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Victor et Juliette: 50 ans de passion dévorante

Comme le sont toutes les passions amoureuses, celle de Victor Hugo et de Juliette Drouet a été parsemée d'orages, de deuils, d'érotisme, de courtes intenses ruptures, de colère et de grande tendresse.
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23 650 lettres d'amour. Comme le sont toutes les passions amoureuses, celle de Victor Hugo et de Juliette Drouet a été parsemée d'orages, de deuils, d'érotisme, de courtes intenses ruptures, de colère et de grande tendresse.

Leur première rencontre a eu lieu aux premiers jours de 1833, au Théâtre de la porte Saint-Martin à Paris.

On y jouait Lucrèce Borgia, la pièce en prose de Victor Hugo.

Pendant l'une des répétitions en présence de Victor : Juliette/Princesse Negroni s'interroge: « mon dieu, qu'est-ce qui remplit le cœur? » Et, lorsque le jeune seigneur vénitien répond « l'amour », Juliette Drouet est tournée vers Victor Hugo et le regarde intensément.

Cette empreinte sur l'auteur d'Hernani, comme on le prénommait jusqu'alors, marquera le début d'une relation amant et maîtresse de 50 ans au cours desquelles ils s'écriront 23 650 lettres d'amour comme s'écrivent aujourd'hui les amoureux par courriels ou par SMS.

Victor Hugo n'avait pas pour habitude de succomber aux charmes de princesses comédiennes. Pourtant, dans la nuit du 16 au 17 février 1833, pendant le Mardi Gras, il succombe aux charmes d'une Juliette insistante.

De 1833 à 2015

Sur scène, ce vendredi 27 février 2015 à Montréal, lors de l'avant-dernière représentation, nous avons retrouvé le poète Victor et l'amoureuse éperdue Juliette, dans la très intime salle Fred Barry du Théâtre Denise Pelletier.

Un immense éventail sur fond de scène, deux bureaux sur lesquels les amants rédigeaient leurs missives, séparés par un divan. C'est le décor simple et majestueux à la fois qu'ont choisi Léo Munger, la metteure en scène et présidente, et Catherine Bütikofer, vice-présidente, des Productions Mistral.

Les acteurs montréalais

Elle, Juliette/Catherine Bütikofer, fragile, sensible, amoureuse éperdue, muse, adoratrice, dont les mots d'amour n'étaient pas suffisamment puissants pour exprimer son amour pour Victor.

Lui, Victor/Sylvain Massé, solide, fort, maladroit dans les trop intenses gestes de tendresse, maitre de la situation, adroit dans l'éloquence et dans l'art de déclamer.

Les dates choisies du mois de février par la vice-présidente des Productions Mistral, l'actrice, la productrice, la costumière, l'assistante metteur en scène, la démonteuse, la drilleuse, Catherine Butikofer et par Pierre Rousseau, directeur artistique sortant du Théâtre Denise Pelletier, n'étaient donc pas anodines. Elles correspondaient avec la Saint-Valentin et la date anniversaire de la première nuit d'amour de Juliette et de Victor.

Une parenthèse

Trois scènes marquantes pour leur beauté :

  • Celle qui transporte les amants dans le décor et où les positions suggestives de leurs ébats amoureux sont d'une délicatesse digne des grandes réflexions de Roland Barthes sur l'érotisme du «vêtement qui baille».
  • Celle où Juliette danse de joie.
  • Et la troisième, celle du discours politique de Victor Hugo. Un discours si actuel pourtant déclamé le 9 juillet 1849, Détruire la misère

Pour la petite histoire, c'est en 2010, en se promenant à Paris, à la suite d'une rupture amoureuse, que Catherine Bütikofer vit sur une colonne Morris l'annonce, au théâtre Comédie Bastille: de la pièce qui s'y jouait Victor Hugo, mon amour.

Elle assiste à la représentation de l'adaptation au théâtre de la lettre de Victor Hugo adressée à Juliette Drouet : Aimer, c'est plus que vivre (voir vidéo plus bas). Elle en ressort éblouie par la découverte de l'existence de cette amoureuse éperdue et de son adoration pour l'écrivain. Sans la muse, nous n'aurions jamais pu lire le roman, un des livres les plus lus après la bible : les Misérables.

Juliette Drouet allait sauver le manuscrit et la vie de l'écrivain/poète dont la tête avait été mise à prix. Juliette reprenait ses lettres de noblesse dans ce théâtre parisien et Catherine Bütikofer allait les lui redonner quatre ans plus tard.

Le projet a mis quatre ans pour enfin être présenté à Montréal. Quatre ans de travail acharné pour seulement 15 représentations. C'est bien peu.

Le sauveur

Sylvain Massé est venu à la rescousse de Catherine Bütikofer.

À la blague, Sylvain Massé dit qu'il écrira dans son CV « opération d'urgence et de sauvetage en tous genres », car il est venu à la rescousse de Catherine Bütikofer dont le comédien d'abord pressenti, Olivier L'Écuyer, s'est blessé quatre semaines, avant la première.

Sylvain Massé a dû absorber 45 pages de texte en 28 jours et croit que ça prend un certain degré de démence pour plonger dans un univers que l'on ne connaissait pas nécessairement en détail. Lui qui recherche la précision dans le jeu, en effectuant toutes les recherches possibles avant de s'imprégner d'un personnage. Et qui plus est, un immense personnage comme Victor Hugo.

Avoir accepté de jouer ce rôle, sans connaître Catherine Bütikofer, correspond à ce qu'il pense du théâtre : que c'est la folie de ce métier et de ce milieu de grandes émotions qui apparaissent dans des relations spontanées. Un jour, on ne se connaît pas et le lendemain, on se dit : «quand est-ce qu'on va se retrouver sur scène et incarner d'autres personnages».

Catherine Bütikofer ne tarit pas d'éloges envers son partenaire et amant sur scène. La complicité s'est installée naturellement. «La douceur et la solidité de Sylvain Massé, dit-elle, m'ont permis de rentrer plus rapidement dans mon propre personnage.»

Pour lui

Le théâtre, c'est de l'art vivant.

Pour elle

Avec plus ou moins de public, les acteurs s'ouvrent différemment. Il s'installe toujours une épaisseur dans l'espace comme s'il y avait une multitude de particules qui s'ouvraient, qui vivaient, au fur et à mesure des représentations. Les jeux ne se retrouvent jamais au même moment à la même place. Ils se modulent. «J'aime parler de particules depuis que j'ai suivi l'atelier avec Marc Zammit. Ces particules, il faut les laisser se poser. »

La pièce

Ce qui est fascinant dans cette pièce comme le dit si justement la Juliette parisienne Anthéa,

« c'est que la pièce à laquelle nous assistons est un premier spectacle 100% romantique tout en étant 100% historique. Chaque phrase a été écrite soit par Victor Hugo soit par Juliette Drouet. »

Les acteurs français

Anthéa Sogno et Sacha Patronijevic

Ce n'est pas parce qu'on publie votre portrait dans les revues à la mode, Mademoiselle Juliette, que vous pouvez vous permettre de faire attendre Victor Hugo.

Victor

De ces années de bouleversement entre Victor Hugo et Juliette Drouet, « il ne nous reste que la douceur et la violence de leurs caresses qu'ils se sont données sur le papier. Mises bout à bout, ces lettres fiévreuses constituent le journal de bord de leur bonheur et de leurs querelles.

L'un fut et reste sans doute pour toujours l'un des hommes les plus célèbres au monde, alors que sa maîtresse n'est encore qu'une inconnue. À la fois, éclairée et écrasée par la gloire de Victor Hugo, la vie de Juliette Drouet fut une longue adoration et une longue souffrance. »

« Je ne veux pas que la trace de ta vie soit à jamais effacée. Je veux qu'elle reste... », lui écrivait Victor Hugo.

Elle, Juliette Drouet

« Si vous avez du génie, moi j'ai de I'amour. Nous faisons chacun de notre côté notre petit travail, toi tu composes un chef-d'oeuvre, moi je t'aime. Il me semble en toute modestie mise à part que mon oeuvre ne sera pas inférieure à la vôtre. »

Lui, Victor Hugo

« Si mon nom vit, votre nom vivra. »

Et nous, spectateurs, avons connu son nom et sommes entrés dans le jeu des amants et avons été les témoins privilégiés d'un moment de l'histoire, d'une histoire d'amour et d'échange par lettres interposées, par des mots tirés du quotidien du couple mythique et de leurs sentiments dans l'absence douloureuse. Cette passion s'est retrouvée, en 2015, étalée au grand jour sur une scène devant nos yeux.

La pièce a été jouée, par les acteurs français 713 fois à ce jour à Paris, en tournée dans toute la France et dans certains pays francophones. Contre 15 fois à Montréal par la troupe québécoise. Seuls les Montréalais ont eu la chance de voir la pièce, qui mériterait de faire une tournée des écoles et des salles du Québec. Que nos jeunes aient accès à un pan de l'histoire du chef de file du romantisme, à une très grande histoire d'amour et à une réflexion politique. Ces histoires qui manquent dans le vaste pessimisme actuel.

« Chaque fois qu'on ouvre une école, on ferme une prison. » Victor Hugo

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