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Des années-lumières séparent les campagnes politiques d'hier avec celles d'aujourd'hui. Et pourtant ce n'est pas ma première campagne électorale. Mais c'était ma première comme candidate. La règle, naguère c'était respect d'une certaine déontologie.
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« Si tu veux finir ta belle carrière en te faisant salir et traîner dans la boue, alors vas-y, présente-toi comme candidate! », me mettait en garde la personne la plus près de moi à qui j'avais demandé conseil avant de me lancer en politique.

Évidemment, je n'ai pas suivi son sage avis. Je croyais - non sans une certaine naïveté que je revendique - que j'étais prémunie par mes expériences passées et par cette conviction: l'engagement politique, s'il est fait honnêtement pour défendre des causes justes, comme la Charte pour la laïcité ou l'intégration des immigrants au marché du travail, s'impose de lui-même face à la rancœur et au ressentiment.

Je me trompais lourdement.

Des années-lumières séparent les campagnes politiques d'hier avec celles d'aujourd'hui. Et pourtant ce n'est pas ma première campagne électorale. Mais c'était ma première comme candidate.

Aujourd'hui, à la fin ces 33 derniers jours survoltés, j'aurai participé à quatre débats. Celui organisé par les étudiants des Universités McGill/Concordia était le plus constructif et respectueux. L'auditoire n'était pas infiltré par les partisans du parti opposé venus faire du grabuge, il était composé au contraire par les membres des Fédérations d'étudiants, désireux d'entendre les conclusions du Sommet sur l'enseignement supérieur - celles concernant la politique nationale de recherche et d'innovation (PNRI) -, et les positions des étudiants étrangers en ce qui à trait à la préoccupante question de la couverture de l'assurance maladie. Un vrai débat comme il ne s'en fait plus, où les explications et la délibération sont de mises plutôt que l'invective. Mais c'est une exception rare plutôt que la règle.

La règle, naguère c'était respect d'une certaine déontologie.

Chacun savait fort bien qu'il ne gagnerait rien en attaquant son concurrent en bas de la ceinture. C'était la loi de la réciprocité : dis-moi comment tu traites ton adversaire et je dirai qui tu es! Nous étions avertis contre les ragots qui détruisent la dignité de l'homme ou de la femme et ce faisant dévalue le débat devant les électeurs. Pas étonnant d'ailleurs si ces derniers désertent les urnes et pas seulement au Québec.

Les grands médias se gardaient bien aussi de tomber dans les pièges de la manipulation et refusaient de reprendre le type de nouvelles/ragots qui tombaient aussitôt dans l'oubli.

Même si les conditions n'étaient pas toujours parfaites, il y avait place pour ce que j'appelle « un vrai débat ». Les partis faisaient valoir leurs programmes, leurs plateformes, les adversaires les contestaient, avançaient des chiffres, des plans, des visions. Les journalistes rapportaient ces plans, les faisaient analyser par des experts, les éditorialistes prenaient position à partir des analyses d'experts. Ce n'était certes pas le meilleur de mondes, mais l'information circulait.

Qu'est-ce qui a donc changé depuis ? Pourquoi accorde-t-on soudain autant d'importance aux rumeurs les plus folles? Quelle mouche a donc piqué présentateurs et chroniqueurs pour apostropher des élus au grand dam des règles les plus élémentaires? Entendons-nous bien : je distingue le journaliste de déférence de jadis au véritable travail journaliste qui oppose un contre-argumentaire construit aux arguments d'un politique. Mais cela suppose réciproquement qu'on lui laisse la possibilité d'exposer les siens. Ce qui n'a pas été vraiment le cas, du moins si je me réfère à la manière dont été reçue la première ministre Pauline Marois sur une grande chaîne nationale.

Pourquoi donc tant de haine? En quoi le paysage médiatique aurait-il changé pour permettre ces dérives ? « Le médium, c'est le message », disait Marshall McLuhan. La parole publique n'est plus transportée massivement par la télévision, naguère hégémonique, mais par une nuée, une galaxie de blogues, de sites divers et variés coalisés par les réseaux sociaux.

La parole s'est libérée, et c'est tant mieux, et cela donne une capacité accrue à tout un chacun de s'affirmer sur la place publique qu'est devenue la Toile, de comparer et de fédérer les énergies comme le printemps arabe l'a montré. Ça, c'est le meilleur. Mais cela donne aussi le pire. Le racisme, l'antisémitisme, l'anti-islamisme s'affichent désormais au grand jour. En France par exemple, certains humoristes en font leur beurre. Il n'y a plus de loi. Chacun dit la sienne et tant pis pour les autres. C'est à celui qui sera le plus vulgaire, le plus trash. Le nivellement par le bas!

Parmi les agents provocateurs de ces réseaux sociaux, il y en a certains qui font florès : ce sont les trolls. Qu'est qu'un troll? C'est un individu qui sévit seul ou en bandes organisées dans les débats sur la toile dans le seul but de semer la pagaille au détriment des règles de base de l'argumentation. Le troll se fiche éperdument des contenus, de la qualité des raisonnements. Ce qu'il recherche c'est ruiner tout dialogue, tout échange égalitaire entre les interlocuteurs. Après leur passage, des décombres fumants. C'est ce qui le ravit, la zizanie !

Quel chroniqueur, quel internaute n'a pas un jour ou l'autre subi leur hargne gratuite de ces petits feux follets de la manip. On s'en arrange comme on peut sur le Net, mais aujourd'hui tout porte à croire, et cette campagne en témoigne, que le troll a franchi la barrière immunitaire qui protégeait encore les grands médias de leurs influences.

Le contenu d'une nouvelle technologie est constitué par celle qu'il remplace, disait encore Marshall McLuhan. Aujourd'hui, il semble pourtant bien que ce soit les anciens qui imitent les nouveaux. Ce qui montre que c'est désormais le Net, les réseaux sociaux qui donnent le la, en fonction du nombre de « like » et des pages vues.

Une lutte à mort silencieuse est désormais engagée entre les grands médias naguère dominants et Internet ainsi que la multitude de blogues à chacun veut faire entendre sa parole. Or pour conserver leur audience, les chroniqueurs politiques, les journalistes des grands médias sont conduits à imiter les trolls. Ce qui explique selon moi cette dérive médiatique où l'on fait feu de tout bois au détriment du débat démocratique et des valeurs qui lui sont attachées. Le but n'est plus de convaincre de manière raisonnée son interlocuteur, mais de faire le buzz.

Tout est permis à condition de tirer la couverte à soi. Le nivellement par le bas, vous dis-je. Pas besoin de se casser la tête, de lire, ô horreur, le programme politique dans sa totalité, d'en soupeser les éléments en les comparant. Il suffit d'inverser l'intitulé d'un communiqué politique, tirer une phrase hors de son contexte et puis de jeter son brûlot dans la chambre aux échos qu'est la grande toile. La rumeur fera le reste ou plutôt le grand incendie qui risque de discréditer complètement toute parole politique et ce faisant de nous conduire à des très sombres lendemains illuminés seulement par la lueur macabre des autodafés.

Qu'est-ce que la rumeur? La rumeur est un phénomène de communication qui se prétend vrai et qui est construit sur des croyances, et des jugements de valeur. La rumeur est dictée par l'ignorance et la peur.

Face à elle, un homme ou une femme politique qui se respecte est démuni. Le combat est inégal. Pourquoi? Parce qu'il ou elle doit prouver sa bonne foi, déconstruire la peur sans manipuler à son tour son interlocuteur comme le font ceux qui instrumentalisent sa peur. Il faut donc du temps pour en saisir les tenants et aboutissants. L'émotion qu'elle suscite rend souvent difficile cette tâche ardue. C'est une lutte contre la montre qui s'installe. Qui gagnera?

La campagne qui s'est achevée donnera sans doute du travail de réflexion au Conseil de presse - seul organisme à mon avis ayant l'autorité requise pour élaborer des recommandations et éviter les dérives auxquelles on a assisté. Il y a là matière à analyse pour plus d'une maîtrise ou d'un doctorat.

Les défendeurs de la laïcité ont été démonisés et les fondamentalistes et intégristes valorisés.

Comme l'a si bien dit, Claire L'Heureux Dubé, ex-juge à la Cour suprême du Canada, il y a la politique partisane et la politique judiciaire. C'est cette dernière qui constitue la laïcité de l'État : la politique judiciaire. La laïcité est justement ce principe qui s'oppose à la reconnaissance d'aucune religion dans l'État. Ce sont les fondamentalismes qui ont infiltré le parti adversaire qui ont gagné.

Je m'en voudrais enfin de conclure sans remercier ceux qui, du simple électeur au militant, anonymes ou connus, m'ont encouragée et donnée l'énergie de poursuivre en faveur d'un Québec plus égalitaire, plus ouvert à l'autre et à ses différences, plus moderne.

Ce sont des gens comme eux qui, à travers leurs actions, incarnent une parole publique libre et authentique.

Sur ce, je plongerais dans les Histoires de toujours, celles de Henri Pena-Ruiz, l'amoureux de la laïcité, ne serait-ce que pour retrouver un peu de sens dans l'aventure humaine.

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