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Santé mentale: pour un plan d'action axé sur les déterminants sociaux

Depuis quelques décennies, la question de l'organisation et de l'accessibilité des services en santé mentale fait l'objet de vifs débats, autant sur le plan social, économique que politique.
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Depuis quelques décennies, la question de l'organisation et de l'accessibilité des services en santé mentale fait l'objet de vifs débats, autant sur le plan social, économique que politique. Alors qu'historiquement les « malades » étaient confinés à l'enfermement asilaire, l'émergence de nouvelles approches dans la conception et le traitement des maladies mentales a fait naître un désir grandissant d'inclure les personnes avec une problématique de santé mentale dans la société et ultimement, permettre leur pleine reconnaissance sociale. À cet égard, les mouvements de désinstitutionnalisation et le virage ambulatoire ont marqué un point tournant au Québec. Si plusieurs programmes sociaux, ainsi que diverses politiques ont amené un vent de changement à l'égard des perceptions et des interventions à privilégier, il demeure que le défi de la réorganisation des services en santé mentale reste entier, particulièrement en ce qui à trait à la consolidation d'une première ligne forte en santé mentale et d'une plus grande collaboration avec le milieu communautaire.

Considérant que le Plan d'action en santé mentale 2005-2010 - La force des liens du gouvernement remonte à plus d'une décennie et que son implantation a présenté son lot de lacunes, il importe au ministre de la Santé et des Services sociaux, Monsieur Gaétan Barrette, de rapidement se saisir du dossier. Le gouvernement n'a toujours pas daigné présenter une nouvelle politique en santé mentale, et ce, alors que les principaux acteurs responsables des services de santé mentale au Québec ont soumis leurs recommandations en janvier dernier, dans le cadre du Forum national sur le Plan d'action en santé mentale 2014-2020 (PASM 2014-2020). L'enjeu est d'autant plus considérable, qu'au Québec, c'est plus d'une personne sur cinq qui présentera un trouble mental au cours de sa vie. Il s'agit non seulement de répondre efficacement aux besoins de ces personnes, mais également de ceux de leurs proches et des intervenants impliqués.

Concernant le prochain Plan d'action, outre l'importance accordée à l'intégration des pairs aidants dans les équipes de soins, aux services de crises et à l'ajout de professionnels répondants, il s'avère nécessaire de prioriser les déterminants sociaux, soit concrètement le contexte, le statut social, le réseau familial et les conditions de vie et de travail, comme grille d'analyse et d'intervention. À la lecture du Document de consultation du Ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), celui-ci présenté lors du Forum national et contenant les grandes orientations du prochain PASM 2014-2020, il est préoccupant de constater que les problèmes de santé mentale y soient essentiellement abordés dans une perceptive biomédicale et psychologisante. Alors que la société se pare de nouvelles injonctions qui encouragent les démarches individuelles au détriment d'actions sociales et collectives, le contenu du document ministériel ajoute à l'inquiétude. Sans nier la contribution de l'analyse biomédicale, force est de constater que l'individu apparaît de plus en plus comme la cause principale de sa souffrance ou de son état et qu'un phénomène de responsabilisation pernicieux s'opère. Un processus qui, selon Sophie Divay, docteure en sociologie, « tend à renforcer l'attribution des conduites aux personnes, les conduisant à privilégier une forme de ''contrôle interne'' (c'est de ma faute) tout en éludant parallèlement le poids des structures sociales ». Allons plus loin, une « psychologisation » excessive ne servirait parfois qu'à masquer les réalités sociales de domination. Cela dit, le but ici n'est aucunement de réduire la part de responsabilité individuelle des personnes à se prendre en main dans leur processus de rétablissement.

Ainsi, il est souhaitable que le MSSS considère davantage les déterminants sociaux de la santé comme philosophie d'ensemble des personnes souffrant d'un problème de santé mentale afin d' « agir sur les obstacles, les difficultés [...] associées à l'état de santé mentale qui entraînent, maintiennent ou exacerbent la vulnérabilité des personnes. », comme le mentionne l'Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec (OTSTCFQ) dans une lettre ouverte adressée au MSSS. À l'opposé d'une société qui chercherait à normaliser et à réduire les modalités de l'intervention à des contours individualistes, nous devons plutôt tendre à appréhender l'ensemble des dimensions d'une personne en la restituant dans un ensemble social, et ainsi proposer des solutions durables basées sur une analyse systémique des problématiques rencontrées.

Par ailleurs, il serait pertinent que le prochain Plan d'action mette l'emphase sur la prévention et la promotion, plutôt que de focaliser sur le curatif. Ne dit-on pas fréquemment dans certains secteurs que 1$ dépensé à court terme permet d'économiser 5 à 7 $ à moyen et long terme. Et bien, en santé mentale, c'est également vrai. Il importe aussi de favoriser l'émergence de campagnes nationales d'information et de sensibilisation. Année après année, l'enveloppe consacrée aux campagnes de prévention ne cesse de diminuer. Le gouvernement semble abandonner les campagnes de prévention grand public au profit d'une prise en charge par l'entreprise privée (Bell cause pour la cause, par exemple), ce qui n'est pas sans conséquence.

Autre élément important à considérer : la question de la performance et de l'amélioration continue dont le MSSS souhaite poursuivre l'évaluation par le biais de statistiques reliées à la prestation de services. À cet égard et devant l'avènement des approches d'optimisation dans le domaine de la santé, telles que les méthodes Toyota et Lean, force est d'admettre que la société québécoise semble sujette à se doter de politiques gouvernementales centrées sur la productivité. Ceci étant, ce n'est pas sans risque d'induire un stress accru aux travailleurs et tendre à déshumaniser les soins offerts, et en l'occurrence, mettre en péril la mission des établissements de santé.

Finalement, le MSSS doit intégrer concrètement le milieu communautaire dans la mise en œuvre de son futur Plan d'action, car actuellement la majorité des responsabilités et leviers décisionnels relèvent encore essentiellement du réseau. En effet, le budget national affecté à la santé mentale demeure encore sous contrôle institutionnel, avec plus de 90% de l'enveloppe budgétaire. Alors que le gouvernement précédent s'était engagé à rehausser de 120 millions de dollars les 3000 organismes du domaine de la santé et des services sociaux, le prochain budget du gouvernement libéral maintiendra-t-il cet engagement ?

Pour clore, le MSSS devrait impérativement considérer les déterminants sociaux comme base de travail. À trop vouloir inviter au contrôle interne et mettre au premier plan la responsabilité individuelle, les analyses plus globales, systémiques, écologiques et structurelles, sont mises de côté. Il est plus que temps que le gouvernement se dote d'un objectif global de transformation sociale en matière de soins en santé mentale, pour ainsi espérer contribuer au bien-être collectif de la société québécoise.

Par Geneviève Houde et Étienne Boudou-Laforce, candidats à la maîtrise en service social à l'Université de Sherbrooke

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