Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.
Non Claire, vous ne serez pas oubliée, car vous faites partie de ces immortels qui ont marqué l'Histoire. Par votre exemple, votre détermination et vos réalisations, vous avez démontré aux femmes qui suivent vos traces que tout est possible.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

Non, elle n'a pas porté le chapeau!

Claire Kirkland-Casgrain, la femme des premières, a droit à des funérailles nationales, bien méritées. Il y a 55 ans, quand elle a fait l'histoire en devenant la première députée élue à l'Assemblée législative du Québec, la question qu'on se posait dans les chaumières était de savoir si elle allait «porter le chapeau».

Selon Saint Paul, l'Apôtre des gentils, dans son Épître aux Corinthiens, les chrétiennes devaient porter le voile comme signe de leur subordination à l'homme. Claire n'a pas porté de chapeau.

Lorsque je suis entrée moi-même à l'Assemblée nationale, à titre de députée de La Pinière, il y a 22 ans, j'avais l'impression que l'égalité entre les femmes et les hommes était déjà inscrite dans les mœurs politiques, mais plus je me familiarisais avec le discours ambiant, plus je pensais à Claire et aux luttes qu'elle a dû mener pour inscrire les priorités des femmes dans le programme législatif du parlement et les politiques publiques du gouvernement.

Je lui voue une grande admiration, tellement, que je me suis battue pour qu'elle soit immortalisée de son vivant à côté des trois suffragettes dans le Monument en hommage aux femmes en politique, dont j'ai piloté le projet pour l'Assemblée nationale, érigé depuis décembre 2012 sur la Colline Parlementaire. Elle a été pour moi une source d'inspiration et un exemple de courage et de détermination.

«Il y a trop de renards dans la politique pour y introduire des poules»

En suivant les traces de son parcours, j'ai entrepris de lire le Journal des débats et les journaux de l'époque, depuis les années 1920. Les discours que tenaient nos «augustes élus» sur le droit de vote des femmes étaient très parlants, comme l'illustre bien celui de Robert Raoul Bachand, député de Shefford de 1931 à 1935, qui a déclaré en pleine Assemblée: «Il ya trop de renards dans la politique pour y introduire des poules».

Pas étonnant que même si le droit de vote et d'éligibilité des femmes ait été octroyé aux Québécoises par le premier ministre libéral d'alors, Abélard Godbout, le 25 avril 1940, il a fallu attendre plus de 21 ans avant que la première femme, Claire Kirkland-Casgrain, fasse son entrée au Parlement en décembre 1961. Elle tiendra le fort, seule, dans un forum d'hommes pendant près de 12 ans.

Comment a-t-elle pu affronter la misogynie dominante de son époque? Cette réponse, elle me la donnera elle-même, quelques années plus tard, lors d'un entretien que j'ai eu avec elle, chez elle, et dont l'original est disponible dans les Archives de l'Assemblée nationale.

«Je pensais qu'on m'avait oubliée»

C'était en 2008. J'organisais à titre de première vice-présidente de l'Assemblée nationale, un colloque sur les 50 ans de présence des femmes en politique, dans le cadre du 400e anniversaire de la Ville de Québec, un événement majeur qui ne pouvait se tenir sans la pionnière qui a ouvert la voie à toutes celles qui ont marché sur ses pas.

Claire avait accepté avec plaisir de me recevoir chez elle et m'a ouvert son cœur et une partie de ses archives visuelles, pour le plus grand plaisir de l'équipe de tournage qui m'accompagnait et qui était autorisée à filmer.

Un extrait de ce documentaire a été présenté lors du colloque de 2008 à l'Assemblée nationale. Il a touché les participantes dont plusieurs voyaient cette pionnière pour la première fois. Une jeune étudiante de l'Université Laval, émue aux larmes, m'avait interpellée «Comment se fait-il que je sois rendue à l'Université et que personne avant aujourd'hui ne m'ait parlé de Claire Kirkland-Casgrain?» C'est un peu le commentaire que m'avait fait Claire à l'issue de notre entretien mémorable, en me remerciant de ma visite. «Je pensais qu'on m'avait oubliée!»

Non Claire, vous ne serez pas oubliée, car vous faites partie de ces immortels qui ont marqué l'Histoire. Par votre exemple, votre détermination et vos réalisations, vous avez démontré aux femmes qui suivent vos traces que tout est possible.

Votre monument avec les trois suffragettes, sur le site du Parlement, continuera de nous raconter cette remarquable page d'Histoire. Vous y êtes, debout, tenant dans votre main droite la Loi 16 sur la capacité juridique de la femme mariée qui nous rappelle la longue marche des femmes pour l'égalité. De votre main gauche, vous faites signe aux futures générations de femmes d'entrer au Parlement et d'y prendre leur place. Non, Claire, on ne vous oubliera pas!

Déjà le Maire de Montréal, Denis Coderre, a annoncé qu'il vous honorera en nommant un espace public en votre nom. Je formule le vœu que l'Assemblée nationale, qui a entrepris des travaux d'agrandissement, puisse attribuer votre nom à l'une des salles des commissions parlementaires.

La femme des premières

Première femme élue en 1961 à l'Assemblée législative du Québec, Claire Kirkland-Casgrain accédera en décembre 1962 au poste de ministre d'État dans le gouvernement de Jean Lesage et occupera - du moins temporairement - le fauteuil de première ministre, du 2 au 6 août 1972, en remplacement du premier ministre d'alors, Feu Robert Bourassa.

Admise au Barreau du Québec en 1952, après un parcours académique impressionnant, elle exercera sa profession d'avocate et défendra, en l'absence d'un régime universel d'assurance automobile, plusieurs causes touchant les accidentés de la route, une expérience qui la préparera à assumer la charge de ministre des Transports.

Elle est arrivée au Parlement par la voie la plus proche de la politique après avoir milité au sein de son parti, où elle a assumé la présidence de la Fédération des femmes libérales du Québec et participé à l'organisation des campagnes électorales de son père, Charles-Aimé Kirkland, médecin de profession et député libéral de Jacques-Cartier de 1939 à 1961.

Claire ne l'a pas eu facile, d'abord au sein de son propre parti et ensuite avec ses collègues masculins au parlement et au gouvernement. Ses états de service n'ont pas suffi à bien la placer dans les bonnes grâces de son chef, Jean Lesage, et des organisateurs libéraux. Il a fallu l'appui de deux poids lourds, Paul Gérin-Lajoie et Georges-Émile Lapalme, pour lui permettre de se porter candidate à l'élection partielle de 1961, dans le comté de Jacques Cartier, et ainsi succéder à son père, à la suite de son décès.

Réélue à l'élection générale de 1962, avec 49 000 voix de majorité, la plus grosse majorité dira-t-elle fièrement, elle fera son entrée au Conseil des ministres la même année, devenant ainsi l'une des artisanes de la Révolution tranquille. De 1961 à 1973, pendant près de 12 ans, elle sera la seule femme élue à évoluer parmi une Assemblée d'hommes avant qu'elle ne parte pour un poste de juge à la Cour du Québec et que Lise Bacon prenne le relais à la suite de l'élection générale du 29 octobre 1973.

Lorsque Claire Kirkland-Casgrain entre au Parlement, il n'y avait pas encore de toilettes pour femmes. Comme les députés siégeaient par périodes, jour et nuit, elle n'avait pas non plus accès au bar où ses collègues masculins prenaient un coup entre deux interventions en Chambre, à la porte du Salon bleu. Elle devait tout faire par elle-même, n'ayant pas de secrétaire.

La femme des réalisations

Néanmoins, durant les années où elle a assumé des responsabilités ministérielles, et même dans l'opposition, Claire Kirkland-Casgrain va laisser une empreinte durable en accomplissant des réalisations qui vont marquer le Québec. Déjà comme avocate et militante libérale pour les droits de la personne, elle va être sensibilisée à la discrimination faite aux femmes.

En effet, s'il est tout à fait normal aujourd'hui qu'une femme puisse ouvrir un compte de banque en son nom et signer des contrats et des documents à caractère juridique, il n'en a pas toujours été ainsi. Jusqu'au milieu des années 1960, le Code civil du Bas-Canada plaçait les femmes mariées sous tutelle, au même titre que les mineurs.

D'ailleurs, la nouvelle députée, forte de sa légitimité d'élue, va le constater durement quand elle va chercher à louer un logement à Québec pour son séjour durant la session parlementaire.

Étant «incapable juridiquement», elle ne pouvait signer son bail. Il a fallu que son mari, Philippe Casgrain, le fasse pour elle.

Calire Kirkland-Casgrain va poser un geste fort en faisant adopter en 1964 le projet de loi 16, «Loi portant sur la capacité juridique de la femme mariée», qui va garantir les mêmes droits aux époux, libérer les femmes de cette tutelle aberrante et leur donner leur dignité.

Elle poursuivra son œuvre de défense des droits des femmes en adoptant, en 1969, alors qu'elle était députée de l'opposition, la Loi concernant les régimes matrimoniaux et l'établissement de la société d'acquêts et en 1973, la Loi établissant le Conseil du statut de la femme.

De 1964 à 1966, elle fait de la sécurité routière sa principale préoccupation à titre de ministre des Transports et des Communications. Nommée ministre du Tourisme, de la Chasse et de la Pêche, de 1970 à 1972, elle présidera à la création de l'Institut de tourisme et d'hôtellerie du Québec (ITHQ) et donnera un statut public à des espaces verts, jusque-là réservés aux clubs privés, créant ainsi les premières réserves fauniques du Québec. Nommée ministre de la Culture, de 1972 à 1973, elle fera adopter une loi importante sur la protection des biens culturels.

Repose en paix Claire. On se souviendra de toi pour des générations à venir!

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Marie Lacoste-Gérin-Lajoie (1867-1945)

Principales pionnières féministes du Québec

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.