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Santé mentale: la loi P-38 est une fausse cible à un vrai problème

L'affaire «Frédérick Gingras» révèle - à nouveau - le manque de ressources en santé mentale et de coordination entre intervenants, de même que l'importance de considérer la famille dans la démarche de rétablissement de la personne atteinte.
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L'affaire « Frédérick Gingras » révèle - à nouveau - le manque de ressources en santé mentale et de coordination entre intervenants, de même que l'importance de considérer la famille dans la démarche de rétablissement de la personne atteinte.

À intervalle régulier, les mêmes enjeux reviennent dans l'actualité, et ce, pour des raisons souvent malheureuses, voire tragiques. Ceux touchant l'évaluation psychiatrique et le traitement des personnes aux prises avec des problèmes psychiatriques ne font pas exception. Il y a eu les cas d'Alex Lacasse-Daudelin, de Pascal Morin, il y a maintenant celui de Frédérick Gingras. Suivant la cavale meurtrière de Gingras, ce dernier ayant une problématique de santé mentale et possiblement en état psychose durant les faits, différents acteurs ont soumis des pistes de solutions pour que tel incident ne se reproduise pas. L'une des propositions s'avère d'amender la Loi P-38.001, cette loi qui vise la protection des personnes dont l'état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui (pour plus d'information sur cette loi, cliquez ici et ici). Plusieurs avocats, psychiatres et politiciens, notamment, croient qu'il faudrait modifier cette loi afin de faciliter sa mise en œuvre.

Pour fait court, cette loi permet de contraindre l'hospitalisation d'une personne si cette dernière représente un danger grave et immédiat - ce sont les deux critères principaux. Il existe différents types de « gardes » : garde préventive (sans l'autorisation d'un juge et pour un maximum de 72 heures), garde provisoire (ordonnée par un juge, pour un maximum de 96 heures, et inclue 2 évaluations psychiatriques) et garde autorisé. La garde provisoire peut être adressée à la Cour par les psychiatres en collaboration avec les avocats de l'hôpital. Ou alors - et c'est là quelque chose de peu connu du grand public, les personnes de l'entourage peuvent, s'ils s'inquiètent de la santé mentale de l'un de leurs proches (désorganisation, aggravations des symptômes, violence et menaces envers autrui, idées suicidaires, etc.), déposer une requête pour l'obtention d'une ordonnance en vue d'une évaluation psychiatrique, et ce, sans nécessairement que le danger grave soit immédiat. Pour ce faire, les membres de la famille et de l'entourage peuvent être aidés et soutenus par des organismes, notamment ceux de la Fédération des familles et amis de la personne atteinte de maladies mentales (FFAPAMM).

Précisons que dans la sphère publique, il y a fréquemment deux visions qui s'affrontent, celle portée par les organismes en défense de droits en santé mentale et celle des organismes d'aide aux familles.

La première position affirme que la loi P-38 participe parfois à la violation de la loi et des droits fondamentaux en psychiatrie. Action Autonomie, le collectif pour la défense des droits en santé mentale de Montréal, présentait récemment une étude intitulé Quand l'inacceptable se perpétue... 18 ans de violation de la loi et des droits fondamentaux en psychiatrie. Selon l'organisme, « les résultats de l'étude portant sur plus de 3,000 requêtes de garde en établissement démontrent des manquements importants dans l'application d'une loi d'exception qui permet d'outrepasser les droits à la liberté et à l'intégrité inscrits dans la Charte québécoise des droits et libertés. ». C'est que la loi P-38, mal utilisée, peut devenir un pernicieux levier de psychiatrisation sociale, surtout lorsqu'elle pallie à un manque de ressources dans la communauté ; et parfois on en vient malheureusement à saisir la loi d'exception pour de la dérangosité plutôt que pour de la dangerosité. Bref, on ne souhaite pas que les droits des patients vivant un problème de santé mentale soient affaiblis par des changements aux lois; la privation des droits et libertés d'une personne commande une procédure stricte. Puis, l'ordonnance de soin est déjà possible au Québec.

La deuxième position soutient qu'il est nécessaire d'apporter des modifications à la loi P-38. Les familles sont en effet souvent laissées à elles-mêmes et plusieurs souhaiteraient que « la perte de jugement d'un individu, et non seulement sa dangerosité soit considérée lorsqu'il faut décider de le garder en établissement ou de le traiter contre son gré », comme le rapportait Brigitte Breton. Hélène Fradet, directrice générale de la la Fédération des familles et amis de la personne atteinte de maladies mentales (FFAPAMM), lançait récemment un cri du cœur : « Peut-on accepter que des règles législatives ne tiennent pas compte de la souffrance des personnes qui ont perdu leur jugement en raison de leur maladie mentale ? Peut-on accepter que des personnes refusent toute forme d'aide et qu'il faille attendre à la limite de leur dangerosité pour que le système de soins puisse les prendre en charge ? »

Les deux positionnements ont raison sur plusieurs points et de la sorte, il importe d'axer sur le dialogue, la discussion, les nuances de gris.

S'il advient que le phénomène de la porte tournante est bien une réalité et qu'il y a méconnaissance chez plusieurs intervenants des principes de la loi, croire qu'en modifiant la législation de la loi P-38 on évitera d'autres drames c'est faire fi de la complexité des problématiques en présence. Il n'y a pas de solution facile ni d'intervention faisant office de panacée.

Ces problématiques - et leurs pistes de solution, évoquons-les

Il arrive fréquemment qu'une personne soit amenée à l'hôpital et en ressorte quelques heures après. Les urgences psychiatriques sont souvent bondées, et même lorsqu'il y a de la place, la « politique maison » qui demeure légion est celle de libérer les lits au plus vite. Cela fait grimper les statistiques certes, mais au détriment de qui ? Lors des hospitalisations, courtes ou non, il y a le désarroi et l'impuissance des proches qui se frappent couramment à une collaboration limitée avec l'équipe traitante. À la défense de l'équipe traitante, celle-ci doit respecter la confidentialité de la personne atteinte et fait face à des pressions constantes émanant des coupures en santé et des réorganisations du réseau.

Et ainsi, il serait prioritaire que les équipes traitantes considèrent davantage les proches comme des acteurs clefs du rétablissement, ce qui implique de retourner les appels et d'informer convenablement. Qui plus est, la question de la confidentialité est à revoir, notamment quand l'hôpital libère une personne aux comportements violents ou ayant eu des idées suicidaires/homicidaires. Est-ce possible que l'hôpital recontacte la famille ou les intervenants avant libération dans certains cas ? L'enjeu est de taille : comment concilier une vision qui épouse le respect des droits individuels tout en ne délaissant pas les membres de l'entourage, mais aussi en se préoccupant de la sécurité de la population et des lois ?

Concernant les différents acteurs impliqués (personne elle-même, entourage, intervenants de crise, associations de membres de l'entourage, centre hospitalier, travailleur social, psychiatre, etc.), il y a parfois de l'incompréhension face au rôle de chacun. Qui fait quoi ? Qui demande et applique la P-38 ? Qui participe à la démarche de la requête ? Une clarification s'avère nécessaire. Parallèlement, la Protectrice du citoyen recommande une formation commune nationale à tous les intervenants en collaboration avec les ministères de la Justice et de la Sécurité publique.

Au-delà de l'accès difficile aux services en santé mentale, l'une des problématiques majeures réside dans le fait que la psychiatrie est éminemment orientée vers l'hôpital. La désinstitutionnalisation n'a que peu laissé place à des approches alternatives en santé mentale; il y a encore une centralisation des budgets et des décisions, et ce au détriment d'un véritable ancrage dans la communauté et des interventions préventives. À cet effet, il importe de valoriser le rôle des centres d'intervention de crise à travers le Québec.

Un centre de crise est une porte d'entrée alternative à l'urgence lorsque survient une crise (psychosociale, pathologique, traumatique, etc.). Il permet d'éviter des hospitalisations et de prévenir des passages à l'acte en offrant un milieu de vie accueillant. Ce dernier est axé sur la collaboration, le potentiel de la personne et la participation active de celle-ci.

Plus encore, il est nécessaire de déployer un plus grand nombre d'«équipe mobile» pouvant, à la demande de la communauté, se déplacer sur le terrain pour estimer la gravité de la situation et l'état mental d'une personne. Mais ce n'est pas que cela, les intervenants peuvent créer un lien de confiance, saisir l'environnement de la personne, ils peuvent faire un constat à l'hôpital ou encore orienter les proches vers une requête psychiatrique. En quelque sorte, ils sont souvent les yeux de la psychiatrie. Puis, dans bien des cas, la crise peut être désamorcée et le volontariat peut se mettre en place.

Par ailleurs, lorsqu'une personne est hospitalisée contre son gré via la P-38, peut-être serait-il pertinent qu'il y ait obligation de mise en place d'un suivi. Allons plus loin, après 3 hospitalisations contre son gré, une évaluation plus globale et systématique, en concertation avec les acteurs impliqués, pourrait avoir lieu, avec possibilité d'aller en obligation de traitement. Bref, il importe de proposer, d'analyser, de mieux encadrer chaque personne en mesure d'exception, et voir à l'installation de filets de sécurité et d'aide.

Dans une perspective plus globale, les politiques d'austérité et les attaques répétées au tissu social, de même que les mesures d'intervention ne tenant peu compte des déterminants sociaux de la santé, ne sont pas sans effets sur le niveau de détresse psychologique de la population, et également sur la santé....du réseau de la santé. Tenez, récemment, à Québec, avaient lieu les fermetures des Centres de Nemours et Benoit-XV, et ce contre la volonté des usagers et malgré les sévères mises en garde d'intervenants.

En somme, les changements à apporter se trouvent non pas dans la loi elle-même, mais dans ses mécaniques d'application, dans un meilleur encadrement dans les façons de faire. Et surtout, rappelons-nous qu'il s'agit d'un enjeu complexe qui invite à la conciliation des différents points de vue des acteurs impliqués et contributifs.

Ce blogue a été coécrit avec Steve Dubois, intervenant en santé mentale, Gilles Simard, journaliste et pair aidant en santé mentale et Luc Vigneault, pair aidant en santé mentale, consultant et conférencier.

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Mai 2017

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