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Pour que la mort de Rona, Zainab, Sahar et Geeti ne soit pas vaine

Comme société démocratique et État de droit, nous ne pouvons continuer à fermer les yeux sur la violence conjugale et familiale sous prétexte qu'elle s'exprime à l'intérieur d'une communauté, d'une religion, d'une tradition ou d'un système patriarcal.
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AP

Fatima Houda-Pepin a fait adopter, en 2005, à l'unanimité de l'Assemblée nationale, une motion contre l'implantation de la charia au Canada qui a fait le tour du monde et fait reculer le gouvernement de l'Ontario. Elle lutte, depuis une trentaine d'années contre l'instrumentalisation des religions et des pratiques culturelles pour justifier la haine à l'égard des femmes. Dans son texte « Pour que la mort de Rona, Zainab, Sahar et Geeti ne soit pas vaine », elle lance un appel à la vigilance et à l'action pour protéger les femmes issues des minorités de ces traditions moyen-ageuses qui les suivent même dans les sociétés démocratiques, comme le Canada.

Le verdict est tombé, le 29 janvier dernier, à Kingston, dans le procès de Mohamed Shafia (59 ans), sa deuxième épouse, Tooba Yahya (42 ans), et leur fils, Hamed (21 ans), un procès qui nous a tenu en haleine pendant trois mois. Le verdict était clair et non équivoque, rendu par un jury unanime, après 15 heures de délibération. Les trois accusés sont déclarés coupables de quatre meurtres prémédités et condamnés à 25 ans de prison, sans possibilité de libération conditionnelle.

Leur crime sordide: avoir planifié et assassiné quatre femmes de leur famille dont les corps ont été repêchés au fond des écluses de Kingston Mills, en Ontario, le 30 juin 2009. Le crime parfait ou presque, un crime déguisé en accident, qui a emporté quatre femmes, dans la fleur de l'âge: les trois filles de Mohamed Shafia et de sa deuxième épouse, Tooba, soit Zainab (19 ans), Sahar (17 ans) et Geeti (13 ans) ainsi que Rona Amir Mohamed (53 ans), sa première épouse, qu'il a fait venir au Canada, sous de fausses représentations en la faisant passer pour une cousine, pour cacher son statut de polygame. Le « délit » de ces victimes innocentes: avoir aspiré à la liberté et cru en nos institutions pour les protéger de la tyrannie d'un patriarche déchu.

Les accusés ont tout nié, prétendant n'avoir jamais entendu parler de crimes d'honneur avant d'arriver au Canada. Pourtant, le 21 juillet 2009, à la veille de leur arrestation, Mohamed Shafia, dans un aveu sans équivoque, affirme à son fils Hamed: « Même si on me hisse sur la potence, rien n'est plus cher que mon honneur. Rien n'est plus grand que notre honneur. Fais un homme de toi, ne sois pas une femme. Ta mère est un homme.»

Ceux qui ont suivi ce drame savent que Tooba Yahya a « fait un homme d'elle » à la barre des accusés et que Hamed a été impassible tout au long du procès, démontrant ainsi à son père chéri « qu'il n'était pas une femme ».

Je salue le juge Robert Maranger pour le courage de ses propos, quand il a clairement identifié la source de ces crimes haineux: « La raison manifeste de ces meurtres honteux, exécutés de sang-froid, est que les quatre victimes tout à fait innocentes ont offensé votre conception tordue de l'honneur. Une notion fondée sur la domination et le contrôle des femmes, une notion malade de l'honneur qui n'a absolument pas sa place dans aucune société civilisée.» On ne peut pas mieux dire !

Pour que la mort tragique de Rona, Zainab, Sahar et Geeti ne soit pas vaine, nous devons reconnaître que des femmes issues de certaines communautés vivent dans des situations de vulnérabilité extrême. Leur statut précaire est souvent aggravé par l'absence, autour d'elles, d'un réseau d'appui, et par la méconnaissance de certains codes de communication, notamment la langue, la culture institutionnelle et plus encore, par la méconnaissance de leurs propres droits. Rona, Zainab, Sahar et Geeti nous ont pourtant crié leur désespoir, mais nous n'avons pas su les écouter, elles ont pris leur courage à deux mains pour nous alerter, mais nous n'avons pas su leur venir en aide.

Toutes les femmes immigrantes en situation de détresse n'aboutissent pas dans le fond d'un canal, mais elles sont malheureusement nombreuses à vivre les affres de la domination, de l'humiliation, de l'exclusion, voire même de la haine. Il n'est pas rare de constater que dans certaines communautés, les interdits qu'on leur impose dans le contexte de l'immigration sont encore plus sévères que dans leur propre pays d'origine.

Les travailleuses sociales et communautaires, les infirmières, les médecins, les psychologues, les policiers et les intervenants sociaux et éducatifs ne manquent pas, généralement, de volonté pour leur venir en aide, mais ils n'ont pas les outils adéquats pour décoder, comprendre, prévenir et agir dans des situations de débordement du fanatisme religieux et du relativisme culturel.

Comme société démocratique et État de droit, nous ne pouvons continuer à fermer les yeux sur la violence conjugale et familiale sous prétexte qu'elle s'exprime à l'intérieur d'une communauté, d'une religion, d'une tradition ou d'un système patriarcal. Les droits des femmes sont des droits de la personne, et les droits de la personne ne se mesurent pas à l'aune de la race, de la couleur, de la religion ou de l'origine ethnique.

Il faut donc dénoncer, publiquement et fermement -- au-delà de la peur et des risques de se faire accuser de racisme ou d'islamophobie -- toute manifestation de haine à l'égard des femmes, une haine qui s'exprime, de plus en plus ouvertement, avec une fixation maladive sur le contrôle de leur corps, de leur sexualité, de leur liberté de mouvement et d'action. Rona, Zainab, Sahar et Geeti ont payé ce désir de liberté au prix de leur vie. Ne les oublions pas.

Il faut faire plus et ça urge, à commencer par un geste simple: mettre sur pied des tables de concertation des différents intervenants pour développer une approche commune face à la gestion de la diversité culturelle, ethnique et religieuse. Une collaboration avec les organismes communautaires qui oeuvrent sur le terrain permettrait de bien documenter et de mieux comprendre les drames que vivent des femmes et des jeunes filles aux prises avec le poids de traditions et de pratiques culturelles d'un autre âge.

Dans une société pluraliste, les institutions publiques gagneraient à offrir une formation qualifiante aux membres de leur personnel pour leur permettre de réussir leurs interventions, lorsque confrontées à des situations de conflits de valeurs ou de chocs des cultures, particulièrement en ce qui a trait aux relations hommes-femmes. Pour avoir consacré, moi-même, une dizaine d'années de ma vie professionnelle à la formation de policiers, d'infirmières, de travailleuses sociales, d'enseignantes et enseignants, de gestionnaires de ressources humaines, d'orienteurs professionnels et de dirigeants d'entreprises, en matière de gestion de la diversité, je suis à même d'en évaluer les bénéfices et la plus-value pour les professionnels concernés, pour les organisations et pour la société tout entière.

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