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Est-ce les partis qui, au final, sont de parfaites girouettes et les transfuges ne suivent que la parade?
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Être transfuge, c'est abandonner certaines convictions au profit d'un objectif suintant l'ambition personnelle et l'individualisme triomphant.
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Être transfuge, c'est abandonner certaines convictions au profit d'un objectif suintant l'ambition personnelle et l'individualisme triomphant.

Qui dit élections, dit résurgence des transfuges. C'est aussi vrai que les vers de terre font soudainement surface lorsqu'il pleut. Navré aux vers de terre pour la comparaison. C'est en effet à l'approche des élections que certains politiciens ressentent, d'un coup, un profond chamboulement intérieur les amenant à changer de chapelle politico-idéologique.

Cela les titille fortement, cela gronde en eux, comme une passion soudaine pour la collecte de timbres. Une pulsion qui veut en découdre: «Je serais candidat dans un autre parti». Pourvu qu'il gagne cependant. Car là est l'enjeu.

Bien qu'ils s'en défendront mordicus - prétextant que c'était une action à prendre, qui va de soi, dans leur âme et conscience - il demeure que c'est pour la perspective d'emploi que tout se joue.

Bien peu de ces individus-là font de la politique pour une question de valeurs et de convictions. Sinon la conviction qu'ils sont... ô grands et méritants d'occuper une fonction. Comme Dominique Anglade et ses «ambitions ministérielles» lors de son passage au PLQ.

Il y a des exceptions bien sûr. On évoquera Marguerite Blais qui, après avoir démissionnée en règle a décidé de poursuivre ce pourquoi elle fait de la politique en première instance, soit pour les aînés et les proches aidants. On parlera aussi de René Lévesque, de Jean-Martin Aussant, etc. Bref, comme écrivait Carl Boileau, «J'en ai contre les transfuges. Pas contre les élus trop indépendants d'esprit.»

L'abandon des convictions

Le transfuge politique, pour être précis, c'est quelqu'un qui épouse les circonstances pour se maintenir à flot et donc à proximité des «perspectives d'avenir» que célèbre la professionnalisation de la politique.

C'est quelqu'un qui déserte son parti pour se rallier à un parti adverse. Qui trahit en quelque sorte son devoir moral envers ce dernier, et dans un même élan, participe au cynisme de la population envers la classe politicienne.

C'est l'abandon de certaines convictions au profit d'un objectif suintant l'ambition personnelle et l'individualisme triomphant.

C'est l'abandon de certaines convictions au profit d'un objectif suintant l'ambition personnelle et l'individualisme triomphant. L'individualisme, ce salaud, encore lui; «c'est partout la recherche de l'identité propre et non plus de l'universalité qui motive les actions sociales et individuelles», soutenait Gilles Lipovetsky.

Par ailleurs, Pauline Marois rapportait un propos antérieur de François Legault, assez évocateur: «Dans le temps, François Legault affirmait ''qu'il y a toujours des gens, lorsqu'ils voient des tendances, qui les suivent et pilent un peu sur ce qui les a passionnés toute leur vie. Je trouve ça un peu dommage''. C'est dommage, en effet», disait-elle. Si ce n'est pas là la figure du transfuge! Et Legault, le plus illustre berger rassembleur de moutons-transfuges du Québec!

Par ailleurs, le transfuge pose l'enjeu éthique quant aux informations sensibles (plan de communication/campagne, listes d'électeurs) qu'il peut détenir à la veille d'élections. Puis, il y a la question de la rétention du personnel politique qui, forcément, saute aux yeux.

La vocation pour le peuple s'érode devant la seule ambition de soi-même. C'est que le transfuge est le cousin du carriériste et de l'apparatchik, qui figurent parmi les maux de la politique québécoise, gangrenant les partis de l'intérieur et retirant à l'engagement politique sa substantifique moelle.

La figure du transfuge fait ainsi penser à cette citation de Guy de Maupassant: «C'était un de ces hommes politiques à plusieurs faces, sans convictions, sans grands moyens, sans audace et sans connaissances sérieuses [...] comme il en pousse par centaines sur le fumier populaire du suffrage universel.» Il n'y a plus vraiment de projet mobilisateur à défendre, seulement des jobs à aller chercher et à garder le plus longtemps possible, sur le dos de la population qui plus est.

Et avant même de sauter dans l'arène politique officiellement, cette malheureuse tendance à se vendre au plus offrant est parfois déjà enracinée. Combien y a-t-il de gens qui, en privé, à la question «la politique, ça vous intéresserait ?», vous lanceront un: «je verrais mes offres [...] ça se négocie».

S'engager pour un projet de société? Une cause qui nous dépasse? Très peu pour la personne de peu de convictions, futur transfuge en herbe.

La honte

On leur souhaiterait peut-être qu'une chose à ces transfuges. Qu'un soir, devant le soleil se couchant sur leurs dernières actions, naisse un sentiment trouble; qu'enfin ils éprouvent de la honte, pour qu'advienne une réflexion, quelque chose de porteur. Est-ce que mes actions ont un sens? Si oui, lequel? On leur souhaite qu'advienne ce moment «... où l'on ne se reconnaît plus dans le miroir à force de vivre sans reflet.» (Dany Laferrière)

Est-ce les partis qui, au final, sont de parfaites girouettes et les transfuges ne suivent que la parade?

Pourquoi ne pas chercher une cohérence avec soi-même, pourquoi ne pas déployer le courage de ses convictions? Car de courage, il n'y a guère, dans leur action. Seulement l'émoi d'un égo qui s'agite.

Sur l'interchangeabilité de certains partis

À la défense des transfuges, peut-être est-ce que l'interchangeabilité de certains partis favorise-t-il les déplacements décomplexés? Est-ce les partis qui, au final, sont de parfaites girouettes et les transfuges ne suivent que la parade? Et si les partis avaient des convictions plus consistantes, moins au gré des sondages, qu'ils ne se rejoignaient pas à «l'extrême centre», et qu'ils remettaient en question leurs stratégies clientélistes et cette obsession pour la victoire à courte vue?

Lorsqu'une commission Charbonneau peine à changer moindrement la culture politique qui prévaut, quand le pouvoir et l'argent partagent la couette aussi aisément, quand copinage et corruption sont une seconde nature pour certains... il n'est pas étonnant que fleurissent ainsi les transfuges sur notre colline parlementaire.

Et alors, les pistes de solutions se font toujours aussi criantes: proportionnelle, élections à date fixe, limitation des mandats, référendums d'initiative populaire, culture de coalition, écriture d'une constitution québécoise et ainsi de suite. Car les transfuges ne sont qu'une énième manifestation d'un mal structurel profond, symptôme d'un système politique en déni de décadence.

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