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Jacques Parizeau ou la noblesse de la politique

Jacques Parizeau donnait de la noblesse et de la hauteur à la politique. Sa compétence et sa vaste culture lui conféraient une stature d'un homme d'État. J'ai beaucoup appris de lui et de ses débats en Chambre.
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Monsieur Parizeau a rendu l'âme, hier soir, à l'âge de 84 ans. Sa feuille de route académique et politique est impressionnante. Homme engagé dans la défense des intérêts supérieurs du Québec, il a été fidèle à ses convictions sa vie durant. C'est l'un des rares indépendantistes qui était capable, malgré son âge avancé, d'attirer des jeunes à ses conférences dans des salles combles. Au-delà de nos divergences d'opinions, mon allégeance fédéraliste ne m'a jamais empêché de lui manifester le respect qu'il imposait. Il était d'une grande courtoisie à mon égard.

À l'élection générale du 12 septembre 1994, j'ai fait campagne contre lui et défendu l'option fédéraliste dans plus de 300 rencontres à travers le Québec durant les mois qui nous ont menés jusqu'au référendum du 30 octobre 1995.

Jacques Parizeau donnait de la noblesse et de la hauteur à la politique. Sa compétence et sa vaste culture lui conféraient une stature d'un homme d'État. J'ai beaucoup appris de lui et de ses débats en Chambre, comme la fois où il avait déclaré « qu'un ministre est responsable de tout ce qui se passe dans son ministère même de ce qu'il ne sait pas ».

J'ai aussi découvert chez lui le sens des préoccupations sur le terrain. Par exemple, lorsqu'il a cumulé le poste de ministre de la Culture, suite à la démission de son titulaire, Marie Malavoy, le 25 novembre 2014, je me suis adressée à lui pour avoir une subvention à un groupe d'artistes peintres de ma circonscription qui organisait un symposium à l'occasion de son 15e anniversaire. Les organisateurs et les artistes étaient très surpris d'apprendre qu'un premier ministre indépendantiste avait pris la peine de confirmer, le jour même de l'événement, à une députée fédéraliste, l'octroi de la subvention qu'elle lui avait demandée.

En 1995, j'avais mis sur pied une table de concertation des partenaires du marché du travail à Brossard, pour monter un projet de Carrefour Jeunesse emploi. Le cabinet de la ministre de l'époque l'avait refusé sous prétexte que la circonscription de La Pinière était aisée et que la priorité du gouvernement était donnée aux jeunes des milieux défavorisés. J'ai interpellé le premier ministre.

« Monsieur Parizeau, avez-vous une objection à ce que les jeunes qui ont l'ambition de réussir soient soutenus par le gouvernement ? »

« Non, pas du tout. Pourquoi ? », me demanda-t-il.

Dans les jours qui ont suivi, je lui ai remis copie du dossier. Le projet a finalement été analysé à son mérite et la ministre est venue elle-même annoncer la subvention gouvernementale pour le démarrage d'un Carrefour emploi-La Pinière.

Mais l'événement qui va me marquer à jamais est celui que j'ai vécu à l'Assemblée nationale, le 15 décembre 1995. Ce jour-là, le premier ministre Jacques Parizeau qui avait annoncé sa démission au lendemain du référendum, le 31 octobre, allait prendre la parole en Chambre, pour sa dernière « déclaration ministérielle ». Une déclaration ministérielle est un moment très solennel où un ministre ou un premier ministre intervient, avant la période des questions, pour faire une annonce importante. La procédure veut que cette déclaration soit suivie par la réplique du vis-à-vis du premier ministre (le chef de l'opposition officielle) ou des ministres (le critique en la matière faisant l'objet de la déclaration).

Les parlementaires de l'opposition prennent généralement connaissance du texte de cette déclaration à la dernière minute, une heure avant sa présentation en Chambre. Le service de recherche de l'opposition se précipite pour préparer une réplique qui sera présentée en Chambre par le porte-parole concerné. Dans le cas présent, mes collègues députés libéraux et moi-même avons quitté le caucus avec l'idée que notre chef, Daniel Johnson allait prendre la parole en Chambre pour répliquer au premier ministre Parizeau.

À peine arrivée à mon bureau pour me préparer à aller en chambre, un proche collaborateur du chef de l'opposition officielle me rejoint et me remet le texte de la Déclaration ministérielle en me disant avec délicatesse « Monsieur Johnson te demande de donner la réplique à la déclaration de Jacques Parizeau. Tiens, lis-la ». Je regarde l'heure, il restait exactement 30 minutes avant l'ouverture de la séance. Je parcours rapidement le texte et lui dis « Ce n'est pas une déclaration, c'est un testament politique ». Il me répond « Oui, tu as tout compris ». « Avez-vous préparé des notes pour ma réplique ? », demandais-je. « Non, tu connais bien la Charte des droits, on te fait confiance ».

Je me suis tournée vers ma secrétaire et commencé à dicter la réplique de l'opposition officielle au fur et à mesure que je lisais les pages de la Déclaration ministérielle. Je n'avais aucune balise autre que mon jugement politique. J'étais tailladée par deux inquiétudes, la première : serais-je à la hauteur pour donner la réplique à un premier ministre d'une telle stature dans un moment aussi dramatique que celui de l'annonce de sa démission et de sa défaite référendaire ? Et la deuxième : comment réagiront les collègues libéraux de mon caucus si je m'avançais trop, dans ma réplique, sur des positions qu'ils ne partagent pas ?

Pendant que je dictais la réplique à ma secrétaire, je voyais sur mon écran de télévision, le premier ministre Jacques Parizeau débutant sa Déclaration ministérielle en Chambre. J'arrache la dernière page à l'imprimante et je cours rejoindre mon siège en déboulant les escaliers. À peine assise, il fallait que je me lève pour prendre la parole. Pour la première fois de ma vie parlementaire, mes genoux claquaient de trac. J'étais consciente que je vivais un moment exceptionnel en me tenant debout face à un géant qui s'incline devant l'histoire. Je n'ai jamais revisité cette déclaration ni ma réplique. Depuis 20 ans, c'est la première fois que je me fais livrer le Journal des débats de cette date fatidique dont je partage quelques extraits avec vous.

Je laisse tout l'espace à monsieur le premier ministre Jacques Parizeau pour sa déclaration ministérielle du 15 décembre 1995 : « Débats de société sur l'équité salariale, la discrimination basée sur le handicap, l'orientation sexuelle et la grossesse, l'âge de la retraite, les droits des victimes d'actes criminels et les règles éthiques de l'administration publique. »

M. le président, j'adresse aujourd'hui à cette Assemblée, à mes collègues parlementaires du gouvernement et de l'opposition, une dernière déclaration ministérielle. Il s'agit, cependant, d'une déclaration différente de toutes celles, je pense, qu'il m'a été donné de faire en 14 ans de vie parlementaire.

J'évoque mes amis de l'opposition parce que mon sujet d'aujourd'hui ne colle nullement aux clivages principaux qui nous ont opposés cette année ou au cours des années précédentes. Je voudrais aborder cinq débats, cinq débats de société qui appellent autant la raison que la conscience de chacun. Certains de ces débats ont trait à notre Charte québécoise des droits et libertés. Sur ces sujets, les citoyens, comme leurs représentants, se déterminent en fonction de leurs valeurs et non pas en fonction de leur affiliation politique.

C'est pourquoi j'aimerais proposer ici qu'à l'avenir, notamment sur des questions qui concernent la Charte des droits et libertés, les membres de cette Assemblée aient la possibilité de recourir au vote libre, que les majorités se fassent et se défassent sans engager, bien sûr, la confiance du gouvernement, mais en permettant que les regroupements apparaissent entre députés de tous les partis représentés ici, ce qui permettra, je l'espère, de ranimer l'esprit de collaboration parlementaire, une denrée dont on ne peut que constater la raréfaction.

C'est donc en tant que premier ministre et avec l'appui du Conseil des ministres que je soumets à votre discussion les cinq sujets suivants : l'équité salariale ; la discrimination basée sur le handicap, l'orientation sexuelle et la grossesse ; l'âge de la retraite ; les droits des victimes d'actes criminels ; et les règles éthiques qui doivent s'appliquer aux administrateurs publics nommés par le gouvernement, ses entreprises et ses organismes.

Finalement, il me fait plaisir de quitter cette Assemblée en la saisissant d'un projet de loi qui permettra à notre démocratie de faire un pas de plus sur la voie de l'intégrité et de l'éthique. Comme vous le savez, plusieurs cas problèmes ont, au cours des dernières années, contribué à miner le lien de confiance entre les citoyens et les administrations publiques, sociétés d'État, filiales d'entreprises publiques et parapubliques et compagnie dans lesquelles le gouvernement détient des intérêts importants.

Je dépose aujourd'hui un projet de loi concernant l'éthique et la déontologie de ces administrateurs publics, et qui complète la législation existante. Nous avons visé large et nous voulons couvrir le plus grand nombre possible de situations et de personnes. Ce projet permettra au gouvernement de mettre un terme à certains abus, notamment en matière de contrats et d'indemnités de départ. J'ai d'ailleurs tenu à ce que le projet de règlement soit déposé en même temps que le projet de loi pour bien illustrer la rigueur des principes et l'étendue des moyens que nous proposons pour rétablir le lien de confiance entre les administrateurs publics et les administrés. C'est dans ce même état d'esprit que le ministre de la Justice vous soumettra aujourd'hui sa réforme des tribunaux administratifs. Vous le voyez, M. le Président, les questions que j'ai abordées aujourd'hui tiennent à la qualité de notre vie sociale et démocratique [...]

Quant à moi, je vous laisse à ces débats avec la satisfaction d'avoir contribué ces dernières années à la réflexion collective, mais surtout avec la sereine conviction que cette Assemblée saura, demain comme hier, conduire le Québec toujours plus avant sur la voie de la justice, de la démocratie et de l'équité.

Reposez en paix monsieur le premier ministre Jacques Parizeau. C'est un repos bien mérité.

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