sur la confiance d'un peuple en marche vers sa souveraineté.

En effet, aussi paradoxal que cela puisse paraître, il se pourrait donc bien que l'adoption de la loi 101, de l'entente Cullen-Couture, de la loi 60, en sécurisant la collectivité francophone, soit responsable de l'échec du projet souverainiste québécois. Sous l'impulsion d'un nationalisme de peur, sans le vouloir, ce mouvement prouverait, en finalité, que le régime fédéral canadien peut parfaitement protéger la culture francophone au Québec. Alors, pourquoi aller plus loin ? C'est là toute la force du sentiment de peur. La peur se nourrit d'elle-même et annihile toute volonté de changement en profondeur. Voilà pourquoi aussi son usage par le Parti québécois est une arme à deux tranchants. Autant il est possible de l'utiliser avec succès dans le débat actuel sur la laïcité contre la menace imaginaire des religions étrangères, autant cette même peur, pour d'autres raisons, pourrait être utilisée par les forces fédéralistes dans leur opposition à la souveraineté du Québec lors d'un éventuel référendum.

Suivant un modèle d'analyse psychosociologique, des sociologues de l'université de Chicago ont démontré, depuis 50 ans, que les perceptions ne sont pas des choses à prendre à la légère dans l'analyse des sociétés. La perception, pour eux, n'est pas un reflet de la réalité ni même une sorte d'inversion de cette réalité matérielle ou de fausseté de la conscience collective. La perception est la réalité. Voilà pourquoi la défaite des Patriotes de 1839 est encore si lourde de conséquences. Elle est aussi et surtout une défaite de la pensée bien vivace. Nous, comme collectivité, ne nous sommes jamais véritablement remis de cette défaite qui a donné naissance à une idéologie de la survivance et du repli identitaire qui marque même un retour en force dernièrement. Or, comme nous invite le texte d'Arsenault sur les Patriotes, il faudrait bien finir par se sortir de ce que Gérard Bouchard nomme notre complexe, notre mythe dépresseur.

Bien des gens pensent que s'exclamer contre les étrangers, comme jadis nous le faisions contre les Anglais, est un geste de courage et d'affirmation contre la peur. C'est tout le contraire. Le combat contre la peur implique de confronter nos démons, de s'ouvrir à la différence sans avoir peur de nous perdre dans l'autre. Il implique l'échange et le dialogue. Quel pauvre peuple serions-nous, sinon? Pour faire cela, nous devons toutefois cesser de nous penser en minoritaires, cesser d'alimenter une mentalité d'assiégés et concevoir un projet de société qui rejoindrait l'universel en nous libérant de la peur des autres, de la peur de nous-mêmes, de la peur de tout. Nous devons avoir confiance et courage. C'est à cette condition que le Québec pourra devenir un pays souverain, car la libération d'un peuple est d'abord une libération de nos peurs. Et cela ne se fait jamais sur le dos des autres. Le mouvement souverainiste pour une laïcité inclusive constitue un bel exemple d'une de ces voies concrètes vers l'émancipation de nos peurs. Encourageons-le !

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