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La confusion identitaire et les valeurs québécoises

On ne connaît pas beaucoup de peuples, à part celui du Québec, qui, sur une courte période de temps, a si souvent changé de nom, pour même finir par se définir «a contrario» de ce qu'ils étaient au départ.
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Le débat identitaire qui s'enclenche à propos de la Charte des valeurs québécoises nous rappelle comment cette question procède encore d'une confusion sémantique entre la citoyenneté et l'appartenance à une communauté. Cette confusion pourrait être le résultat d'une définition de la collectivité québécoise prisonnière de son statut provincialiste; une conception de la nation québécoise réduite à une ethnie; un triste exemple d'aliénation nationale.

De Canadien à Québécois : un trajet historique original

On ne connaît pas beaucoup de peuples, à part celui du Québec, qui, sur une courte période de temps, a si souvent changé de nom, pour même finir par se définir « a contrario » de ce qu'ils étaient au départ. Je parle évidemment des Québécois versus les Canadiens (canadian). Déjà sous le régime français, marquant la rupture entre l'Europe et l'Amérique, on parle des « Canadiens » pour désigner la descendance de colons venus s'établir en Nouvelle-France. Il doit d'ailleurs être étrange pour un nouvel arrivant au Québec, de constater que le Parti patriote de 1838 se définit comme « canadien », alors que les souverainistes québécois qui s'en réclament disent vouloir sortir du Canada. Étrange filiation d'autant que les patriotes de 1838 étaient favorables au bilinguisme, franchement des libéraux au sens premier du terme et donc plus enclin à combattre la monarchie que pour la survie de la « Race »... Après l'échec de la révolte des patriotes qui soude le Haut et le Bas-Canada en 1840 et consacre la minorisation, des « Canadiens » se développent un nouveau sentiment d'appartenance des Britanniques au Canada. De tout cela il en résulte que les Canadiens deviendront des Canadiens français; les Anglais deviendront des Canadiens anglais.

Le choix en 1867 du nom de Canada pour désigner la nouvelle fédération britannique reste un moment incontournable de la confusion identitaire canado-québécoise. En gardant le nom de Canada, les « Pères de la Confédération » en viennent à désigner des identités qui n'ont pas le même sens pour les anglophones et les francophones. La province de Québec devient le point de référence de la majorité des Canadiens français bien que cette province constitue juridiquement une administration pareil aux autres dans l'ensemble canadien. L'adoption du « fleur-de lysé » comme drapeau du Québec en 1948 est un bel exemple du provincialisme institué dans l'identité canadienne-française et québécoise. Repris par les souverainistes québécois le drapeau du Québec représente bizarrement la monarchie française et le catholicisme plutôt en bon terme avec le pouvoir anglais; précisément ce que les patriotes de 1838 avaient combattu.

Le Québec et le multiculturalisme canadien

Il faut attendre 1960 pour qu'une identité québécoise apparaisse et finisse par remplacer graduellement l'identité canadienne-française du moins chez les "Franco-québécois ". L'identité québécoise s'ajoute à l'identité canadienne et l'identité canadienne-française en dehors du Québec, sans compter l'identité acadienne... Or, pour une part importante de ceux qui se déclarent Québécois de nos jours, le terme pourrait être un synonyme de « Canadiens français ». Ainsi le « Nous » dont il question ici reste relatif au sens anthropologique du terme. En principe, pourtant, tous les habitants du Québec devraient être des citoyens du Québec, donc des Québécois.

En fait, aux yeux du monde, il n'y a pas véritablement de citoyens québécois. Il n'y a que des citoyens canadiens. Au Québec il n'y a que des habitants d'une province de qui on dit, depuis une motion adoptée par le Parlement fédéral, que les Québécois forment une « nation » dans la nation canadienne... Mais que sont ces Québécois de l'avis du Parlement canadien ? Tous les habitants du Québec ou juste les descendants de colons français ayant jadis assimilé quelques Irlandais catholiques ? Il y a donc un seul pays ici : le Canada (prononcé avec un accent anglais généralement). C'est peut-être pour cette raison que cela viendrait moins facilement à l'idée d'un « Canadian » de dire : « je suis un Canadian et vous vous êtes, à l'opposé, un Pakistanais ». C'est peut-être ce qui expliquerait aussi pourquoi un « Canadian » se reconnaîtrait plus facilement dans l'identité pluraliste du multiculturalisme fédéral, sans que cela suscite une grande peur chez lui de prendre son identité. En revanche, l'obsession de certains nationalistes québécois à l'égard du multiculturalisme canadien ne révélerait-elle pas, par défaut, l'acceptation de notre statut d'ethnie dominée qui ne devrait pas être considérée l'égale des autres ethnies, certes, mais une ethnie tout de même... Nous resterions donc prisonniers de notre ethnie.

Les immigrants, les minorités, la Charte et l'universel.

Pour bien des immigrants, le pays dans lequel ils vivent se nomme le Canada. Le Québec dans tout cela ? Une province, un district administratif, un peuple distinct, une sorte de nation, une sorte de citoyenneté en dessous, à côté. Je ne blâme pas les immigrants pour cette adhésion imprécise à une identité elle-même pour le moins confondante. Ne sachant pas nous-mêmes qui « nous » sommes, comment pourrions-nous imposer une identité aux « autres » ! Faut-il s'étonner alors que pour bien des immigrants comme des membres des « minorités » ethniques, la fameuse Charte des valeurs québécoises dont on parle actuellement sonne comme la « Charte des valeurs canadiennes-françaises ». Pour briser cette perception, il nous faudrait donc « universaliser » cette Charte, comme nous l'avons fait avec la Charte de la langue française (qui fait du français un moyen de communication dans l'espace public). Or, intégrer par l'universel ce n'est pas nier le caractère ethnique des communautés, mais dépasser ceux-ci. Précisément il s'agit d'intégrer et non d'assimiler dans le cadre du respect et du droit. Pourquoi ? Parce que la volonté d'affirmer l'histoire singulière des majoritaires dans sa dimension homogénéisante et fantasmatique est précisément le signe de notre aliénation nationale. Ainsi, envisageant la Charte des valeurs québécoises comme un principe universel disparaît le complexe du minoritaire, marqué de la peur de l'Autre.

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