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Les docteurs de la vertu

Limitée d'un côté par les nombreux critères à respecter pour y avoir droit, et d'un autre côté par les accommodements offerts aux médecins, l'aide médicale à mourir peine aujourd'hui à accomplir son objectif.
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La morale et les valeurs occidentales nous ont toujours affirmé que la mort n'était jamais une solution; pendant des siècles, se suicider signifiait même un aller direct pour l'enfer.

Aujourd'hui, bien que le discours catholique ait sensiblement disparu du Québec, les relents judéo-chrétiens sont nombreux. Entre autres, l'opposition à l'aide médicale à mourir en est fortement teintée; c'est que la mesure ouvre une brèche dans l'héritage moral catholique en acceptant que la mort puisse être une solution.

Entre morale et lâcheté

Poussés par un fort soutien populaire, mais conscients que cette conception de la mort était encore largement répandue au sein de la population, les gouvernements y sont allés de prudence en proposant un cadre strict à l'aide médicale à mourir. Également conscients de l'opposition venant de la communauté médicale, une possibilité de refus a été offerte aux médecins.

Malheureusement, nombreux sont les médecins qui se prévalent de ce droit de refus et qui n'appliquent pas l'aide médicale à mourir. Comment s'expliquer que ceux qui sont en contact quotidien avec les problèmes que cette mesure entend régler s'y opposent aussi ardemment?

Surtout, qui sont-ils pour refuser cette aide à leurs patients? Comment, à une personne qui dit souffrir tellement qu'elle souhaite mourir, peuvent-ils faire la morale en affirmant que la mort n'est pas une option? En réalité, ils décident à la place de leurs patients et les privent de la dernière liberté qu'ils possèdent, tout cela sous prétexte que leurs valeurs les en empêchent.

Qu'une personne conçoive la vie comme sacrée et soit déterminée à ne jamais provoquer sa propre mort ne pose aucun problème, car le droit de prendre cette décision lui appartient. Qu'elle décide, par son refus d'agir, de maintenir en vie et en souffrance une personne lucide qui demande de mourir, là il y a tout un problème. Mettre ses valeurs au-devant de son devoir, c'est affirmer que les seules vraies bonnes valeurs, ce sont les nôtres.

Ainsi, limitée d'un côté par les nombreux critères à respecter pour y avoir droit, et d'un autre côté par les accommodements offerts aux médecins, l'aide médicale à mourir peine aujourd'hui à accomplir son objectif. Et en fin de compte, ceux qui écopent sont ceux pour qui cette mesure a été créée en premier lieu.

À quand le suicide assisté?

Bien que le débat actuel ne porte que sur une aide médicale à mourir restreinte, j'ose espérer qu'un jour, il portera sur le suicide assisté.

Les détracteurs de mauvaise foi y verront la promotion du suicide, se scandaliseront du pouvoir de vie ou de mort détenu par des bureaucrates omnipotents et l'appelleront «euthanasie». Évidemment, rien n'est plus faux.

Le Québec voit trois personnes se suicider chaque jour, la plupart par strangulation, pendaison ou asphyxie. Tristement, des gens qui souhaitent mettre un terme à leurs souffrances doivent se donner la mort d'une manière extrêmement souffrante.

Mais au-delà de la tragédie que représente un suicidé, il y a la tragédie de ses proches qui doivent l'accepter, sans plus d'explications. À cela, il ne faut pas oublier le drame de ceux qui découvrent le cadavre d'un proche pendu, ou encore défiguré par un coup de fusil, gisant depuis parfois plusieurs jours. Cette réalité sombre, c'est celle à laquelle on condamne tous ceux qui auraient normalement souhaité mourir dignement.

Évidemment, il y a ici un point de discorde majeur: le désir de mourir est bien souvent passager, comme peuvent en témoigner tous ceux qui sont déjà passés par là. C'est d'ailleurs ce que les nombreuses campagnes de sensibilisation défendent. Comment alors une société saine pourrait-elle proposer de faciliter le chemin vers le suicide?

Respecter pour sauver

Ironiquement, le suicide assisté fait peut-être partie de la solution au suicide: en empruntant ce chemin, il faut aussi accepter un processus long et qu'en bout de ligne, la décision ne sera peut-être plus la même. Et c'est là le point central du suicide assisté: offrir un cadre respectueux et neutre à celui qui souhaite mourir avec l'intention que la réflexion qui en découlera mènera à un changement d'avis.

Ce processus de réflexion et ce cadre impliquant autant les proches de la personne que des professionnels de la santé mentale, c'est le prix à payer pour avoir droit au suicide assisté. Ainsi, en permettant à celui qui souhaite mourir de fixer une date pour sa mort et en respectant son choix, mais en lui rappelant jusqu'à la dernière seconde qu'il peut changer d'avis, la société a probablement plus de chances de le sauver qu'en le sensibilisant sur le suicide.

S'il change effectivement d'avis, c'est que le processus l'aura poussé à réfléchir aux conséquences de sa mort et l'aura amené à conclure que la vie mérite d'être vécue au moins un jour de plus. Et s'il ne change pas d'avis, alors face à une personne saine d'esprit qui continue d'affirmer, après tout ce temps, qu'elle souhaite mourir, alors le moins qu'on puisse faire est de respecter son choix et de lui offrir une mort digne. Qui plus est, bien que sa mort causera sans doute une grande peine à ses proches, ceux-ci pourront vivre leur deuil plus complètement grâce aux échanges survenus tout au long du processus.

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Les opposants diront que la société ne devrait jamais offrir la mort comme solution, mais quoi répondre à ceux qui nous disent, en toute lucidité, qu'ils souhaitent mourir? Leur faire la morale n'est certainement pas la solution. Certes, le suicide assisté n'est pas la panacée et doit faire partie d'une stratégie d'État cohérente et complète, mais ultimement, le choix de vivre n'appartient ni aux médecins, ni à la société, mais aux individus.

Si vous êtes en difficulté, contactez le Centre de prévention du suicide du Québec au 1 866 277 3553.

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