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«Fugueuse, comme dans la vraie vie» ou quand les médias dérapent

À tous ces médias qui ont utilisé la vie d'une jeune de 16 ans pour faire un brin de « buzz », cela ne vous est pas venu à l'esprit que cette personne ne vous a rien demandé ?
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Priscilla Du Preez

Dernièrement, certains médias (ici et ici, notamment), désireux sans doute de vendre davantage de « copies » et faire des « clics », ont mis lourdement les projecteurs sur une jeune de 16 ans en fugue, en ne manquant pas une occasion de faire des rapprochements avec le personnage principal de la série Fugueuse. Alors que cette adolescente n'avait rien demandé, on a exposé son vécu aux yeux de tous. Sur la place publique, on a dit et redit son nom, de même qu'il a été publié des photos de sa personne. On l'a associé à un personnage de fiction, on a émis des suppositions, fait des associations inutiles. Tout ceci sans son consentement. On a un peu fait d'elle une espèce de mascotte de la prostitution juvénile.

Des notions comme la retenue, la dignité et l'éthique journalistique semblent s'être envolées à des kilomètres.

À tous ces médias qui ont utilisé la vie d'une jeune de 16 ans pour faire un brin de « buzz », cela ne vous est pas venu à l'esprit que cette personne ne vous a rien demandé ? Que ce n'était pas d'intérêt public que de dévoiler impunément les contours d'une vie comme vous l'avez fait, et ce de manière pour le moins feuilletonnesque et approximative. Il fallait absolument exploiter l'«image» et l'«histoire» de cette personne pour faire des « clics » – et de l'argent ? Vous n'avez pas honte un peu ?

Je n'irai pas jusqu'à prétendre qu'il n'y a pas de petits sujets, il n'y a que de petits journalistes...

- Robert Belleret

Cette navrante démarche peut même être dommageable pour ladite personne, celle-ci effrontément exposée dans son intimité. Cela peut possiblement «scrapper» ses prochaines entrevues d'embauche, certaines relations, etc. Quand quelqu'un va la « googler », il y a de fortes chances de «tomber» sur plusieurs articles racoleurs. On pourra bien se dire qu'on ne « résume » pas une personne à son « empreinte virtuelle ». Certes, mais beaucoup de gens intériorisent tristement une telle façon de penser. Et ainsi, certains en viendront à réduire ladite personne à quoi ? Prostitution, fugue, etc. Inévitablement, cela aura des répercussions sur sa vie.

Parlons de la série Fugueuse si vous le voulez bien.

La série, malgré ses défauts, peut faire œuvre utile à plusieurs égards. Un show comme Fugueuse permet de sensibiliser sur certaines réalités sociales, et ainsi faire place à la discussion/débat sur divers sujets (prostitution, exploitation sexuelle, DPJ, éducation, Centre jeunesse, proxénétisme, famille, interventions en situation de fugue, etc.). Il est ainsi regrettable que, dans une optique de « toujours plus d'auditoires ! », cette promotion racoleuse vienne ternir le portrait et les apports positifs d'une telle émission. En effet, avec des titres comme « Fugueuse comme à la télé », certains médias instrumentalisent la série, mais surtout la fugue -bien réelle- d'une personne (avec tout ce que cela implique; pour la personne, pour les proches, les intervenant(e)s, etc.) pour venir grossièrement faire la promotion d'une série télé...

Alors que les médias peuvent être tellement plus : outil formidable de conscientisation, 4 pouvoir, lieu privilégié d'interroger la société, d'observer et de comprendre le monde dans lequel nous évoluons, etc., il advient que de telles sottises versent dans le voyeurisme, dans la petitesse, voir dans la désinformation, et ne participent qu'à l'appauvrissement du débat public. Vous, gens des médias concernés, n'êtes alors que bêtise et pollution culturelle.

« On veut s'informer vite, au lieu d'informer bien. La vérité n'y gagne pas. [...] Il revient au journaliste, mieux renseigné que le public, de lui présenter, avec le maximum de réserves, des informations dont il connaît bien la précarité

- Albert Camus

Le pire c'est que ce type d'article et de « contenu journalistique » sont monnaie courante dans notre paysage médiatique, sans qu'on ne s'en indigne outre mesure. Malheureusement, on s'habitue à cette pollution culturelle devenue familière, de la même façon qu'on en vient à ne plus sentir une odeur qui empeste quand on y a été exposé longtemps.

Bref, il importe de ne jamais cesser de s'indigner d'un tel journalisme de bas étage, de le dénoncer haut et fort. C'est notamment en exigeant de la qualité et des reportages de fond plutôt que de l'information-divertissement et du superficiel, du journalisme critique plutôt que du consensuel, que nous gagnerons en tant que société.

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