Avant le XIX siècle, il n'y avait pas de découpure précise qui délimitait les disciplines entre elles. Ces dernières étaient assez limitées et se juxtaposaient les unes aux autres. La philosophie, l'histoire, la théologie, la mathématique et la physique étaient les principales disciplines qui englobaient l'ensemble des connaissances et qui permettaient également d'expliquer l'ensemble des phénomènes.
Le contexte complexe du XIXe siècle, notamment la volonté de développer des connaissances précises et pointues et de dissocier le savoir de disciplines comme la théologie ou la philosophie, a mené à la création de disciplines spécialisées. C'est à cette époque que plusieurs d'entre elles, notamment les sciences humaines et sociales, ont vu le jour, ou se sont du moins constituées plus officiellement. C'est le cas spécialement de la psychologie, de la sociologie et de l'anthropologie.
Contrairement à ce qu'on pourrait penser, la psychologie, en tant que discipline officielle, est donc relativement jeune. Aujourd'hui, elle est pourtant mieux connue, plus populaire et jouit d'une plus grande notoriété que les autres disciplines des sciences humaines et des sciences sociales qui se sont constituées à la même époque. À quoi peut-on attribuer ce succès?
Une piste d'explication réside peut-être dans le modèle de scientificité de la psychologie. Elle est sans équivoque considérée comme la plus « scientifique » des disciplines des sciences humaines et des sciences sociales. En raison de sa capacité à appliquer la méthode empirique et expérimentale, la psychologie est en mesure d'effectuer des expérimentations, et, par ricochet, à utiliser l'induction et la déduction. C'est ce qui fait sa force et lui confère un aspect de scientificité important. Les autres disciplines de sa famille, dont la sociologie et l'anthropologie, bien qu'elles aient tenté de le faire, n'ont jamais été en mesure d'appliquer un tel modèle de scientificité. Leurs objets d'études empêchent la plupart du temps de le faire, car il est évidemment plus difficile, souvent même impossible, d'effectuer des expériences contrôlées sur des phénomènes, des structures, des pratiques ou des rapports sociaux.
Les champs d'études de la psychologie et son modèle de scientificité la mettent également en interrelation avec des disciplines provenant de la famille des « sciences pures », dont la biologie, la chimie et la médecine. Cette interrelation attribue de la crédibilité à la psychologie, puisque les spécialistes de ces disciplines sont reconnus comme étant des scientifiques de haut niveau. Sur le plan de la méthode expérimentale, la psychologie a donc l'assentiment général de la communauté scientifique, ce qui peut évidemment que participer positivement à son prestige et à sa renommée. À une époque où le terme « science » est accolé à tout (on parle par exemple des sciences de l'éducation ou des sciences de la gestion), la psychologie a par conséquent un statut privilégié.
La méthode expérimentale utilisable en psychologie est clairement une des forces majeures de la discipline, qui fait plusieurs jalouses dans les autres disciplines des sciences humaines et des sciences sociales. Il faut par contre nuancer certaines choses. Les théories psychologiques les plus populaires auprès de la population générale sont souvent celles qui ne se basent pas ou très peu sur la méthode expérimentale et qui ne répondent pas aux critères de scientificité. C'est le cas par exemple des théories de l'inconscient, de la psychanalyse, des concepts du « moi », du « ça » et du « surmoi » ou des théories faisant des liens entre les émotions refoulées et le développement des maladies physiques comme le cancer. Elles sont pourtant largement répandues, utilisées et considérées comme des faits. Malgré la robustesse de la psychologie sur plusieurs points, les postulats de certaines écoles de pensée sont plus que discutables.
À l'époque où la religion et la spiritualité connaissent un déclin important et où les valeurs communes ne sont plus divinement transcendantes, la psychologie peut devenir la discipline remplissant ce rôle, en permettant aux individus de s'épanouir, de se guérir et d'orienter leur vie, de savoir quoi faire et comment se comporter. C'est ce qui pourrait en partie expliquer sa popularité et sa notoriété, notamment la branche de la psycho pop. La ligne est parfois mince entre la psychologie en tant que discipline scientifique et la motivation, l'ésotérisme, la spiritualité, l'éducation et le projet de vie.
La popularité de la psychologie peut peut-être s'expliquer par le fait qu'on est, tous les jours, confrontés à des situations qui demandent d'utiliser de ses principes. Un enfant fait une crise de jalousie, un ami a besoin d'être consolé ou une conjointe a besoin d'encouragement pour poursuivre des études. Sur une base quotidienne, tout le monde est donc appelé, d'une certaine manière, à faire de la psychologie, alors que tout le monde n'est pas appelé à faire de la philosophie, de la sociologie ou de l'anthropologie.
Dans le même esprit, sur une base quotidienne, on est appelés à utiliser nos connaissances mathématiques, alors qu'on fait peu appel à nos connaissances en chimie. Ce qui semble toutefois particulier avec la psychologie et les sciences sociales, c'est que la première semble faire de l'ombre aux secondes, ce qui ne semble pas être le cas dans les autres domaines scientifiques. Outre son caractère de scientificité et son rôle spirituel dans la société contemporaine, quels sont les autres facteurs qui peuvent expliquer la popularité sans cesse grandissante de la psychologie? Les explications à saveurs psychologiques sont-elles plus accessibles, plus simples? La psychologie de base est-elle le nouveau sens commun? La psychologie est-elle la nouvelle métaphysique contemporaine?
Les avancées en psychologie, tant sur le plan des connaissances que sur le plan des méthodes, sont importantes. Elles sont probablement les plus importantes dans le domaine des sciences humaines et des sciences sociales. Dans l'ensemble, cette discipline en est une de rigueur. Il est toutefois pertinent de s'interroger sur la place qu'elle occupe et qu'elle occupera dans la société et de remarquer les liens entre les valeurs d'une société, par exemple l'individualisme, et les disciplines les plus populaires.
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