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Le problème avec Bell cause pour la cause

Si la visée de la démarche est bonne, on peut certainement douter de son efficacité en matière de santé publique et de lutte contre la stigmatisation. Car, malgré son impact positif à certains égards, le bien-être de la population et le regard porté sur la maladie mentale nécessitent beaucoup plus que ce qu'offre Bell Cause pour la cause.
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Demain aura lieu la Journée Bell Cause pour la cause 2017. Ce sera bien entendu une journée importante et porteuse pour la maladie mentale où « tout le monde pourra parler, texter et se joindre à la conversation sur les médias sociaux pour aider à mettre fin à la stigmatisation entourant la maladie mentale et susciter l'action en faveur de cette cause au Canada.». Depuis 2011, Bell Cause pour la cause a aidé 345 organismes avec 6 millions de dollars générés par le Fonds communautaire, et ce n'est là qu'un sommaire d'un bilan honorable et consultable ici. Rajoutons que les porte-paroles sont particulièrement inspirants et courageux d'évoquer leur expérience personnelle avec la maladie mentale.

Ceci étant dit, quelque chose interroge, voire dérange avec cette initiative. Le fait est, qu'année après année, l'enveloppe consacrée aux campagnes de prévention et d'éducation ne cesse de diminuer. Le gouvernement du Québec semble abandonner les campagnes grand public au profit d'une prise en charge par l'entreprise privée (Bell Cause pour la cause, Partenaires pour la santé mentale - PPSM -, Morneau Shepell, par exemple), ce qui n'est pas sans conséquence. On se retrouve notamment avec des initiatives corporatistes comme Bell Cause pour la cause qui sert - peut-être malgré elle - une vision individualiste et médicale des problèmes de santé mentale, de même que de servir le patronat par la bande et de consacrer, l'air de rien, un certain statu quo en santé mentale.

C'est que la responsabilité est fortement mise sur les épaules de la personne. Comme si la chronicité voire la survenue des problématiques de santé mentale - ou plus simplement de la détresse psychologique - n'avait rien à voir avec le contexte social et la société néo-libérale. Rien à voir aussi avec les politiques d'austérité de nos gouvernements qui détruisent le tissu social ; rien à voir avec l'organisation des services en santé mentale qui priorise les approches biomédicale et hospitalo-centriste qui n'en finissent pas d'être des échecs cuisants. Et bien sûr, rien à voir également avec l'hémorragie dans le système de santé et de services sociaux ; le système étant de plus en plus régi par toutes sortes de règles, au profit de la « structurite » bureaucratique et au dépens des services offerts à la population.

Comme le note Jennie-Laure Sully de l'Institut de recherche et d'informations socio-économiques (IRIS), il y a une tendance « à la corporatisation de la santé mentale [s'inscrivant] [...] dans une vision néolibérale qui nie l'existence d'alternatives aptes à solutionner les problèmes humains en dehors de la logique de marché. [...] [De même,] la corporatisation de la santé mentale occulte la question des conditions de travail et procède à une psychologisation des rapports de force inéquitables en société. ».

Prenons une fiche-conseil de Bell Cause pour la cause s'intitulant Santé mentale en milieu de travail. On y lit notamment qu'« au cours de la semaine, un demi-million de Canadiens se sont absentés du travail en raison d'un trouble mental ou d'une maladie mentale [...] Les problèmes de santé mentale sont la principale cause à l'origine des demandes de prestations d'invalidité au Canada. [...] les coûts financiers assumés par les employeurs sont énormes.». On prend également bien soin de nous mettre des pourcentages qui semblent exprimer « les entreprises ont besoin d'aide ! », et on nous invite à écouter les témoignages de patrons d'entreprise qui se sont ouverts à la question de la santé mentale. On rajoutera : quand ils ont commencé à perdre de l'argent.

Ce que semble nous dire Bell Cause pour la cause, au fond, c'est que c'est à l'individu d'aller chercher rapidement de l'aide, de solliciter le Programme d'aide aux employés (PAE), afin de revenir « heureux » au travail - et surtout faire le bonheur du patron, et en somme être un citoyen dans la norme, enclin à la productivité.

Cela rappelle certaines campagnes préventives (ici et ici par exemple) de l'Association canadienne pour la santé mentale (ASCM) qui fixait également leur attention sur les comportements individuels en délaissant le « social » et le « macro ». Depuis plusieurs années, leur thème est presque toujours le même : « Prenez une pause ».

Bref, la solution n'est surtout pas d'aller chercher du côté d'une meilleure organisation du travail, un travail enrichissant et valorisant, un salaire décent, une atmosphère de travail agréable. Au final, il est bien plus aisé de voir une personne « en dépression » plutôt que de considérer le travail aliénant auquel elle peut se prêter, son statut socio-économique, la faiblesse du tissu social et des politiques sociales en place. Bien plus aisé aussi de lui remettre la responsabilité de sa détresse psychologique.

Citons à nouveau Mme Sully, de l'IRIS : « ...une telle approche de la santé mentale des travailleuses et travailleurs peut être très lucrative pour l'industrie pharmaceutique ainsi que pour les médecins, consultants, experts ou promoteurs de services d'aide aux employés. Les stratégies déployées (mesure de l'incidence de la santé mentale sur les résultats financiers, campagnes médiatiques et autres) s'apparentent à des manières de capitaliser sur les problèmes de santé mentale ou d'en neutraliser les effets sur la marge de profit, pas nécessairement de les régler. »

Et dans le cas où la personne souhaite consulter.... La triste réalité c'est que lorsqu'une personne demande de l'aide - processus difficile s'il en est, elle frappe souvent un mur, comme l'évoquait récemment Patrick Lagacé.

Et même si la psychothérapie était accessible et gratuite pour tous demain matin, où sont les déterminants de la santé dans l'équation ? Les déterminants de la santé, ce sont les facteurs qui configurent l'état de santé de l'être humain, notamment les conditions de vie et de travail, le logement, l'éducation, le revenu, le réseau familial et social, les services de santé, etc. Car c'est bien beau d'aller consulter un psychologue, mais n'est-ce pas parfois traiter que les symptômes ?

Revenons à Bell Cause pour la cause

Si la visée de la démarche est bonne, on peut certainement douter de son efficacité en matière de santé publique et de lutte contre la stigmatisation. Par ailleurs, alors que nous sommes dans une ère particulièrement dédiée à l'émotion, au pathos, une part de Cause pour la Cause s'adresse à cette corde sensible en nous. Elle nourrit notre besoin de démontrer notre sensibilité de pacotilles à la face du monde, pour se prouver qu'on est une bonne personne capable de réagir aux difficultés humaines et ainsi mieux rentrer dans le moule. « Textons pour un monde meilleur ! », en quelque sorte. Mais est-ce que les individus changent réellement quant à leur implication, est-ce que le gouvernement change les politiques en santé mentale ? En bref, du vide institutionnel caché sous un semblant d'implication sociale. Un peu comme La grande guignolée des médias, mais la santé mentale remplace la pauvreté.

Malgré son impact positif à certains égards, le bien-être de la population et le regard porté sur la maladie mentale nécessitent beaucoup plus que ce qu'offre Bell Cause pour la cause.

Ce blogue a été coécrit avec Steve Dubois, intervenant en santé mentale

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