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Quand l'idéologie précède l'analyse du dernier film de Denis Villeneuve

Lorsque notre lecture d'une œuvre est idéologiquement orientée, le risque est d'épouser une vision biaisée et caricaturale, et faire fi d'une analyse réelle.
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Lorsque notre lecture d'une œuvre est idéologiquement orientée, le risque est d'épouser une vision biaisée et caricaturale, et faire fi d'une analyse réelle

C'est avec étonnement que nous avons lu le texte d'opinion de Martine Delvaux, L'Arrival de Donald Trump. Ce dernier se veut une analyse cinématographique et féministe du dernier film de Denis Villeneuve, combiné à un commentaire portant sur la récente élection de Donald Trump. La lecture révèle vite une « analyse » qui, somme toute, étudie bien peu son présumé sujet. Comme si le film n'était qu'un simple stimuli, le déclencheur du propos réel de Delvaux, qu'il faut étudier ici.

Extraits:

«...l'héroïne est une femme seule, une schtroumpfette incluse dans un groupe d'hommes. Cette sélection d'une seule femme pour faire partie du boys club (en l'occurrence blanche et, pour l'essentiel, mater dolorosa) est à double tranchant : non seulement ce choix s'opère à l'exclusion des autres femmes, mais il s'agit bien d'une femme que le boys club semble prêt, malgré tout, à sacrifier [...] Au fond, l'héroïne est à l'image de l'oiseau en cage que les membres de l'équipe traînent avec eux dans le vaisseau spatial pour voir si ces conditions de vie vont lui permettre de continuer à chanter. [...] Ainsi s'opère le retour du refoulé Donald Trump, et sa xénophobie, que j'étais parvenue pendant un moment à oublier. La paroi transparente qui sépare les humains des aliens, dans le vaisseau spatial, n'est pas sans rappeler le mur que Trump se propose d'ériger entre le Mexique et les États-Unis.»

Résumons. Mme Delvaux s'insurge que le film se situe dans un monde d'hommes et met en scène un scénario d'hommes. Plus spécifiquement, ils sont principalement blancs, hétérosexuels, occidentaux. L'héroïne aussi est, horreur, « ultra-blanche », un choix cinématographique qui, selon Delvaux, « s'opère à l'exclusion des autres femmes ». Doit-on donc comprendre que l'héroïne rêvée par Delvaux serait en fait une vaste horde multiethnique, mêlant autant lesbiennes, hétéros, véganes et omnivores ?

Mme Delvaux semble avancer que le film n'est pas féministe notamment par le fait que personne n'arrête l'héroïne « quand elle entreprend de retirer la combinaison qui doit la protéger ; personne ne s'élance derrière elle au moment où elle se met à courir en direction du vaisseau qui va l'avaler. » Et ainsi, si nous suivons la logique de Mme Delvaux, il aurait fallu qu'un homme, preux chevalier de sa personne, courre sauver la princesse-victime ?

Lorsque est évoqué le boys club du long métrage, nous estimons qu'il s'agit d'une déformation des intentions du film. Mettre en lumière un boys club, montrer les travers « masculins », n'invite pas à donner son aval à celui-ci. Il faut bien comprendre que, non loin d'un Contact avec Jodie Foster, l'héroïne doit faire sa place dans un monde d'hommes, et le film s'attarde à la mettre de l'avant, en épousant son point de vue, sa destinée, avant tout.

Image tirée du film Arrival de Denis Villeneuve

Par ailleurs, la professeure de l'UQAM s'indigne du fait que le scénario, avec ses extra-terrestres, son « mur », et méchants Chinois, lui rappelle l'élection de Donald Trump. Elle s'indigne également du fait que des femmes ont eu l'insolence de voter pour lui (Trump), contre « le côté de leurs sœurs ». En sommes, Delvaux ne perçoit ce film et l'élection de Trump que comme de durs combats opposant hommes et femmes, blancs et non-blancs. Cette perception est vite dévoilée lorsqu'on voit l'auteure fournir des descriptions erronées du film. Elle déplore que le film montre la Chine affichant une conduite belliqueuse, tout en ne disant rien des conduites similaires affichées par des personnages Américains « pures-laines ». Doit-on comprendre que Mme Delvaux juge impossible qu'un non-blanc puisse se conduire avec malice ? Voilà qui nous rappelle ces personnes qui refusèrent de parler de « culture du viol » lors des agressions rapportées à Cologne en Allemagne.

Une approche déshumanisante

La grille d'analyse de Delvaux semble malheureusement se réduire aux caractéristiques sexuelles et ethnoculturelles des personnes. Ces dernières ne sont même plus traitées comme telle. Delvaux les réduit plutôt au statut de pions dans une lutte entre le bien et le mal. D'où son commentaire au sujet des électrices de Trump : « celles qui ont voté pour lui, ces femmes blanches qui ont participé au clivage du pays plutôt que de se placer du côté de leurs soeurs. » Doit-on comprendre que Delvaux serait moins lapidaire envers les femmes noires qui ont voté pour Trump ?

Si Delvaux désire améliorer la condition des femmes et des minorités ethnoculturelles, sa manière d'analyser et commenter les faits semble plutôt déshumanisante. Elle réduit les personnes à leurs sexes et à la couleur de leur peau. Elle rend morale un geste par le simple fait qu'il soit posé par une femme plutôt qu'un homme, par un Noir plutôt qu'un Blanc. Cette grille d'interprétation est incapable de percevoir les complexes et tragiques déchirements de la condition humaine, douloureusement vécu par tous.

Peut-être serait-il pertinent pour Mme Delvaux d'arrêter de tout réduire aux caractéristiques externes des personnes ? Ne serait-ce que pour mieux profiter du dernier film de Denis Villeneuve, une œuvre à la mise en scène soignée, et au propos humaniste et féministe. Puis, elle pourrait peut-être voir que la condition de Louise Banks rappelle celle des électrices américaines. Celle de personnes confrontées à deux « mauvais » choix. Les deux apporteront peine et douleur. Prise dans cette condition humaine, tragique, une personne ne peut que se lancer vers ce qui pourrait être, selon elle, un moindre mal.

Ce blogue a été co-écrit avec Sébastien Bilodeau, candidat à la maîtrise en service social.

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«Arrival», de Denis Villeneuve (2016)

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