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Le travail social comme résistance

En cette Semaine des travailleurs sociaux, nous avons une pensée pour les travailleuses sociales et travailleurs sociaux, et plus largement pour les intervenants du «social».
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En cette Semaine des travailleurs sociaux (19 au 25 mars), nous avons une pensée pour les travailleuses sociales et travailleurs sociaux, et plus largement pour les intervenants du «social». À tous ceux et celles qui font une différence dans leur communauté et qui sont parmi les premiers témoins des conséquences désastreuses de l'œuvre néolibérale - pensons aux effets des mesures d'austérités, à la Nouvelle gestion publique, à l'auto-sabotage de nos leviers sociaux, économiques et politiques, de même qu'au déficit démocratique criant - qui ne cessent de saper les espoirs des Québécois. Cette triste réalité qui s'abat quotidiennement sur la population: elle fragilise, appauvrit, disqualifie. Elle réduit à peau de chagrin le tissu social et rajoute aux inégalités. Et dans le contexte d'une semaine qui honore la profession de travailleur social, la question se pose: que fait le travail social pour remédier aux nombreux problèmes de l'heure, ces problèmes dont nous sommes assaillis de toutes parts?

En cette ère post-providence, le travail social se situe au carrefour des contradictions sociales et constitue une profession remplie de potentiel. De potentiel, car les travailleuses sociales et travailleurs sociaux œuvrent au cœur des problèmes structurels, de même qu'ils interviennent et s'engagent auprès de multiples clientèles et dans des situations variées. Elles et ils sont témoins, au quotidien, des conséquences de la violence endémique, des inégalités de toutes sortes, de la pauvreté de biens et de liens, des injustices flagrantes qui détruisent familles, communautés et cultures. Face à pareil état des lieux, le travailleur social doit redoubler d'ardeur et d'espoir dans ses luttes et dans son travail auprès des citoyens, ces derniers souvent en situation de vulnérabilité, de détresse, de désaffiliation. Puisqu'il considère les personnes dans leur singularité, le travailleur social «prend le temps de s'arrêter [...] [et d'] avancer à leur rythme, souvent décalé avec celui de la société qui exige de tous la flexibilité et l'hyperperformance. Il crée avec elles un ''temps partagé'', en prenant en compte leur potentiel et leurs compétences», comme l'évoquait le Conseil supérieur du Travail social (CSTS).

Le travailleur social doit agir, s'engager; épouser ce qu'il est par ce qu'il fait. Il doit réinvestir le «social» dans sa propre activité et dans la société toute entière.

Cependant, si le travail social peut être un lieu de résistance et de conscientisation, celui-ci peut malheureusement mettre de l'avant des pratiques opprimantes et «normalisantes», le travailleur social devenant un agent de contrôle social - souvent bien malgré lui. Et ainsi, le travail social mène de fausses luttes et se berce d'illusions s'il vise à rétablir l'individu dans «le système» plutôt que de travailler à corriger ce système producteur de pauvreté et d'inégalités. De par un néolibéralisme triomphant, les problèmes sociaux se conçoivent davantage par le biais du comportement et de l'individu plutôt que de considérer leur nature foncièrement sociale, structurelle et politique. Et ainsi, on tend bien souvent à s'occuper des pauvres plutôt que de la pauvreté, de la victime de violence plutôt que de la violence, de l'itinérant plutôt que de l'itinérance.

Ceci étant dit, les travailleurs sociaux ne doivent point abdiquer, se travestir et laisser au placard leur identité sociale; celle-ci qui doit animer et diriger leurs actions. Face à une vision corporatiste du secteur de la santé et des services sociaux - dans la lignée d'une pseudo approche Lean, Toyota et consort - qui entrevoit beaucoup, voir tout, sous la loupe du quantitatif et de la productivité la plus primaire, faisant peu de cas de la complexité des problèmes et enjeux touchant les personnes bénéficiaires, ils doivent se refuser à épouser une position de repli et se contenter de faire mieux avec moins, en acceptant le sort qui en serait jeté et qui amène une déshumanisation des services de santé et des services sociaux au Québec. Oui, le refus et la résistance demeurent toujours des formes d'intervention.

Le «social» à réinvestir

En tant que société, rejetons la tendance lourde qui réduit les intervenantes et intervenants à un rôle de «gestionnaire de cas», là où la personne bénéficiaire apparait comme un «produit humain» dont on s'occupe à la chaîne. En effet, il importe de se dissocier des logiques managériales et de rentabilité, celles-ci allant souvent à l'encontre de l'éthique professionnelle et agissant contre le bien-être des citoyens. Soyons clairs, la marchandisation du secteur social n'est pas une avenue envisageable, pas plus que se limiter à traiter les symptômes d'une société démissionnaire. Puisque le système rend malade, c'est ce dernier qui devrait faire l'objet d'un traitement. Par ailleurs, l'organisation actuelle du système de santé crée une aliénation chez les travailleurs sociaux. Ces derniers, plutôt que de s'épanouir et de faire bénéficier le système de leur expertise, tentent tant bien que mal de survivre au raz-de marée quotidien.

Face à une psychiatrisation et individualisation grandissante des problèmes sociaux, de même que leur médicalisation et leur médicamentation, il y a péril dans la demeure, alors que le contenu sociopolitique des problèmes complexes est évacué. On troque pour ainsi dire le social et le politique pour l'individuel et le biomédical. Les problèmes relevant des rapports sociaux et de l'organisation même de nos sociétés sont ainsi occultés. Prenons la «dépression», elle est décrite comme «le mal du siècle», mais n'est-ce pas plutôt la manifestation patente des maux sociétaux et civilisationnels? À l'opposé d'une société qui chercherait à normaliser et à réduire les causes et les modalités d'intervention à des contours individualistes, nous devons considérer l'ensemble des dimensions de la personne. Les déterminants de la santé (les conditions de vie et de travail, le logement, l'éducation, le revenu, etc.) doivent impérativement être replacés au cœur de l'intervention sociale et des décisions gouvernementales. Qui plus est, n'attendons pas que les structures et les acquis de la Révolution tranquille soient complètement démantelés; nous devons continuer de mener des actions pour défendre nos services publics universels et les droits de tous, notamment ceux des plus vulnérables.

L'humanisme du travail social

Dans un tel contexte, le travailleur social doit agir, s'engager; épouser ce qu'il est par ce qu'il fait. Il doit réinvestir le «social» dans sa propre activité et dans la société toute entière. Il advient qu'il est l'un des «passeurs» en ces temps d'hypermodernité, agent de transformation social fondamental. À la croisée des chemins, le travailleur social intervient au point de jonction entre l'individu et la société, mais également de ceux-celles qui prétendent nous représenter. Thierry Goguel d'Allondans, soutient que le travail social permet une résistance salvatrice: «l'humanisme du travail social pourrait [être] un rempart aux modes qui se démodent (Jean Cocteau), aux idéologies dominantes, aux tentatives perceptibles d'instaurer un post-humanisme ou de prôner la fin de l'Histoire, une résistance aux formes actuelles et pernicieuses d'occupation des esprits.»

La mission du travail social est celle, belle et vivifiante, de combattre par son action les inégalités sociales, de protéger le tissu social et agir sur les rapports sociaux inégalitaires. De chercher le mieux-être citoyen et sociétal, d'encourager le développement du pouvoir d'agir, du bien commun et de la solidarité, tout en refusant les politiques et pratiques déshumanisantes. Alors que l'austérité et la détérioration du tissu social battent leur plein, la profession de travailleur social s'avère vitale et doit reprendre du lustre.

Travailleuses sociales et travailleurs sociaux, plus que jamais, vous êtes essentiels(les).

L'humanisme et les valeurs du travail social comme résistance!

Ce texte est cosigné par:

Nérée St-Amand, professeur titulaire à l'École de service social de l'Université d'Ottawa.

Marjolaine Goudreau, travailleuse sociale et présidente du RÉCIFS (Regroupement, Échanges, Concertation des Intervenantes et des Formatrices en Social).

Étienne Boudou-Laforce, intervenant social.

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