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La neutralité religieuse: une protection économique?

Les anti-Charte nous dupent lorsqu'ils parlent de laïcité «ouverte» ou «inclusive». Depuis quand des institutions sont «ouvertes» ou «inclusives», ne serait-ce pas plutôt à des individus de l'être? Mais bon, voilà! Dire: «Je suis pour une neutralité ouverte ou une neutralité inclusive», ça fait stupide.
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Dans le débat sur la Charte, on aborde régulièrement le principe de laïcité, avec ou sans adjectif - je vous avoue être un partisan d'une laïcité sans adjectif. Cependant, on parle moins du principe de neutralité de l'État ou des institutions gouvernementales qui fait partie du projet de loi 60.

Laïcité et neutralité sont complémentaires.

Tout en se gardant d'une définition précise et stricte, la laïcité, c'est historiquement la séparation de l'Église et de l'État, du religieux et du politique. La neutralité est à l'égard de toutes les opinions et croyances. En France, on caractérise la neutralité des services publics de la manière suivante: «[C'] est la loi commune de tous les agents publics dans l'exercice de leur service». La laïcité, vous l'aurez compris, concerne plus les institutions, une structure gouvernementale et la neutralité les agents, les individus au service public.

Les anti-Charte nous dupent lorsqu'ils parlent de laïcité «ouverte» ou «inclusive». Depuis quand des institutions sont «ouvertes» ou «inclusives», ne serait-ce pas plutôt à des individus de l'être? Mais bon, voilà! Dire: «Je suis pour une neutralité ouverte ou une neutralité inclusive», ça fait stupide. Et c'est là qu'on se rend compte de la manipulation d'un adjectif pour le travestissement des concepts.

Si le concept de neutralité des services publics est occulté par les anti-Charte, c'est qu'il pose problème à leur argumentaire. Qu'en serait-il du concept de neutralité des services non publics? L'État est-il le tyran des religions?

La neutralité des services non publics, le pacte client-commerçant

Il est un principe de base d'une économie de marché: l'argent n'a pas d'odeur et le capitalisme ne s'embarrasse pas de la moralité, des convictions politiques ou religieuses du client. La main invisible d'Adam Smith reconnaît même que la recherche de l'intérêt personnel de tout à chacun oblige le commerçant à servir tous les clients indistinctement au meilleur prix. Autrement dit, un commerçant vise avant tout à écouler sa marchandise, il ne s'embarrasse pas de qui achète et pourquoi. Une phrase attribuée à Lénine pointe même l'ironie de l'économie de marché et de son principe de neutralité des services: «Les capitalistes nous vendront la corde avec laquelle nous les pendrons».

En Europe, les demandes contrevenant à la neutralité des services non publics se sont multipliées depuis une dizaine d'années. Voici quelques exemples: ne pas servir un client d'un autre sexe, ne pas servir un client qui consomme de l'alcool ou du porc. Parfois, l'employé ne demande même pas, il impose! Ce fut le cas de chauffeurs de bus en Belgique qui arrêtaient leur bus pour prier devant les clients. On n'est plus dans l'ordre de la liberté de conscience, mais bien dans un prosélytisme religieux que les clients n'ont pas à subir.

Dernièrement en France, l'entreprise de recyclage Paprec a adopté une «charte de la laïcité» avec l'aval du personnel et des comités de l'entreprise. Discriminatoire? Non! Bien que l'entreprise Paprec ait inclus des articles inspirés de la laïcité dans un but militant et républicain, avoue son dirigeant, c'est aussi pour limiter la hausse des exigences religieuses sur le temps de travail et par extension protéger son commerce. Paprec veut servir tous ses clients indistinctement sans afficher ses opinions politiques ou religieuses. L'entreprise espère faire jurisprudence.

Un nouveau problème pour les «inclusifs»?

Comment les inclusifs pourront justifier que du personnel d'une entreprise privée refuse le principe de neutralité des services non publics et exige le respect de leur conviction religieuse alors même qu'ils rejettent la laïcité de l'État et sa neutralité? Comment justifieront-ils que l'on refuse un jour de servir une femme parce qu'elle est femme, un homosexuel parce qu'il homosexuel, et ce pour des motifs religieux? Ils déploreront la misogynie et l'homophobie tout en fertilisant ceux qui s'y adonnent? Curieux comportement, n'est-ce pas? Bossuet s'en moquait il y a trois siècles de cela : «Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes».

Cessons la blague des «inclusifs» tout de suite! L'entreprise Paprec a su adopter à l'unanimité une «charte de la laïcité» alors qu'elle est située en Seine-Saint-Denis, le seul département français métropolitain où l'islam est majoritaire.

Cette adoption à l'unanimité est un signe que la société française n'est pas en implosion à cause de la laïcité. Elle démontre que les musulmans se sentent avant tout Français, républicains et laïcs comme tous les autres Français. Ils ne sont pas une catégorie à part et ne veulent pas servir aux intérêts politiques des uns et des autres. Enfin, elle prouve que pour nourrir l'âme, encore faut-il pouvoir nourrir le corps. Dans un marché morose comme en France, nuire à la neutralité des services c'est risquer de perdre des clients, et perdre des clients c'est accroître le risque de fermeture de l'entreprise.

L'entreprise Paprec a pu réaffirmer le principe économique de neutralité des services uniquement parce qu'existe la laïcité de l'État français et la neutralité des agents publics. Sans ce cadre juridique laïque, Paprec n'aurait pas pu obtenir l'unanimité de son personnel et peut-être aurait dû subir la hausse des «accommodements raisonnables» au point de menacer son activité économique. Alors, oui à la laïcité et la neutralité religieuse de l'État.

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