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Qu'est-ce qui pousse ces jeunes filles à rejoindre l'État islamique?

Les sites djihadistes savent manipuler la sensibilité de ces jeunes filles en parlant de l'image noble de la femme qui serait à l'abri de l'instabilité moderne et vivrait dans la confiance absolue sous l'aile protectrice des hommes qui servent l'État islamique.
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Parmi les candidats au jihad prêts à partir pour la Syrie, deux groupes jouent un rôle saillant (allant jusqu'au quart, voire 40% des adeptes) qui étaient marginaux avec les jeunes des banlieues: les jeunes filles et femmes et les convertis.

Les jeunes femmes se répartissent en deux groupes, celles qui sont des classes populaires et ont vécu dans les banlieues et celles des classes moyennes qui sont majoritaires.

Parmi les jeunes femmes des banlieues, il y en a qui suivent leur homme et leur emboîtent le pas, mais il y a aussi quelques cas de femmes qui se sont autonomisées et ont opté pour un projet jihadiste distinct de celui de leur compagnon. C'est notamment le cas de Hayat Boumediene, d'origine algérienne, la compagne d'Amédy Coulibaly qui a tué une policière et quatre Juifs dans la période 7-9 janvier 2015. Juste quelques jours avant les attaques, elle prend l'avion et quitte la France pour la Turquie d'où elle rejoint l'État islamique (le Daech) avant que la justice française n'envoie un mandat international pour son arrestation. L'organisation de son départ pour la Syrie montre qu'elle était bien au courant des attaques en perspective par son compagnon, mais qu'elle avait opté pour sa propre voie jihadiste, marquant de la sorte son autonomie par rapport à lui.

Pour ce qui est des jeunes filles et femmes des classes moyennes, il y en a eu quelques-unes auparavant comme la Belge Muriel Degauque qui a perpétré un attentat suicide en novembre 2005 à Bakouba en Irak, tuant cinq policiers irakiens, mais elle était âgée de 38 ans et avait été radicalisée en troisième mariage par son mari qui trouvera la mort quelques jours plus tard par l'armée américaine; Collen LaRose, connue sous le nom de Jihadi Jane, née en 1963 a été condamnée par la justice américaine à 10 ans de prison pour participation à des actions terroristes islamistes; Samantha Lewthwaite, né en 1983 et l'une des femmes les plus recherchées pour participation aux attaques jihadistes. Mais toutes ces femmes ont dépassé la trentaine. Ce qui est nouveau chez les jeunes femmes et filles de classe moyenne est surtout la vague des jeunes filles adolescentes ou des post-adolescentes qui viennent gonfler la vague des départs ou de volonté de départ (elles ont été empêchées de partir par les autorités) en Syrie.

Une autre caractéristique est qu'elles sont majoritairement des classes moyennes et non des classes populaires (habitantes des banlieues).

Un autre trait spécifique est qu'elles sont en grand nombre des converties: du christianisme, du judaïsme (quelques cas), voire du bouddhisme ou de familles agnostiques ou athées.

Plusieurs logiques interfèrent qui poussent à leur départ. Tout d'abord une vision distordue de l'humanitaire: les frères en religion (les sunnites) auraient besoin d'aide face au pouvoir hérétique et maléfique d'Assad (alaouite, pour les sunnites secte déviante) et il faudrait s'engager pour être aux côtés des hommes. L'image de l'homme idéalisé est aussi au centre de mire de cette jeunesse féminine qui se montre réticente vis-à-vis du féminisme de leur mère ou grand-mère. On idéalise la virilité de celui qui s'exposerait à la mort et qui, dans cet affrontement, se montrerait sérieux et sincère. Ces trois adjectifs donnent un sens au « mari idéal ». Il serait capable de restaurer l'image de la masculinité fortement dégradée en raison même de l'évolution de la société; il serait « sérieux » puisqu'en combattant contre l'ennemi il révèlerait son engagement définitif, à la différence de ces jeunes hommes qui montrent des traits d'immaturité et de volatilité aux yeux de ces filles qui semblent avoir détrôné l'image du père. Enfin, la sincérité serait le troisième trait fondamental de ces jeunes hommes candidats au martyre: puisqu'ils acceptent d'aller jusqu'à la mort pour leur idéal, ils seraient « sincères » avec leur femme, leur degré de fiabilité se mesurant à leur capacité de montrer leur authenticité dans le champ de bataille.

Ce type de jeune incarnant les vertus cardinales de véracité serait l'idéal de l'homme à épouser pour échapper au malaise de l'instabilité et de la fragilité croissante qui caractérisent les couples modernes. Souvent issues de mariages recomposés en France, ayant fait l'expérience de la précarité des liaisons conjugales de leurs parents et ayant vécu le nivellement de la condition masculine dans le divorce, elles en viennent à rejeter autant l'image autonome et individualiste de l'homme que de la femme qui règne dans la société moderne. Elles se mettent en quête d'une forme d'utopie anthropologique où le sentiment de confiance et de la sincérité absolue se conjugueraient à celui de la « bonne inégalité » entre homme et femme.

Les sites jihadistes de l'État islamique (Daech) qui savent manipuler la sensibilité de ces jeunes filles exploitent cette fascination en parlant de l'image noble de la femme qui serait à l'abri de l'instabilité moderne et vivrait dans la confiance absolue sous l'aile protectrice de l'homme qui serait un appui indéfectible (le « héros ») et viril (il n'est pas efféminé, il sait comment lutter contre l'ennemi de l'islam et relève le défi de l'adversité). Surtout, une vision naïvement romantique de l'amour se conjugue avec l'attrait de la guerre, voire de la violence. Une partie de ces jeunes filles, frottée à la culture « unisexe », est fascinée par la violence guerrière. Dès lors, la violence guerrière fascine non seulement les hommes, mais aussi les jeunes femmes, la vie dans cette situation « exceptionnelle » revêtant un sens et une intensité qui fait oublier pour un temps la situation inférieure de la femme.

Les premières vagues de jeunes femmes qui sont parties en Syrie deviennent des agents de recrutement: elles envoient des courriels, entretiennent des blogues, donnent une image d'Épinal de la situation de l'épouse des « mujahids » (combattants du jihad) en Syrie. Quelquefois, une fois sur place, les « muhajirat » (les immigrées) épousent des Européens qui ont rejoint les rangs des combattants jihadistes en Syrie, comme Khadijah Dare, une Londonienne qui s'est mariée à un Suédois combattant aux côté de l'État islamique et qui a opté pour le nom d'Abu Bakr. Le rapprochement culturel entre hommes et femmes dans les sociétés occidentales fait aussi que la violence n'est pas perçue comme par le passé comme étant l'apanage exclusif de l'homme, la femme pouvant y participer indirectement, à tout le moins en l'exerçant contre d'autres femmes perçues comme étant hérétiques (par exemple les femmes « yézidies » ou des Assyriennes prises en esclavage par l'État islamique et servant de moyens pour satisfaire l'appétit sexuel des combattants, la direction de ces lupanars islamiques étant confiée à ces jeunes femmes occidentales qui ont embrassé l'islam. Elles sont membres de la brigade Al Khansaa, une police qui impose la loi de la Charia aux femmes.

Quelquefois la famille entière a émigré en Syrie et dès lors, la mère et la fille se côtoient dans cette brigade, ou encore des sœurs qui partent ensemble (le cas des jumelles Salma et Zahra Halane âgées de 16 ans et qui ont rejoint ladite brigade). En prenant certaines de ces jeunes filles dans des brigades pour l'imposition de leur version de la Charia, les protagonistes de l'État islamique donnent une forme de légitimité à ces jeunes filles et surtout, leur confèrent du pouvoir sur les non-musulmanes ou les « mauvaises musulmanes », souvent plus âgées qu'elles et dont la répression leur confère un sentiment d'être devenues adultes par le rite de passage de l'assertion de leur autorité sur les autres femmes. Les mêmes autorités poussent ces jeunes filles à épouser des combattants de préférence européens.

Des filles adolescentes sont déclarées aptes (même à partir de l'âge de 9 ans, mais ce n'est pas le cas des jeunes femmes qui partent pour la Syrie) de se marier et de fonder une famille dont les enfants seraient endoctrinés par l'État islamique. Tout à l'enthousiasme de fonder une famille « islamique » dont on exalte la noblesse et où elles assumeraient le rôle idéalisé de mère au sein du califat, leur prééminence illusoire fait occulter à leurs yeux le statut inférieur de la femme que pour le moment elles refusent de voir. L'instabilité du mariage moderne dont sont issues souvent ces jeunes filles ou qui s'y sentent exposées dans leur génération fait que l'union « éternelle » avec un combattant de la foi les comble dans leur aspiration au lien romantiquement indestructible de l'amour religieusement légitime. Celui-ci leur ferait échapper à l'impureté des copinages peccamineux entre garçons et filles dans le monde monotone d'un Occident dépourvu de violence massive. L'ambiance guerrière, le mythe de la pureté islamique sous Daech, l'idée de l'héroïsme de leur homme et leur dignité en tant que futures mères, enfin ce monde totalement différent de leur contrée d'origine où la violence devient festive les aimante pour un temps.

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