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Le Gorafi: l'art de l'infaux

Le détour par le faux humoristique a le mérite de montrer des faiblesses du monde médiatique et de pointer la relativité du sérieux de tel ou tel journaliste.
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C'est à Toulouse que tout a commencé, en mars dernier, une boulangère abat un touriste parisien en criblant son corps de 46 balles. La raison ? Il aurait demandé un pain au chocolat plutôt qu'une chocolatine. Très vite les internautes s'emparent du sujet et s'inquiètent de la hausse de la délinquance dans la ville rose. Sauf que cette information n'est qu'un fake, un faux scoop, révélé par Le Gorafi qui "depuis 1826" nous livre "toute l'information de sources contradictoires". Le Gorafi, soit l'anagramme du quotidien Le Figaro, lui-même véritablement créé en 1826.

Ceux qui s'attardent à vouloir définir Le Gorafi hésitent bien souvent entre site parodique, pastiche, lol site ou hoax... Ses fondateurs tranchent en l'érigeant en tant que "meilleure source d'information de la journée" même si "jusqu'à preuve du contraire, tous les articles rédigés ici sont faux".

Le Gorafi.fr est l'un des sites les plus en vue du moment, mais on tombe rarement sur lui au cours d'une recherche documentaire, plutôt en furetant sur les réseaux sociaux. C'est fort de leur succès sur Twitter pendant la campagne présidentielle de 2012 que les créateurs du Gorafi ont d'abord créé un blogue, puis l'ont transformé en un réel site d'information en septembre 2012.

Les articles du Gorafi collent à l'actualité, s'amusant à singer la réalité, démontrant une énième fois que l'on peut bien rire de tout, et surtout de l'actualité. Mais, tout cela n'est pas seulement un jeu, le style du Gorafi offre une vision décalée sur le monde médiatique, conduisant le lecteur à questionner ses informations et ses préjugés.

Même si Le Gorafi prévient dans sa rubrique "A propos" que tous ses articles sortent tout droit de l'imaginaire de ses rédacteurs, ils arrivent néanmoins à semer le doute dans la tête du lecteur pressé qui se retrouve pour la première fois sur leur site. Il n'est en effet pas rare que les internautes se laissent piéger par leurs premières impressions. Très sérieusement Yahoo Québec a relaté l'existence d'une "Chirurgie esthétique pour que les bassets soient moins tristes !". Tandis que, plus récemment, le très sérieux Corriere Della Sera annonçait en Italie que "89 % des Français pensent que le clitoris est un modèle de Toyota". Deux informations tout droit sorties du Gorafi.

Outre l'aspect satirique et fédérateur de ses articles, Le Gorafi n'est peut-être pas seulement une simple addition d'articles potaches. Politiquement, le site paraît pencher pour la gauche, comme le laisse supposer son ironie originelle sur Le Figaro. Au-delà de ce positionnement vague, une logique critique transparaît dans ses articles. Remise en cause des scoops et du sensationnalisme, tel paraît être le credo. Dans des articles presque sérieux, Le Gorafi attaque franchement le système médiatique. Après l'assassinat des journalistes de RFI au Mali, les rédacteurs du site soulignaient : "La France se rappelle qu'elle a des journalistes qui servent à autre chose qu'à dire s'il pleut ou s'il neige."

Spontanément, Le Gorafi retrouve la tradition ouverte par le Canard enchaîné. En 1915, dans son premier éditorial, le Canard promettait "de n'insérer, après minutieuse vérification, que des nouvelles rigoureusement inexactes", manière de critiquer les "nouvelles implacablement vraies" publiées par une presse française en plein bourrage de crâne. Sa volonté satirique l'a poussé à être parmi les plus rigoureux sur le fond.

Le Gorafi oublie ce glorieux prédécesseur et se revendique du célèbre The Onion américain. Ce site, véritable usine de faussaires d'actualités, est souvent pillé par les médias étrangers imprudents. L'une de ses infos voyageuses les plus connues est l'élection de Kim Jong-Un comme "l'homme vivant le plus sexy de l'année 2012"! Une information reprise de manière très sérieuse par le très grand Quotidien du Peuple, journal officiel du parti communiste chinois. Le journal, qui citait mot pour mot les lignes de The Onion, a mis plusieurs heures avant de se rendre compte de sa méprise.

Un nouveau concept émerge pour décrire ces sites : l'infaux, information fausse, autrement dit parfois infox, mélange d'info et d'intox. Il rend compte de la prolifération des sites critiques satiriques. Comme s'il s'agissait de vaincre la morosité des JT et les unes dramatiques des médias, ces deux dernières années sont nés : Bilboquet magazine, le compte Twitter d'AFPresque, ou encore Darons - le magazine qui parent vrille. Et presque chaque pays dispose désormais de sa version plus ou moins efficace d'infaux. En Serbie, un site équivalent, Njuz, a même piégé des médias français grâce à une nouvelle inventée sur Dominique Strauss-Kahn.

Le détour par le faux humoristique a le mérite de montrer des faiblesses du monde médiatique et de pointer la relativité du sérieux de tel ou tel journaliste. Mais, au-delà de ces anecdotes, Le Gorafi et ses semblables constituent désormais une fraction d'un secteur souvent critiqué, celui de l'infotainment. Désormais, l'information ne se suffit plus. Elle a besoin du divertissement pour être lue, intégrée et même relativisée. Sans doute parce que l'actualité a atteint un degré de saturation de notre environnement qu'elle subit désormais ce que Marshall Mc Luhan appelait "la loi de reversibilité des médias surchauffés". L'expression signifie simplement qu'une lassitude gagne le public toujours plus saturé de flashes, de titres, d'accroches et de données "sérieuses". Finalement, la nature même des informations change pour conserver notre attention. Le Gorafi, tout comme The Onion ou Njuz, ont ouvert une voie prometteuse en ligne.

Le Gorafi, AFPresque, Darons.

L'art de l'infaux et de la satire dans le monde: Le Navet - Québec, L'axe du mad - Québec,

El mundo today - Espagne, Faking News - Inde, Grönköpings Veckoblad - Suède, Jornal VDD - Brésil, Njuz - Serbie, The Civilian - Nouvelle-Zélande, The Chaser - Australie, The Clinic - Chili, The Daily Currant - États-Unis, The Onion - États-Unis, The Unreal Times - Inde, Titanic - Allemagne.

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