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Nous ne pourrons jamais parler à notre enfant née sans vie, mais voici ce que nous tenions à lui écrire

On dirait que tu dors comme une bienheureuse. Tes poings sont fermés, tout comme tes yeux. A tout jamais.
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Il est tard, ce jeudi 26 janvier 2017. Minuit approche, mais papa et maman ne dorment pas encore. Tu tourneboules dans le ventre de maman, et cela fait rire ton papa. On pourrait presque distinguer le haut de ta tête à travers cette protubérance qui déforme soudain ce ventre qui t'abrite depuis presque huit mois. L'heure tourne. Il est maintenant 2h30, nous sommes le 27 janvier. Les contractions se sont déclenchées, et elles accélèrent. Notre premier enfant dort paisiblement dans la chambre d'à-côté, et maman appelle grand-papa à la rescousse pour venir la garder le temps que nous allions à l'hôpital.

Trois heures du matin.

Papa et maman arrivent à l'hôpital, et maman perd les eaux en entrant dans le hall d'accueil. Elle ne te sent plus bouger, mais ton arrivée est forcément imminente, maintenant. Maman est installée à la hâte dans une salle d'accouchement. La même salle où ta grande sœur est venue au monde il y a bientôt trois ans. Tu vas arriver en avance, petite luciole. Il y a tout juste quatre jours, l'échographie nous a expliqué que tu ne faisais pas tout à fait deux kilos. Tu seras un petit gabarit, toi aussi, mais ça ira. On s'occupera bien de toi. Et puis, tu es une Backstage. Tu es déjà forte et courageuse, nous n'avons aucun doute là-dessus.

La sage-femme pose le monitoring à maman. Elle cherche à écouter la musique de ton petit cœur. Elle grimace, et cherche encore. Elle s'éternise sur l'écran, pose et repose les capteurs. Elle se tait, et son silence est plus éloquent que mille mots. Papa et maman tremblent soudain, quand même l'échographie ne suffit pas à t'entendre. Le médecin arrive. C'est un remplaçant, il a l'air gentil comme tout. Il va t'aider, petite luciole. Il observe rapidement la situation, et demande à maman de pousser une première fois. Tu arrives en siège, mais il est trop tard pour la péridurale, et trop tard pour la césarienne. D'ailleurs, il est trop tard tout court. Le gentil docteur vient de l'annoncer à haute voix. Il a mit des mots sur l'horreur que papa et maman se refusaient à croire.

Vous allez la sauver, docteur, pas vrai? Elle ira bien?

Non.

Trois lettres qui suffisent.

Il est maintenant 4h10. La sage-femme t'emporte dans un silence de plomb. Les cris de maman ont cessé, et elle pleure, maintenant. Papa pleure, lui aussi. Le gynécologue termine ce qu'il a à faire, et sort pour leur laisser un peu d'intimité. Ils sont comme assommés, incapables de comprendre ce qu'il se passe réellement. Quelques minutes plus tard, la sage-femme leur demande s'ils veulent te voir. Bien sûr qu'ils le veulent! Elle te dépose délicatement dans les bras de maman. On dirait que tu dors comme une bienheureuse. Tes poings sont fermés, tout comme tes yeux. A tout jamais.

Bon sang, qu'est-ce que tu es belle! Tu ressembles pas mal à ta sœur. Maman s'en était déjà rendu compte pendant les échographies, mais là, c'est vraiment flagrant. Tu as le même joli menton, et le même petit nez tout mignon. Les larmes de papa et maman glissent sur ton pyjama vert pendant de longues minutes. Ils caressent tes jours, tes mains minuscules, ta toute fine chevelure naissante. Ils te parlent, à voix basse, entre deux sanglots. Et la sage-femme t'emporte à nouveau, et le silence retombe. Lourd. Pesant. Les mots ne viennent pas, coincés quelque part entre la souffrance, l'incompréhension, le chagrin et la colère. Et ce manque de toi, qui ne nous quittera plus.

Les heures continuent à avancer, plus pénibles que jamais.

Papa et maman préviennent tes grands-parents, ton arrière grand-mère, tes taties, tes tontons, tes cousins et cousines, et tous ces gens qui avaient tellement hâte de faire enfin ta connaissance... Les visites des médecins, sage-femmes et aides-soignantes se succèdent, et tout le monde se montre très gentil. Tout le personnel s'affaire à faciliter les choses, autant que possible. Trouver une chambre la plus éloignée possible des cris des nouveaux-nés et des heureux parents qui hantent la maternité. Pré-remplir tous les papiers administratifs à la place de tes parents déboussolés.

Des parents à qui l'on demande maintenant de faire des choix qu'ils n'auraient jamais pensé avoir à faire. Autopsie ou pas. Autorisation de prélèvements à des fins ultérieures de recherche médicale, ou pas. Organiser tes funérailles, ou laisser l'hôpital s'en charger. Chaque phrase, chaque décision à prendre, chaque silence ne fait qu'ajouter un poids supplémentaire à ton absence. Tu devrais être là, couchée près de nous. Tu devrais entendre papa et maman se chamailler gentiment pour savoir lequel des deux te prendra dans ses bras en premier, ou pour choisir quelle tenue parfaite te mettre. Mais tu n'es pas là. Tu ne seras jamais là. Tu n'iras pas dormir dans ce lit que papa a finit de monter pour toi cette semaine. Tu ne rencontreras jamais ta grande sœur. Tu ne grandiras pas avec elle dans notre cocon familial qui n'attendait que toi pour resplendir encore plus.

Après toi, après tout ça.

Il ne reste que le silence là où papa et maman auraient voulu entendre tes babillages. L'absence et le froid à la place de la chaleur de ton petit corps dans nos bras. Nous sommes amputés d'une partie de nos cœurs, pour le restant de nos jours. Et maintenant, il faut faire face. A la vie qui fait semblant de reprendre mais qui n'est pas ce qu'elle aurait dû être. A la froideur administrative de ce mot sur le livret de famille: "enfant née sans vie". Mais tu as vécu, pourtant, petite luciole! Dans le ventre de maman, tu t'es battue pendant des jours, des semaines, des mois pour grandir, te développer, te préparer à venir nous rencontrer tous les trois! A ces nuits d'insomnies, à cette alternance de larmes et de sourires de surface. A ces mots qui ne veulent pas sortir et qui nous empêchent pour l'instant d'expliquer à ta grande sœur ce qu'il s'est passé. A ces moments de colère intense contre l'univers tout entier, et à ces désespérances qui paralysent. A ce lit qu'il a fallu démonter, à ces vêtements qui n'attendaient que toi et qu'il va falloir remballer dans des cartons. A ces fleurs inutiles déposées au pied d'un grand arbre dans le "jardin du souvenir", au milieu de tous ces nounours pendus à des branches, témoignant de la détresse de tous ces parents à qui cette chienne de vie a volé une luciole...

Les gens...

Et puis il y a ces phrases qu'il faut arriver à avaler, de celles qui oscillent quelque part entre la bêtise, la méchanceté gratuite et la maladresse insupportable.

Ces gens qui veulent absolument nous présenter untel ou unetelle qui "a vécu la même chose". Et on s'en fout. Pardon si nous sommes ce coup-ci égoïstes dans notre douleur, petite luciole. C'est déjà assez difficile de supporter notre peine et ton absence, ce n'est pas pour y ajouter celle des autres. C'est trop pour nous, pour le moment. Et il y a aussi ces gens qui croient qu'il faut faire comme si rien ne s'était passé, en pensant certainement que ça nous rendra les choses plus faciles. Mais ce n'est pas le cas. Tu as existé, et tu existeras toujours. Dans nos coeurs, dans nos âmes, dans le vide que tu nous as laissé en partant. Tu as existé, et il faut parler de toi. Continuer à te faire vivre, parce que c'est le seul moyen de combattre ta mort.

Encore et toujours...

Et aussi, il y a les gens qui s'en foutent (ou qui agissent comme si c'était le cas). Ceux qu'on prenait pour des amis, mais qui ont préféré ne pas être là pour nous. Leur cours d'aquaponey doit être trop chronophage, certainement. Et qu'on ne nous dise pas qu'ils ne savent pas quoi nous dire, parce que ça n'empêche pas d'être présent. Ceux qui ne sont pas encore au courant et qui, du coup, viennent mettre les pieds dans le plat. Ceux qui ne savent pas quoi dire, mais qui Heureusement, il y a surtout ceux qui s'invitent à boire un café, qui écrivent ou qui appellent pour nous soutenir dans cette épreuve, qui nous écoutent quand nous avons besoin de parler, nous font rire de temps en temps, nous parlent de tout et de rien quand il faut être légers. Mais toujours, toujours, les images de cette nuit-là passent et repassent devant nos yeux, en "tâche de fond".

Il faudra bien vivre avec cette souffrance, vivre malgré ton absence.

On s'efforce de tenir le coup, pour ta grande sœur, et pour toi. Parce que vous méritez toutes les deux que nous tâchions de vous rendre fières de nous. On pleurera peut-être un peu moins souvent, par la suite, parce que le temps nous aura appris à nous endurcir, mais notre peine et notre amour pour toi seront toujours aussi incommensurables. Nous nous relèverons de cette épreuve, aussi unis qu'avant, peut-être même davantage si tant est que ce soit possible. On finira peut-être même par se remettre à rire de bon cœur, un jour.

Mais pas ce soir.

On t'aime, petite luciole. On t'aime, et tu nous manques.

Ce billet est également publié sur le blog Papa Backstage.

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