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Les Chinois découvrent le racisme en ligne

À Canton, capitale de la province du Guangdong, dans le sud de la Chine, pas moins de 300 000 Congolais, Sénégalais ou encore Ivoiriens composent une population nouvelle, en forte croissance. Et brusquement, le cybermonde chinois a éclaté en commentaires.
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Tout a commencé en 2014 par une série de bagarres et une émeute. Tout a commencé par le constat surprenant qu'il existe en Chine une importante population immigrée originaire d'Afrique. À Canton, capitale de la province du Guangdong, dans le sud de la Chine, pas moins de 300 000 Congolais, Sénégalais ou encore Ivoiriens composent une population nouvelle, en forte croissance. Et brusquement, le cybermonde chinois a éclaté en commentaires.

D'abord, il y a eu les doutes. Un tel chiffre était-il possible? Sur le site de Zhihu, équivalent de Yahoo, l'inquiétude est perceptible: la Chine ne serait plus la même. Le doute est d'autant plus fort que les faits reprochés aux "gens noirs" sont souvent flous et peu étayés. Apparaissent aussi des informations qui montrent le caractère complexe de l'acceptation des nouveaux venus. Une jeune Chinoise constate ainsi que, quand elle sort avec son amant noir, elle fait l'objet de regards désapprobateurs. Il existe donc bien des couples mixtes... Mais ils sont difficilement tolérés.

Des expressions nettement racistes sont visibles sur Baidu Tieba, qui se revendique comme le plus grand forum Internet chinois, touchant aussi les Chinois d'outremer. Un sous-forum intitulé rien moins que "Gens noirs de Canton" s'est rapidement constitué. Selon un des participants, ce groupe virtuel a été créé au début de 2012, en réponse "à la propagande mensongère des gens noirs voulant susciter l'admiration des filles chinoises". Mais la concurrence sexuelle n'est pas le seul motif à ce déversement de haine et de préjugés. Les "gens noirs" sont accusés de commettre des crimes et des délits (trafic de drogue, corruption, vols, etc.).

Ils sont aussi soupçonnés de transmettre des maladies, (sida, Ebola, etc.). Leur pauvreté économique supposée - alors même que beaucoup sont des gens d'affaires cherchant des produits à exporter vers l'Afrique - serait le fruit de leur bêtise, ajoutent les plus perfides. Face à ce déferlement de violence verbale, tout au long de l'année 2014, le serveur a tardé à réagir. Finalement, en décembre, l'administrateur officiel de Baidu Tieba a décidé de fermer le sous-forum "Gens noirs de Canton" sans en préciser la raison. Ces réactions hostiles se retrouvent de façon diffuse sur de nombreux autres sites. Le phénomène révèle, au pays de l'égalitarisme communiste, l'existence d'une pensée raciale et de discriminations pas seulement réservées aux Tibétains et aux Ouïghours, ces millions de musulmans chinois accusés d'indépendantisme.

Cette crise raciste n'est pas la première qui secoue le pays. Car depuis que le gouvernement chinois a décidé d'offrir des bourses et d'accueillir des étudiants africains dans ses universités, en 1961, les tensions se sont multipliées. Les étudiants chinois considéraient que leurs homologues étrangers jouissaient de meilleures conditions de vie que les leurs. Ils étaient logés à 8 par chambre quand les Africains demeuraient par deux. En 1979, 1986 et 1988, à Shanghai, Tianjin et à Nanjing, trois conflits d'envergure ont eu lieu. A Nanjing, surtout, des milliers d'étudiants avaient manifesté en clamant des slogans comme "Renversez les fantômes noirs" et "Va-t-en, fantôme noir". Il fallut déplacer les boursiers africains dans une autre ville pour éviter les agressions. Les événements de Tien An Men s'inscrivaient dans ce climat protestataire ambigu.

Sans doute la revendication d'homogénéité ethnique Han sans cesse martelée par le gouvernement chinois pour légitimer sa position sur le Tibet a-t-elle contribué à créer une confusion entre nationalisme et racisme. Mais le phénomène est plus large sur la toile, il touche aussi les Chinois de Taiwan et ceux installés dans d'autres pays. Tous placent leur appartenance ethnique au cœur d'un faisceau de préjugés. Les Africains sont considérés comme les ressortissants de pays peu développés et faibles, au contraire du monde occidental perçu comme puissant et très avancé, si l'on en croit une étude de 2009 publiée sur le site Chinainperspective.com, par Yinghong Cheng, un chercheur de l'Université du Delaware, aux États-Unis. La Chine devrait donc maintenir son intégrité raciale si elle veut poursuivre son développement, laissent-ils entendre.

Sur Baidu comme sur le réseau social Sina Weibo l'hostilité aux "gens noirs" passe donc par de nouveaux arguments depuis quelques semaines, qui ne sont pas sans rappeler les débats français. Les immigrés africains sont accusés d'être des clandestins, de dépasser les limites de leurs autorisations de séjour et de se comporter en parasites économiques. Contre l'immigration, pas moins de 10 000 internautes se sont regroupés dans un nouveau sous-forum. Ils prônent une préférence nationale, sans se sentir pour autant racistes ou xénophobes. Ils feignent de critiquer les profiteurs d'un système. Mais, au détour d'un commentaire, les préjugés contre les « gens noirs » ressurgissent. Jusqu'à présent, nul ne leur demande une quelconque autocritique. Le choix du gouvernement de condamner ou de laisser proliférer ces débats en dira long sur les contours du projet politique de la Chine de Xi Jinping et sur sa façon d'envisager ses partenaires africains.

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Avril 2018

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