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Allah au pays des enfants perdus

L'Algérie est tenaillée entre les galonnés et les barbus fondamentalistes, écrasée par la brutalité et la folie meurtrières.
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Les moments lumineux de l'Indépendance algérienne n'ont visiblement pas suffi pour aider l'identité du peuple, pour l'affranchir de toutes les servitudes passées et à venir. Au contraire, on se retrouve dans un pays perdu dans des idéologies multiples et complexes - l'Absurdistan, nous confiera le narrateur où le combat social semble dominer et investir l'espace de tous ceux qui sont en quête de rêves, de liberté, la forme la plus aboutie du patriotisme... toutes les libertés sont bafouées, l'école sinistrée, l'économie sclérosée.

Dans le moyen âge du calendrier de l'Occident, les travaux d'Al Ghazali - 1058-1111 - qui ont, par ailleurs, influencé Saint-Thomas-d'Aquin et René Descartes nous enseignent que l'Islam était porteur de tolérance pour toute une civilisation ; l'imamat se souciait d'enseigner une religion de paix, l'essentiel de l'existence : la dignité, l'identité affirmée, la mémoire assumée d'un peuple ; toutes ces valeurs étaient précieusement protégées, méticuleusement sauvegardées, sans certes minimiser les efforts de réflexions contemporaines qui, intégrant l'ensemble de ces préceptes moraux abrahamiques, peuvent aider à bâtir un pays, comme ce serait le cas avec l'érotisme arabe de Malek Chebel. Cependant, il paraît que là où passe maintenant l'Islam, les identités s'effacent, méconnaissant la mémoire de toute une civilisation ; l'Islam est devenu un arbre qui vit lorsqu'il est irrigué de sang. Les projets haineux et obscurs de l'islamisme se dessinent avec pour corollaire la division sociale qui propose la bêtise, l'obscurantisme, la haine des femmes et de l'Occident, au nom d'Allah, contre une Algérie qui condamne et dénonce l'injustice, l'inégalité, la violence ; contre une Algérie qui réclame la tolérance, la démocratie, la laïcité, la liberté, l'égalité des sexes... C'est tout cela qu'érige Karim Akouche dans son roman, Allah au pays des enfants perdus : la cité bâtie de l'Absurdistan qui porte dans son sein et dans sa dynamique une puissante charge sociale qui dénonce l'oppression, l'ignorance, la Justice du pays qui n'est que rumeur, le Droit qui est un vocable creux, la bureaucratie articulée en éthique et la corruption en morale politique, dans ce pays qui renie ses enfants. C'est cette même charge sociale qui aidera à faire de l'écriture de Karim Akouche une force de résistance, une force d'existence qui refusera de mourir.

Ce constat invite Karim Akouche à se perdre en allié des enfants perdus dans les déchetteries pour s'arracher une vieille bicyclette ou une radio cassette, quand les nuits sont aussi longues que les jours sans pain. Dans un style unique, dans une écriture rebelle, pétillante de paratextes édifiants dont l'utilisation brillante (profusion de proverbes algériens) en alliance fictionnelle avec des signes métaphoriques locaux - fatwa, d asdegdeg, Lalla, roumi, qamis, khobzistes, etc. - toujours rendus accessibles dans le texte par une explication ou une traduction en référentiel, confère une qualité exceptionnellement sensible au texte du roman. Le narrateur se veut aussi cinglant, parfois expose une marginalité qui transgresse les tabous et les interdits, charrie des métaphores amusantes qui se réfèrent aux effets du chocolat magique : Si tu veux te foutre à poil à Notre-Dame, fumes-en un !... Si je t'en roule deux, tu vas te retrouver en train de te masturber au pied de la Tour Eiffel ou devant les mamelons majestueux de la Joconde...

À dessein, Karim Akouche oppose Ath Wadhou et Alger. Ath Wadhou petit village de mille habitants, rongé par le chômage, lieu où se déroule l'action (je choisis de ne pas vous en dire davantage, de ne pas vous dévoiler les secrets presque mythiques du roman), lieu où se recrutent Zof le berger, attaché à sa terre natale, Ahwawi avec son banjo (le musicien désirant quitter l'Algérie), Zar l'étudiant, rêvant des énergies vertes pour sa région, et Alger, la grande capitale économique et politique où s'entassent les éteigneurs d'étoiles, les gouvernants incultes - gare à eux s'ils nous empêchent de rêver, car nous les empêcherons de vivre ! -, ceux qui martyrisent même les insectes et les perdreaux, les tortionnaires, les bourreaux, et tous ceux qui font virevolter les dieux de la terre dans les labyrinthes de la révolution agraire ; la grande capitale où se recrute le Caporal, passeur abusif, impitoyable et drôle. Ici tout dégoûte et tout déroute, mais tout est dans le rêve qui dégage une atmosphère de révolte et d'écœurement de ce peuple qui ne peut pas ne pas se battre pour sa dignité parce qu'il ne veut pas être un candidat pour l'esclavage. En engageant ce contraste, s'agit-il d'un débat sur la kabylité ou la kabylitude face à la folie islamiste, au banditisme d'État, car se déclarer kabyle c'est s'affirmer, s'enorgueillit le narrateur.

L'Algérie est tenaillée entre les galonnés et les barbus fondamentalistes, écrasée par la brutalité et la folie meurtrières. De temps en temps, utilisant l'ironie, l'auteur nous amuse en faisant allusion à la fatalité historique, en annonçant dans une fine métaphore surréaliste que chaque peuple s'identifie à ses végétaux. Il estime que les désastres sociaux sont prédéterminés lorsqu'il reconnaît que bizarrement l'olive, le fruit le plus amer, est le plus répandu dans le pays.

Allah au pays des enfants perdus est un texte qui interpelle le lecteur, tous ceux qui veulent comprendre l'indispensabilité de laisser la terre au paysan, la forêt au bûcheron, la mer au pêcheur, la montagne au bouvier, l'arbre aux oiseaux ; un texte dont la dimension provoque des réflexions bouleversantes sur l'homme libre qui n'obéit qu'à ses rêves, sur le fuir-ailleurs-recherche-de-repères même clandestinement qui représente une alternative aux misères insurmontables du pays cimetière qui fait de son citoyen un chien, aux escadrons de la mort, aux fantômes du pays qui veulent à tout prix faire le procès du peuple, altérer les convictions de la citoyenneté et les rêves d'une jeunesse qu'on ne peut pas tuer puisqu'elle est déjà morte.

Karim Akouche, Kabyle de souche qui confesse sa laïcité, en éclatant ses chants d'espoir à la face du monde, justifie la verve révoltée de son écrit à la fois incisif et poétique - qui peut faire peur au tyran , parce qu'il écrit sur ce qui touche, sur ce qui obsède, pas sur ce qui indiffère.

Lecteurs, laissez-vous emporter par les mots de Karim Akouche :

... Les oiseaux continueront de chanter

Ils feront taire le bruit des balles assassines avec leurs chants

Et les papillons folâtreront dans les prés

Les abeilles butineront

Et le ciel ne nous privera pas de sa lumière

Les étoiles continueront de briller

Nous ne tomberons pas dans les ténèbres

La lune veillera sur nous

Le cœur du pays continuera de battre

Et l'âme de notre terre guidera notre peuple...

... Perdu dans la mer

comme un déchet flottant

Les vagues sont austères

Elles submergent mon chant

Je suis clandestin

Je n'ai pas de carte

Mon pays a fait de moi un chien

Je ne respecterai aucune carte...

Allah au pays des enfants perdus, Karim Akouche, Éd. Dialogue Nord-Sud, Montréal, 204 pages (ISBN 9782924107003)

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